Lettre économique d'AEOI - Le secteur minier en AEOI
Une région riche en ressources minières, mais encore largement sous-exploitée, qui s’efforce d’accroître son activité pour attirer des investisseurs étrangers
L'AEOI possède d'importantes ressources minières encore souvent mal explorées, avec des pays comme Madagascar, Rwanda, Kenya et Soudan se classant parmi les principaux producteurs mondiaux. En 2021, les exportations minières de la région ont atteint près de 9 milliards USD, majoritairement en or. Pour attirer les investissements, les pays de l'AEOI révisent leur réglementation et cherchent à formaliser le secteur artisanal, malgré des défis structurels persistants. Des progrès notables sont attendus pour améliorer les conditions de travail et protéger l'environnement.
Des ressources minières riches et variées, mais un potentiel encore sous-exploité pour le développement économique de l'AEOI
L'AEOI possède une riche diversité de ressources minières[1], bien que la connaissance précise des quantités soit souvent limitée par un manque d'études récentes. En 2022, se distinguaient par exemple des pays comme Madagascar (3e producteur mondial de graphite), le Rwanda (3e de tantale, 4e de tungstène, 5e de niobium), le Soudan (10e producteur mondial d’or et le principal dans la région) ou encore la Tanzanie (17e d’or et 12e de diamant), tandis que le Kenya se classe parmi les leaders en zircon (7e) et en titane (8e). Hors Madagascar, les îles de l'Océan Indien, en revanche ne disposent pas de ressources significatives ni d'activités d'extraction (et ne sont donc pas traités par des chapitres dédiés dans cette publication).
De ces ressources, les pays de la région tirent des revenus et devises significatifs, avec des exportations minières qui atteignaient près de 9 Mds USD en 2021, principalement portées par les ventes d'or. Au Burundi par exemple, les exportations minières représentaient 10 % des exportations totales du pays. En 2021, le sel et ses dérivés étaient le deuxième poste d’exportation de Djibouti (15,7 % de ses ventes totales), tandis qu'en Érythrée, les minerais représentent 60 % de ses recettes d’exportations, seul secteur du pays attirant réellement l’investissement étranger, surtout chinois. Au Soudan, l’or représente aussi la première source de devises, soit plus de 2 Mds USD et 48% des exportations totales, à quoi il faudrait ajouter une part non négligeable d'exportations non comptabilisées officiellement. À Madagascar, le secteur minier représentait 47 % des exportations en 2023, tandis qu'au Rwanda, l'or comptait pour 74 % des 1,1 Md USD d'exportations de minerais, elles-mêmes représentant près des trois quarts des exportations totales du pays.
La plupart des autorités des pays de la région considèrent le secteur minier comme un pilier du développement économique, bien que certains objectifs apparaissent très ambitieux, voire irréalistes : le Kenya vise une contribution minière au PIB de plus de 10 % d'ici 2030 (actuellement 0,8 %) ; l'Ouganda cherche à atteindre le statut de pays à revenu intermédiaire en comptant sur le développement du secteur minier, dont la contribution actuelle au PIB reste inférieure à 2 % ; le Rwanda, pour sa part, ambitionne 1,5 Md USD d'exportations de minerais en 2024 (15 % du PIB). En Tanzanie, la contribution minière au PIB était de 9,1 % en 2022, avec un objectif, atteignable en l’espèce, de 10 % d'ici 2025. L'Éthiopie vise quant à elle une contribution de 14 % au PIB d'ici 2030 (actuellement sous les 2 %), tandis que Madagascar affichait 5 % en 2022.
Le développement de l'activité minière reste freiné par différents facteurs structurels, tels que l'absence de données fiables, le manque de soutien financier et de « derisking » pour l'exploration, le besoin de renforcer les capacités institutionnelles et la formation de main-d'œuvre, la prévalence du secteur informel et du commerce illicite, ainsi que des infrastructures énergétiques et de transport insuffisantes.
Malgré la prévalence du secteur informel et artisanal, les multinationales étrangères dominent les activités d’extraction et de transformation à grande échelle
Le secteur minier dans l'AEOI est majoritairement informel et artisanal. Il représente ainsi 80 % de la production en Ouganda et au Soudan ; 60 % et 66 % respectivement au Kenya et au Rwanda. Bien que l'exploitation artisanale prédomine également en Tanzanie et en Éthiopie, des efforts de formalisation sont en cours dans ces pays. C’est également le plus en plus de le cas au Rwanda et au Kenya.
La plupart des multinationales sont impliquées dans les projets d'extraction à grande échelle en AEOI. Des entreprises australiennes comme Rio Tinto et Base Resources (via Base Titanium) sont actives à Madagascar, au Rwanda et au Kenya. Les groupes canadiens NextSource et Twiga Mineral (Barrick Gold) opèrent à Madagascar et en Tanzanie. Des sociétés sud-africaines (AngloGold Ashanti) et britanniques (Shanta Gold, Petra Diamond) sont présentes en Tanzanie, et Rainbow Rare Earths opère au Burundi. La Chine est très présente dans le secteur en Érythrée avec Zijin et Sichuan Chinese Co., et investit dans le traitement des minerais et le raffinage au Kenya (H-Nuo Company) et en Ouganda (Wagagai Ltd). L'augmentation des prix des matières premières, exacerbée par la guerre en Ukraine, ainsi que la demande croissante liée à la transition énergétique, ont, ces dernières années, ravivé l'intérêt des multinationales pour l'exploration minière dans la région.
En revanche, aucune entreprise minière européenne ne joue un rôle majeur dans la région. Pour autant, des sociétés françaises sont indirectement positionnées, par exemple en sous traitance de grands projets, tels que le projet nickel d'Ambatovy à Madagascar. Des opportunités existent pour les entreprises françaises dans des secteurs périphériques, tels que la fourniture d'énergies renouvelables, le transport et la logistique, les télécommunications, la restauration et la sécurité. De plus, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) collabore avec certains pays de la région, fournissant des études et une assistance technique.
Des cadres règlementaires récemment renouvelés afin d’encourager l’investissements privés
De nombreux pays de la région ont révisé leurs cadres réglementaires ces dernières années pour attirer les investissements miniers, les ressources minérales étant la propriété des États en AEOI, ou, dans de rares cas, des autorités décentralisées. Des révisions des codes miniers ont ainsi été entrepris au Kenya et Djibouti (2016), au Burundi (2013) ; le Rwanda a adopté une nouvelle loi minière en juin 2024, pour renforcer le contrôle étatique sur les minerais stratégiques, tout en offrant des incitations fiscales ; en Tanzanie, les modifications législatives de 2017, 2018 et 2022 ont augmenté les redevances, imposé une participation gouvernementale obligatoire dans les projets miniers et prévu des campagnes de relevés d’ici 2030 sur au moins 50 % du pays ; en Somalie, un nouveau code minier est en cours d’élaboration avec l’appui de la Banque mondiale, mais sa publication reste incertaine ; enfin, à Madagascar, la refonte du code minier, adoptée en juin 2023, a relevé les taxes minières de 2 à 5 % du chiffre d'affaires des entreprises, mais reste en attente de décrets d'application.
Des incitations fiscales attractives ont été introduites par certains gouvernements, notamment au Rwanda, avec des mesures d’exonération d’impôts pour les entreprises minières. L’Érythrée a adopté des mesures telles que l'amortissement accéléré de tout le capital et de la préproduction, l'absence d'impôt sur les dividendes et des facilités d'approvisionnement en fuel. En Éthiopie, la nouvelle réglementation accorde des exonérations de droits de douane pour l'importation d'équipements aux titulaires de permis d'exploration.
Certains États imposent une participation obligatoire dans les entreprises minières, variant de 5 % à 40 % selon le pays : 16 % en Tanzanie ; 40 % en Érythrée (via la National mining company ENAMCO) ; 15 % en Ouganda (via la Uganda National Mining Company) ; 10 % au Burundi et 5 % en Éthiopie. Il existe par ailleurs un système de redevances sur la valeur brute des minerais pour les titulaires de licences d'exploitation minière, redistribuées selon les pays entre le gouvernement central, les autorités locales et les communautés proches des sites d'extraction, en complément des impôts sur le revenu des sociétés. Certaines législations minières imposent des exigences de contenu local aux compagnies, favorisant l'utilisation de main-d'œuvre et de sous-traitants locaux, bien que ces exigences ne soient pas toujours liées à de seuils définis (Kenya, Burundi, Ouganda, Djibouti).
Des impacts sociaux environnementaux significatifs, avec des réglementations sociales et environnementales d’existence ou application inégales
Dans ce secteur (comme dans d’autres), la transparence est essentielle pour une gouvernance efficace et plusieurs pays : Par exemple, Madagascar, les Seychelles, la Tanzanie, l'Ouganda et l'Éthiopie (suspendue cependant pour non-respect de l’échéance de rapportage), se sont engagés à renforcer cette transparence en rejoignant l'Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE). Cette organisation internationale, de droit norvégien, exige de rendre accessibles et compréhensibles les données sur i) paiements des entreprises et revenus de l'État des industries extractives, ii) le cadre réglementaire, iii) activités d'exploration, iv) affectation des revenus du secteur extractif ; et v) impacts sociaux, économiques et environnementaux du secteur. Alors que le Rwanda a été suspecté d'importer illégalement des minerais de la République Démocratique du Congo, Kigali s’est engagé à améliorer la traçabilité de sa production minière et sa durabilité, en signant en 2023 un protocole d’accord avec l’Union européenne, tout en participant au mécanisme de certification des matières premières de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL).[2]
Malgré la mise en place de cadres réglementaires contraignants dont l’application n’est cependant pas toujours au rendez-vous, le secteur minier, en particulier artisanal, continue de causer d'importantes dégradations. C’est par exemple sur plan environnemental : appauvrissement des sols, contamination de l'eau la perte de biodiversité, aggravation de la déforestation. Par ailleurs, les conditions de travail dans les mines artisanales sont souvent dangereuses, exposant les travailleurs, parfois y compris des enfants, à des risques d'effondrements et à des produits chimiques. Bien que l'utilisation du mercure pour l’extraction d’or soit prohibée par la convention de Minamata[3], elle continue d'avoir des effets néfastes sur l'environnement et la santé publique, notamment au Soudan et en Ouganda, tandis que le Soudan importe également du cyanure pour le traitement des déchets miniers. Ces dégradation et dangers ont pu contraindre les autorités à procéder à des fermetures de mines ou arrêt de campagnes d’exploration (Kenya, Rwanda).
A noter, enfin, que plusieurs gouvernements de la région ont adopté des mesures pour réduire les impacts socio-environnementaux du secteur minier : le Rwanda impose ainsi un référent environnemental et un plan pour limiter les impacts pour chaque mine ; l'Éthiopie est en cours d’élaboration d’une politique minière pour une utilisation durable des ressources ; A Madagascar, le projet porté par Quebec Iron and Titatium Madagascar Minerals (QMM) prévoit un investissement de 100 MUSD sur 25 ans pour des initiatives sociales et économiques.
[1] Dans le détail, il est recensé des métaux précieux comme l'or (Tanzanie, Soudan, Ouganda, Rwanda) et le diamant (Tanzanie), ainsi que des minerais industriels tels que le gypse (Ouganda, Éthiopie), le graphite (Madagascar) et le zircon (Kenya). On y trouve aussi des métaux ferreux comme le titane (Kenya), le tantale et le niobium (Rwanda, Burundi), et des métaux non-ferreux tels que l'étain (Rwanda) et le cuivre et zinc (Érythrée).