Quel est l’impact économique du changement climatique au Nigéria ?
Bien que le Nigéria soit l’un des pays les plus riches et les plus peuplés d’Afrique, il reste très exposé au changement climatique, notamment à travers la vulnérabilité de son agriculture. Les manifestations climatiques extrêmes, telles que les sécheresses, les inondations et l'érosion des sols ont des conséquences dévastatrices, entraînant des coûts importants et participant au ralentissement de la croissance économique du pays.
Les inégalités marquées, la mauvaise gouvernance, le manque de coordination et de moyens agissent comme des facteurs aggravants. Au-delà du coût de ces risques physiques, le Nigéria sera également lourdement impacté par les coûts de transition, puisque son modèle économique largement dépendant des hydrocarbures est également à réinventer.
Le Nigéria, un géant africain soumis aux risques physiques du changement climatique,…
Le Nigéria, pays le plus peuplé d’Afrique et l’une des principales économies du continent, est en première ligne face aux défis climatiques. Selon les projections de la Banque mondiale pour un scénario à très fortes émissions, le Nigéria devrait faire face à une hausse importante des températures, atteignant entre 2,9°C et 5,7°C d'ici 2100.
Le pays se classe au 154ème rang sur 181 dans l'indice ND-GAIN 2021, évaluant la vulnérabilité et la capacité de résilience face au changement climatique. Sa dépendance à l'agriculture le rend particulièrement sensible aux perturbations climatiques. Selon la Banque Mondiale, environ 78 % de la superficie du Nigéria est consacrée à l'agriculture, dont la majorité de la production est pluviale (moins de 1 % est irriguée) et réalisée par de petits exploitants agricoles aux méthodes traditionnelles. De plus, sa géographie variée l’expose à de nombreux phénomènes météorologiques extrêmes.
Au nord, l'augmentation des températures et la désertification pourraient aggraver les problèmes d'approvisionnement en eau et de sécurité alimentaire, qui sont déjà des défis majeurs, en particulier dans cette région du pays. Par exemple, la hausse des niveaux de CO2 dans l'atmosphère entraînera une baisse de 17% des nutriments dans le riz, et les fluctuations de température et de précipitations réduiront les rendements de cette culture.
Au sud, Les zones côtières et les bassins fluviaux sont exposés à des inondations qui causent des pertes humaines et des dommages aux infrastructures. En 2022, selon l’Agence des services hydrologiques du Nigéria (NIHSA), les pires inondations jamais enregistrées ont détruit plus de 440 000 hectares de terres agricoles, touchant plus de 1,4 M de personnes, causant plus de 662 décès et déplaçant des milliers d'habitants. Les dommages économiques directs sont estimés à une valeur médiane de 6,68 Md USD. L'élévation du niveau de la mer met en péril les côtes nigérianes, en particulier Lagos, avec de l'érosion, la salinisation des terres et des inondations. Selon un article du Boston Consulting Group, Lagos pourrait être inondé lors d’évènements climatiques extrêmes sous 1,5 mètre d’eau, et jusqu’à 2,5 mètres d'ici 2050[i].
Le changement climatique accélère la dégradation des écosystèmes au Nigéria, diminuant la résilience du pays face aux chocs climatiques. La déforestation, liée à l'expansion agricole, l'exploitation forestière illégale et la production de charbon de bois, entraîne une perte de biodiversité, une érosion des sols et une diminution de la capacité des forêts à absorber le carbone. Selon l’initiative Global Forest Watch (GFW), entre 2001 et 2023, le Nigéria a perdu 1,33 Mha de couvert arboré, ce qui équivaut à une diminution de 13 % du couvert arboré depuis 2000 et à 724 Mt d'émissions de CO₂.
… qui entraîneront très probablement des pertes économiques touchant les secteurs clés de l’économie nigériane.
Le secteur agricole, représentant environ 25,18 % du PIB et couvrant 70,8 millions d'hectares de terres agricoles, est fortement touché par la sécheresse, les inondations et la dégradation des sols, entraînant une baisse des rendements des cultures de base telles que le maïs, le manioc, le millet et le riz. D'ici 2070, l'augmentation des températures devrait entraîner une diminution moyenne de 24 % des rendements du riz en Afrique, surtout dans les zones de riziculture pluviale, selon l'Agence américaine pour le développement (USAID).
Cette situation oblige déjà le pays à importer massivement. Selon la Banque mondiale, les importations alimentaires représentaient 11 % des importations totales du Nigéria en 2023. Au premier trimestre 2024, le Nigéria a dépensé 689,88 M USD en importations alimentaires, ce qui représente 17 % du total des dépenses en devises pour les importations et une augmentation de 40% par rapport au trimestre précédent. D'ici 2100, et alors que la démographie pourrait plus que doubler, les pertes agricoles pourraient représenter 2 à 4 % du PIB en Afrique de l'Ouest, selon l'USAID.
Le secteur de l’électricté sera lui aussi fortement touché. Les inondations menacent la production de pétrole et de gaz à terre, impactant ainsi les revenus des exportations. Cela affecte également la production d'électricité, dont 73,5 % provient du gaz naturel en 2023, d'après l’Agence internationale de l’énergie (IEA). La valeur totale des dommages des inondations 2012, parmi les plus fortes jamais enregistrées, sur le secteur est estimée à 329 M NGN, soit 187 000 EUR, et la valeur des pertes de revenus est estimée à 8 013,6 M NGN (4,5 M EUR) supplémentaires, portant l'effet total sur le secteur à 8 342, 6 M NGN (4,7 M EUR). En outre, la sécheresse réduit le débit des rivières, ce qui diminue la production des centrales hydroélectriques. Malgré sa part plus faible par rapport au gaz, l'énergie hydroélectrique reste cruciale pour l'approvisionnement en électricité du pays, représentant environ 20,4 % de la production totale en 2023, toujours selon l’IEA. Enfin, les vagues de chaleur augmentent la demande énergétique, notamment pour la climatisation, et mettent à rude épreuve le réseau électrique déjà fragile. Les pénuries d'électricité causeraient aujourd’hui une perte de 29 Md USD/an pour les entreprises, soit plus de 5% du PIB, selon la Banque mondiale.
Cette situation est aggravée par les inégalités et le manque de moyens disponibles du pays pour financer ses stratégies d’adaptation.
Les conséquences du changement climatique sont aggravées par la pauvreté et le peu de ressources disponibles pour l'adaptation et la résilience. Les personnes vivant dans la pauvreté sont souvent les plus exposées aux dangers liés au climat car elles ont moins accès à des infrastructures de qualité et aux services essentiels. Pour rappel, seulement 4,8 % des Nigérians ont une assurance maladie et 71 % se soignent eux-mêmes, ce qui cause des milliers de décès chaque année.
La diminution de la production agricole et le recours aux importations contribuent à la hausse des prix alimentaires, rendant l'accès à une alimentation saine plus difficile, en particulier pour les plus vulnérables. A long terme, l'inflation alimentaire au Nigéria devrait se situer autour de 20 % en 2025 et de 17 % en 2026. Cependant, cela ne garantit pas une amélioration de la sécurité alimentaire pour une population dont plus de la moitié vit avec moins de 2 USD/jour. Cette situation pousse de nombreux agriculteurs à migrer vers les zones urbaines, ce qui aggrave la pression sur les infrastructures, pour la plupart déjà surannées. Selon un rapport de la Banque mondiale, la migration climatique interne au Nigéria, dans un scénario pessimiste, pourrait toucher 9,4 M de personnes d'ici 2050.
De plus, la mauvaise gouvernance, la corruption, la faiblesse des institutions et le manque de coordination entravent la mise en œuvre des stratégies d'adaptation. Entre 2012 et 2021, 548 Md NGN, soit près de 312 M EUR ont été alloués au financement écologique, suscitant des inquiétudes quant à la corruption. Des enquêtes ont été ouvertes sur l'utilisation des fonds, avec des cas de condamnation pour blanchiment d'argent et détournement de fonds. En 2021, l'ancien gouverneur de l'État du Niger a été poursuivi pour blanchiment d'argent après avoir retiré 800 M NGN (50 M USD) du fonds écologique.
En raison de ses peu de moyens, le Nigéria reçoit une importante aide internationale, bien que sa contribution aux émissions mondiales de gaz à effet de serre soit faible (0,33 %). Selon l’association Climate Policy Initiative, en 2019/2020, environ 1,9 Md USD par an de fonds publics et privés ont été investis dans des activités liées au climat au Nigéria, représentant seulement 11% des 17,7 Md USD nécessaires chaque année pour atteindre l'objectif de la contribution déterminée au niveau national (CDN) de réduire les émissions de 47 % par rapport au statu quo d'ici 2030[ii]. En 2022, l'Union Européenne a promis un financement de 1,3 Md EUR sur cinq ans pour aider le pays à développer des ressources à faible teneur en carbone et renforcer sa résilience climatique. Néanmoins, les financements des énergies fossiles continuent de dominer au Nigéria, deuxième pays en Afrique en termes de projets de combustibles fossiles financés entre 2016 et 2021, avec un projet de gaz naturel liquéfié (GNL) recevant à lui seul 2,77 Md USD.
Au-delà de la prise en compte des risques physiques du changement climatique, le Nigéria doit aussi faire face aux coûts de la transition de son économie.
L’économie nigériane reste fortement tributaire des combustibles fossiles, un constat qui se reflète dans les infrastructures, le parc automobile et l’industrie du pays. En 2023, le pétrole brut représentait 80,64 % des exportations totales du Nigéria, bien que sa contribution au PIB soit limitée à 5,40 % selon les données du NBS. En matière de production énergétique, les hydrocarbures dominent avec 98,6 % du mix énergétique en 2021 selon l’IEA. Parmi ces sources, les biocarburants et déchets occupent la plus grande part (74,5 %), suivis par le pétrole (14 %) et le gaz naturel (10,1 %). En outre, les émissions de CO2 continuent d’augmenter, atteignant environ 101 MT en 2022 contre 44 MT en 2000, soit une augmentation de 128 %.
En 2021, le secteur des transports, comptant pour 13,5 % de la consommation finale d’énergie, représentait 56 % des émissions totales de gaz à effet de serre. Ces émissions ont connu une augmentation significative, passant de 22 MT en 2000 à 57 MT en 2021, soit une hausse d'environ 160 %. Cette augmentation est largement due à la domination des voitures à essence, qui représentent l’essentiel des près de 12 millions de véhicules enregistrés dans le pays, aux dépens des transports publics peu développés, en particulier ceux respectueux de l'environnement.[iii]
Le secteur du bâtiment, particulièrement dans les grandes villes, a fortement contribué à l'empreinte carbone du Nigéria, bien que sa part dans les émissions de CO2 soit stable à 4% en moyenne entre 2000 et 2021. En 2021, 76% de l'énergie finale consommée provenait du secteur résidentiel, dont la consommation a presque doublé, passant de 2 746 630 TJ en 2000 à 4 575 456 TJ en 2021. Le secteur tertiaire (services commerciaux et publics) a consommé 146 004 TJ, soit une augmentation de 116,37% par rapport à 2000 (67 479 TJ). Une grande partie de la population et presque toutes les entreprises achètent des générateurs électriques chers et polluants pour faire face aux coupures de courant, et la climatisation est omniprésente. Cette consommation inefficace d'énergie souligne la nécessité d'une transition vers des bâtiments mieux isolés et plus économes en énergie.
Le secteur industriel représente une part plus modeste de la consommation finale d'énergie, soit 6,6 % en 2021 (394 262 TJ), en hausse de 177% depuis 2000 (142 989 TJ). Il joue cependant un rôle crucial dans les émissions de gaz à effet de serre, avec par exemple une contribution de 14,2 % en 2021 (14 Mt), en hausse de 250 % depuis 2000 (4 Mt). Le secteur du ciment est l’un des principaux émetteurs, contribuant pour près de 50 % des émissions industrielles. Ainsi, la modernisation des infrastructures industrielles et l'intégration de la décarbonation dans les politiques industrielles sont essentielles pour encourager des pratiques plus durables et réduire les émissions globales.
Les défis de la transition vers une économie durable au Nigéria sont nombreux et coûteux. Les réformes nécessaires pour moderniser les infrastructures et reconvertir les secteurs traditionnels engendreront des coûts significatifs. Les estimations prédisent que 1 900 Md USD seront nécessaire pour atteindre une transition complète d'ici 2060, un objectif fixé dans le plan de transition énergétique (ETP) lancé en 2021 avec le soutien de la COP26.[iv]
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[iii] Le chiffre doit être ajusté à la hausse car la plupart des véhicules ne sont pas enregistrés au Nigéria.