Alors que le Nigéria est doté de nombreux atouts permettant une forte intégration aux chaînes de valeur mondiales, tels que les produits de l’agriculture, la pêche ou encore les amples réserves de ressources naturelles dont il dispose, une part importante de ce potentiel demeure encore inexploitée.

La participation du Nigéria aux chaînes de valeur mondiales se résume principalement à des exportations d’hydrocarbures favorisant une intégration en amont, alors que la faible valeur ajoutée industrielle du pays et la forte concentration de ses exportations autour du pétrole, dont l’économie politique et les gains à court-terme compliquent le développement de stratégies industrielles de long-terme, empêchent une intégration en aval. Si les firmes nigérianes sont pour la plupart à l’écart des processus internationaux de production et d’échange, l’amélioration de leur sort est aussi ralentie par un déficit important d’infrastructures, un difficile accès au crédit ainsi qu’une politique commerciale dans l’ensemble protectionniste. Alors qu’une meilleure intégration aux chaînes de valeur offre un réservoir de croissance considérable, il n’est pas encore pleinement exploité, malgré des projets qui semblent toutefois aller dans la bonne direction.

L’intégration du Nigéria aux chaînes de valeur mondiales est à ce jour très faible…

 

Le Nigéria participe peu aux chaînes de valeur mondiales (CVM), avec une intégration essentiellement en amont. Si la participation du Nigéria aux CVM a pu progresser entre 1990 et 2015, de l’avis du FMI en 2022, celle-ci reste faible et limitée à une intégration en amont. La participation aux CVM en part des exportations totales atteint près de 45 % en 2015, soit environ 10 points de hausse sur deux décennies, mais reste inférieure à des pays comparables tels que le Ghana (c.50 %), le Cameroun (c.50 %), et l’Afrique du Sud (c.55 %). Toutefois, le pays ne parvient pas à en tirer profit du fait d’une asymétrie entre une intégration en amont qui est privilégiée et une intégration en aval très délaissée sur les dernières années. Cela traduit une situation où les produits exportés par le pays servent principalement de matière première pour la production de biens plus loin dans la chaîne de valeur, avec notamment le pétrole qui constitue aujourd’hui plus de 80 % des exportations totales du pays. Une intégration quasi exclusivement en amont, comme celle du Nigéria, est souvent associée négativement aux mesures de développement selon la Banque africaine d'import-export (Afreximbank), en raison d’une concentration sur des activités à faible valeur ajoutée.

 

L’intégration en aval des CVM, bien que bénéfique pour l’économie, peine à décoller. Entre 2000 et 2018, d’après les données de la CNUCED, la valeur ajoutée étrangère dans les exportations nigérianes (FVA), mesure de l’intégration en aval, stagne et ne dépasse pas la barre des 5 Md USD alors que la valeur ajoutée domestique dans les exportations d’autres pays (DVX), mesure de l’intégration en amont, passe de 10 Md USD à plus de 35 Md USD sur la période. En 2015, selon cette même source, les secteurs connaissant les plus fortes FVA pour les exportations sont : les équipements de transports (23 %), les équipements électriques et machineries (21 %) et les produits métalliques (21 %). Ainsi, l’intégration en aval du Nigéria est non seulement faible, mais a aussi connu une baisse dans le temps, trajectoire également relevée par le FMI qui la compare à d’autres exportateurs de matières premières africains ayant réussi à assurer une meilleure participation en aval des CVM comme le Botswana, l’Ethiopie, le Kenya, ou encore la Tanzanie[i]. Cela tient, à un commerce plus développé de biens intermédiaires au sein de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) et du Marché commun de l’Afrique de l’Est et du Sud (COMESA) comparé à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), entre autres raisons[ii].

 

Seulement un petit nombre de secteurs sont exposés aux CVM, alors que la grande partie des firmes nigérianes est à l’écart de ces réseaux internationaux. Au-delà des hydrocarbures, le secteur pharmaceutique fait partie du peu de secteurs qui soient intégrés aux CVM, avec l’importation d’ingrédients médicaux en vue d’exporter les produits sur le continent africain[iii]. Selon le Nigerian economic summit group (NSEG), en 2022, 130 entreprises nigérianes pharmaceutiques enregistrées produisaient localement une variété de produits incluant des comprimés, capsules, crèmes, préparations ophtalmiques entre autres, dont certains destinés à l’export. Les matières premières médicales sont quasi exclusivement importées étant donné le manque de disponibilité local. Au contraire, la participation du Nigéria aux CVM est très limitée dans plusieurs autres secteurs, comme l’industrie, l’agriculture ou les technologies de l’information et de la communication, en raison de l’incapacité du pays à y dépasser le stade des produits primaires. Une étude empirique sur un échantillon de 67 firmes, représentatifs des secteurs alimentaire, pharmaceutique et pétrochimique des principales régions du pays reflète ce constat :  20,9 % de ces entreprises déclarent une participation faible aux CVM, 49,3 % indiquent une participation très limitée et 25,4 % se disent absentes des CVM[iv]. Il est à noter que la faible adoption des nouvelles technologies (production, distribution, communication, …) parmi les firmes nigérianes est également en cause, entre autres, de cette participation réduite, alors que ces technologies permettent de diminuer les coûts de transaction à l’échelle mondiale.

… sous l’effet de plusieurs causes structurelles qui limitent l’association du pays aux processus de production et d’échanges internationaux…

 

Le manque de diversification des exportations ainsi que la faiblesse de la valeur ajoutée industrielle handicapent le Nigéria. Outre la part élevée du pétrole dans les exportations du pays, le Nigéria n’est pas parvenu à diversifier ses exportations depuis des décennies, de l’avis du FMI. D’une part, le pays n’a pas pu atteindre une diversification extensive de ses exportations, étant donné que peu de produits additionnels ont été ajoutés à l’offre d’exportation du pays. Entre 1990 et 2020, seulement 47 nouveaux produits font leur apparition dans les exportations du Nigéria contre une moyenne de 95 produits pour des pays en développement tels que le Bangladesh, le Cameroun, le Pakistan ou la Tanzanie. En 2020, le Nigéria exporte 205 produits différents à travers le monde, alors que la moyenne de l’Afrique Subsaharienne est de 258. D’autre part le pays n’est pas non plus parvenu à assurer une diversification intensive de ses exportations, ce qui aurait impliqué un changement des parts relatives des différents produits exportés. En témoigne la place encore prépondérante des hydrocarbures dans les exports. Enfin, force est de constater que la valeur ajoutée de l’industrie est faible dans le pays : la part des produits manufacturés dans les exports totaux de marchandises n’est que 2,8 %, en décrochage depuis un haut de 10,8 % en 2019 qui est lui-même peu élevé. De l’avis de KPMG et du Nigerian economic summit group (NESG), des réformes sectorielles ciblées sur le secteur industriel seraient bénéfiques pour les exportations et la balance commerciale, à l’heure où la valeur ajoutée du secteur ne représente que 15 % du PIB en 2023 selon la Banque mondiale. Le développement d’une politique industrielle nationale accompagnée de plans directeurs sectoriels, notamment pour des industries clés telles que le raffinage pétrolier ou l’industrie pharmaceutique, est au centre de leurs recommandations, au côté de la simplification des règlementations encadrant l’environnement des affaires.     

 

La contribution des entreprises nigérianes au commerce mondial est également freinée par le déficit d’infrastructures et un difficile accès au crédit. A l’aide d’un modèle gravitationnel des échanges, le FMI identifie dans une étude de 2016 l’accès au crédit et l’absence d’infrastructures comme deux obstacles majeurs à l’intégration de l’Afrique Subsaharienne aux CVM, qui semblent tout particulièrement pesants lorsqu’il s’agit du Nigéria[v]. En effet, l’état dégradé des infrastructures est un problème majeur de l’économie du pays, démontré par classement 2022 de l’Index de développement des infrastructures d’Afrique (AIDI) élaboré par la Banque africaine de développement (BAD) : le Nigéria, pourtant l’économie la plus importante du continent à l’époque, n’arrive qu’en 24e position avec un score de 24,5. Ce résultat, faible dans l’absolu, reflète également un retard significatif du pays par rapport à des pairs continentaux comme l’Egypte (89,9) ou l’Afrique du Sud (81,7). Par ailleurs, le secteur bancaire finance très peu le secteur privé du pays : la proportion de créances détenues par institutions financières locales sur le secteur non-gouvernemental domestique est proche de 20 % en 2023, d’après les estimations de l’agence de notation S&P, et semble faible comparée à des pays similaires en termes de notation tels que l’Egypte (c.35 %) et la Tunisie (c.70 %).

 

La politique commerciale protectionniste du pays est aussi un obstacle majeur à son intégration. Les exportations et les importations depuis et à destination du Nigéria souffrent de la double peine des barrières tarifaires et non tarifaires. D’une part, au niveau des tarifs douaniers, la Banque mondiale constate en 2020 des tarifs douaniers moyens sur les matières premières, consommations intermédiaires et biens de consommation au Nigéria qui dépassent la moyenne de l’Afrique Subsaharienne. De même, le FMI note en 2022, d’après le rapport cité plus haut, que les taux réels effectifs appliqués au Nigéria excèdent les seuils déterminés par la CEDEAO, en raison de la multiplication d’impositions additionnelles sous la forme de droits d’accises, prélèvements et taxe sur la valeur ajoutée qui touchent de manière spécifique les importations. D’autre part, pour les barrières non tarifaires près de 4 000 produits sont sujets à une forme de barrière non tarifaire selon le FMI : cela représente 86 % des produits échangés et 95 % de la valeur ajoutée des échanges.  

… alors qu’une meilleure intégration aux CVM serait un levier de croissance pour le géant africain, qui n’est pas encore entièrement exploité

 

Une meilleure intégration aux CVM, surtout en aval, bénéficierait à la croissance économique par plusieurs canaux. Une intégration plus poussée en aval des chaînes de valeur permettrait, premièrement, de renforcer le développement de l’économie et favoriser une croissance des salaires. Selon la Banque mondiale, un point de pourcentage supplémentaire d’intégration en aval assurerait une hausse de 1,2 pp du PIB par habitant, un effet qui est plus prononcé que celui résultant d’une plus forte intégration en amont ou bien d’échanges commerciaux plus conséquents[vi]. Historiquement, la transition d’un régime d’exportation de matières premières vers un régime d’exportation de produits basiques ou transformés a induit une expansion des salaires dans des économies comme l’Ethiopie, l’Afrique du Sud, la Tanzanie ou encore le Kenya selon le FMI. En outre, une participation plus importante aux CVM favorise également l’emploi : Adeoti et al. (2022) montrent que, dans le cas du Nigéria et sur l’échantillon de 67 entreprises étudiées, une augmentation d’un point de la participation du pays aux CVM génère 1,96 pp supplémentaire de taux d’emploi. 

 

L’amélioration des infrastructures nationales et l’accès au financement prennent une place importante dans l’agenda de l’administration Tinubu. En effet, la nouvelle administration a annoncé plusieurs projets phares en matière d’infrastructures pour assurer une meilleure connectivité du pays, avec notamment l’ambition de financer 30 000 kilomètres de routes en béton à travers le territoire, à commencer par des projets à l’image de l’autoroute reliant la ville de Bagdary (Sud-Ouest) à Sokoto (Nord-Ouest) dont les travaux vont être lancés prochainement. Le président Tinubu avait aussi inauguré en mai dernier l’axe autoroutier Apapa-Oworonshoki-Ojota-Oshodi qui a été renouvelé, reliant les principaux ports du pays au reste de l’Etat de Lagos. Plusieurs projets énergétiques ont aussi été annoncés, en particulier dans le domaine de l’énergie avec l’exemple du gazoduc OB3 qui devrait être achevé ce mois-ci. Par ailleurs, la récente réforme de recapitalisation du secteur bancaire vise à renforcer la capacité de financement des banques nigérianes. Ce programme met en place des seuils plus élevés de capitalisation minimale pour les différentes catégories de banques, avec l’obligation de s’y conformer d’ici 2026. La formule retenue pour le calcul de ces obligations est très stricte et ne comptabilisera que le capital libéré et les primes d’émission. Cela reflète une volonté d’augmenter les capitaux propres disponibles dans le système, et suscite de l’optimisme quant au meilleur financement possible du secteur privé.

 

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[i] Rapport Trade Diversification in Nigeria : How to get there? publié par le FMI en 2022

[ii] de Melo J., Twum A. (2020). Supply chain trade in East Africa: Prospects and challenges. FERDI Working paper P263

[iii] Ayo-Lawal, R. A., Adelowo, C. M., Oyewale, A. A., Ejim-Eze, E. E., Omimakinde, E. A., Erhun, W. O., & Ukwuoma, O. (2023). Mapping the strength of sectoral innovation system in the Nigerian pharmaceutical industry: Empirical evidence. African Journal of Science, Technology, Innovation and Development, 15(2), 198-210.

[iv] Adeoti, J. O., Adeyinka, Alamu, A. S., Popoola, O. A., Afolabi, Quadri, Leo, Abodunde, & Bolaji. (2021). Employment and Innovation Effects of Global Value Chain Participation in Nigeria. In African Economic Conference.

[v] Allard, C., Kriljenko, M. J. I. C., Gonzalez-Garcia, M. J. R., Kitsios, E., Trevino, M. J. P., & Chen, M. W. (2016). Trade integration and global value chains in sub-Saharan Africa: In pursuit of the missing link. International Monetary Fund.

[vi] D’après le rapport World Development Report 2020 : Trading for Development in the Age of Global Value Chains publié en 2020