L'industrie portuaire au Nigéria
Avec 852 km de côtes, le Nigéria a le plus long littoral d’Afrique de l’Ouest. La majorité de l’acheminement des marchandises se fait par voie maritime. Le trafic de fret entrant représente 65,8 % du total du débit de fret en tonnage et le trafic de fret sortant 34,2 %. Le pays entend mener de vastes projets qui contribueraient à réduire la congestion du trafic de fret et à booster les exportations. CMA CGM occupe une place stratégique sur ce marché.
1. Des infrastructures portuaires engorgées et peu compétitives
Ports en activité
Le commerce maritime représente 80 % des moyens de transport du commerce international du Nigéria. Les activités se répartissent entre les six ports contrôlés par la Nigerian Ports Authority (NPA) : Apapa (Etat de Lagos)[i], Tin-Can (Etat de Lagos)[ii], Delta (à Warri dans l’Etat du Delta)[iii], Onne (Etat de Rivers)[iv], Rivers (à Port Harcourt dans l’Etat de Rivers)[v], Calabar (Etat de Cross River)[vi] et le port privé de Lekki (Etat de Lagos). Les ports d’Apapa et de Tin-Can sont les deux principaux ports nigérians pour le fret maritime, concentrant à eux deux environ 70% des importations du pays. Près de Port Harcourt, le port d’Onne est le troisième plus grand port maritime du Nigéria et exporte la grande majorité du pétrole brut, ce dernier constituant plus de 90% des exportations du pays. Le port représente plus de 65 % des marchandises exportées par les ports nigérians.
Données sur le fret maritime
En 2023, les ports nigérians ont accueilli 3778 navires (70,47 M de tonnes de marchandises hors pétrole brut), contre 3957 navires (75,27 M de tonnes de marchandises) en 2022, soit une baisse de 4,5% du nombre de navires et de 6,4% du volume de marchandises hors pétrole brut. En 2023, le trafic de fret entrant a représenté 65,8% du fret annuel hors pétrole brut (46,38 M de tonnes métriques) et le trafic de fret sortant 34,2% (24,09 M de tonnes métriques). Les ports nigérians ont vu transiter 1,57 M d’Equivalents Vingt Pieds (EVP ) en 2023, contre 1,68 M en 2022 (baisse de 6,8%). Les conteneurs d'importation ont représenté 55,85 % du trafic total, avec 874 683 EVP, et les conteneurs d'exportation 43,71 %, soit 684 586 EVP. Néanmoins, les conteneurs vides ont représenté 80 % des conteneurs exportés, traduisant le faible niveau d’exportation du Nigéria en dehors des produits pétroliers. Le temps de rotation moyen des navires dans les ports est de 4 jours, contre 5,1 jours en 2022. Cette amélioration est notamment due au nouveau port en eau profonde de Lekki, dont le délai de rotation est d'un jour.
Comparaison régionale : des ports nigérians moins compétitifs
Les ports nigérians d’Apapa et de Tin-Can à Lagos font partie des principaux ports d’Afrique de l’Ouest en termes de transit de conteneurs. Néanmoins, l’engorgement chronique auquel ils sont confrontés freine leur compétitivité et celle du pays. En 2023, le Nigéria occupait la 88ème place sur 141 pays dans l'indice de performance logistique (LPI) de la Banque mondiale[vii]. Cette congestion et la mauvaise réputation des ports de Lagos auprès des compagnies maritimes entraînent un report vers les pays voisins comme le Bénin et le Togo. A titre d’exemple, un conteneur à Apapa peut rester immobilisé jusqu’à 30 jours, contre 12 à Cotonou. Ainsi, environ 90 % des cargaisons qui arrivent dans les ports de Cotonou et de Lomé finiraient au Nigéria. Le port de Lomé occupe la première place régionale avec 1,9 M d’EVP en 2023, contre 1,23 M d’EVP pour Abidjan.
A l’échelle continentale, les pays d’Afrique de l’Ouest possèdent des infrastructures bien plus modestes que le Maroc (Tanger - 8,61 M d’EVP en 2023, 19ème rang mondial), l’Egypte (Port-Saïd – 4,2 M d’EVP en 2022, 48ème rang mondial) ou l’Afrique du Sud (Durban – 2,5 M d’EVP en 2022, 79ème rang mondial). Par ailleurs, les ports africains ne représentent en valeur que 2,5 % des exportations et 3 % des importations mondiales de marchandises.
2. Plusieurs projets peuvent transformer l’industrie portuaire nigériane
Des projets portuaires ambitieux, pour désengorger les ports d’Apapa et Tin-Can
Le lancement des opérations du port en eau profonde de Lekki en 2023 doit permettre de décongestionner les ports de Lagos et servir de hub de transbordement, notamment vers le Togo et le Bénin. Situé dans la zone franche de Lekki à 65 km de Lagos, le port a été construit par une filiale de la China Harbour Engineering Company (CHEC). Il est détenu à 75 % par une joint-venture formée de CHEC (70 %) et l’entreprise indienne Tolaram (30 %), à 20 % par l’Etat de Lagos et à 5 % par la NPA. Les quatre entités forment la société LFTZ Enterprise (LPLE). Tolaram et CHEC géreront l’infrastructure pendant 45 ans en partenariat avec l’Etat de Lagos et la NPA. Le port de conteneur est opéré par la société Lekki Freeport Terminal, un sous-concessionnaire de LPLE, composée de CMA CGM (80%) et CHEC (20 %). En tant qu’opérateur du terminal, CMA Terminals est responsable du marketing, des opérations et de la maintenance du terminal de conteneurs pour une durée de 45 ans. D’un coût de 1,5 Md USD, le port de Lekki est le seul port en eau profonde du Nigéria et l’un des plus profond d’Afrique subsaharienne. Il doit atteindre une capacité 2,5 M EVP par an, générer 360 Md USD pendant la période de concession et créer 200 000 emplois. Le port peut accueillir trois navires à la fois, pouvant transporter jusqu’à 18 000 EVP, et décharger un navire par jour. Néanmoins, il ne reçoit actuellement que deux navires par semaine et peine à attirer le nombre escomptés de navires du fait notamment de la route le reliant à Lagos qui ne permet pas un transport massif de conteneurs. Dans le secteur, le terminal de Lekki n’est plus perçu comme une menace concurrentielle.
En novembre 2023, la NPA a annoncé que 1,1 Md USD seraient consacrés à la réhabilitation des ports de Lagos, Rivers, Onne, Warri et Calabar au cours du premier trimestre 2024 afin de renforcer la compétitivité commerciale du Nigéria, en commençant notamment par ceux d’Apapa et de Tin-Can. L'objectif est d'augmenter le tirant d'eau à quai en portant la profondeur des ports à 14 mètres afin d'accueillir des navires de plus grande taille. Cette ambition ne s’est pour le moment pas concrétisée mais, en avril 2024, la NPA a obtenu un prêt de 700 M USD de la Citibank, soutenu par le United Kingdom Export Finance, pour la réhabilitation des ports d'Apapa et de Tin-Can. En juin 2024, le gouvernement nigérian a d’ailleurs relancé le service de fret ferroviaire qui dessert le port sec de l’État de Kano dans le Nord, à partir du port maritime d’Apapa. La reprise du service, interrompu depuis quelques années, a eu lieu suite à des travaux de réhabilitation des infrastructures et s'inscrit dans la vision de transformer cette région septentrionale en relais logistique pour les importations et exportations avec le Niger.
D’autres projets d’agrandissements de ports sont envisagés, mais en attente de financement. En 2023, l’entreprise nigériane Nigerdock, concessionaire du port Snake Island à Lagos pour 45 ans, a reçu l'approbation du gouvernement fédéral pour agrandir le port. Une extension du port pétrolier de Burutu dans l’Etat du Delta est également envisagée pour un coût de 1,3 Md USD. Il ferait l'objet d'une concession de 40 ans. Le port en eau profonde de Badagry, dont le coût est estimé à 2,59 Md USD, a lui été approuvé par le gouvernement fédéral sous l'administration Buhari. Le gouvernement fédéral a également approuvé la construction du port d'Ondo, d'une profondeur de 16 mètres. Le port coûterait 2 Md USD et serait concédé pour 50 ans. Une fois achevé, il devrait constituer une alternative aux ports de Lomé, Lagos et Cotonou. L'État d’Ondo a également obtenu la licence pour construire une ville industrielle avec une zone de libre-échange à l'intérieur du port. Pour le projet de port en eau profonde d'Ibom à Ibaka d’un montant de 4,2 Md USD, le gouvernement d'Akwa Ibom a entamé en 2022 des discussions avec la CHEC en vue de sa réalisation. Enfin, la réhabilitation du port de Bonny, situé dans une zone à tirant d'eau naturel de 17 mètres est estimé à 462 M de dollars. Une fois achevé, le port aura une capacité d'environ 500 000 EVP, permettant de réduire la pression sur les ports de Lagos et d’ouvrir de nouvelles opportunités d'investissement dans les régions du Sud-Sud et du Sud-Est du pays.
Des projets structurants sont susceptibles d’avoir un impact sur le développement du secteur
Le Nigéria dispose à Bonny Island (Etat de Rivers) de 6 trains de liquéfaction de gaz et d’un septième actuellement en chantier, opérés par la société NLGN, qui doit permettre une production annuelle de 30 M de tonnes de GNL. Le projet NLNG Train 7 de 5 Md USD doit atteindre une capacité totale de 7,4 M de tonnes par an[viii]. En juin 2024, NLNG a annoncé que le projet était achevé à 67 %, il ne devrait pas aboutir avant 2026. C’est notamment pour acheminer cette nouvelle production que le gouvernement fédéral a validé la construction d’un port en eau profonde à Bonny qui permettra d’augmenter les capacités d’accueil pour les méthaniers. En 2023, le Nigéria était le 6ème exportateur de GNL à l'échelle mondiale et le premier en Afrique.
A Lekki, le groupe Dangote a achevé la construction d’une usine d’engrais et d’une raffinerie, la plus importante en Afrique. Mise en service en janvier 2024, cette dernière devrait permettre d’exporter des produits pétroliers à plus forte valeur ajoutée. Sa capacité de 650 000 bpj est censée être atteinte fin 2024, bien que des doutes subsistent. Un projet concurrent de raffinerie du groupe BUA d’une capacité de 200 000 bpj devrait aussi voir le jour dans l’Etat d’Akwa Ibom (Sud-Est) d’ici 2025 et contribuer à doper l’activité du projet portuaire d’Ibaka.
Enfin, début 2024, la société nigériane NESGAS a lancé un projet de 200 M USD d’infrastructure de stockage et d’exportation de gaz de pétrole liquéfié (GPL) de 50 000 tonnes métriques à Onne. Achevé, ce projet stimulera les exportations de GPL depuis le port d’Onne vers les autres régions du sud du Nigéria et le continent africain.
3. Un secteur au développement contraint par l’environnement des affaires
Le principal frein au développement du secteur portuaire tient à l’engorgement, inégalé dans la zone, auquel il est confronté. Une multitude de causes y participent, dont certaines indépendantes des opérateurs portuaires car liées à la mauvaise qualité des infrastructures routières et à la quasi inexistence de liaison ferroviaire avec les ports. Les relations délicates avec l’administration des douanes, dont le faible niveau de digitalisation a tendance à conforter la prise de décisions arbitraires, contribuent aussi à accroître les délais de dédouanement.
Par ailleurs, lorsqu'un navire se rend au Nigéria pour livrer une cargaison, il revient souvent vide du fait du faible niveau d’exportation du pays. Cela entraîne une hausse importante des coûts d’importation puisque les armateurs cherchent à rentabiliser le coût de déplacement du navire sur un seul trajet. A titre d’exemple, le fret d'un conteneur de 20 pieds de la Chine vers le Nigéria coûte en moyenne 3 990 USD, tandis que le coût d'expédition d'un conteneur de 20 pieds de la Chine vers le Royaume-Uni est compris entre 1 500 et 2 000 USD.
Le protectionnisme à l’œuvre touche également le secteur. Le Nigerian Cabotage Act, en vigueur depuis 2003, prévoit pour les activités de transport domestique, et notamment d’hydrocarbures, que le vaisseau batte pavillon nigérian et appartienne à un Nigérian. Le Oil & Gas Industry Content Development Act, impose aux armateurs de passer par un représentant local du fournisseur étranger pour leur approvisionnement en hydrocarbures et de prendre en compte la part de contenu local lors de l’appréciation des réponses à leurs appels d’offres. Le secteur maritime est par ailleurs très syndiqué et la principale centrale, la Maritime Workers Union of Nigeria (MWUN) n’hésite pas à poser des ultimatums et à user du droit de grève comme moyen de pression dans les négociations.
* * *
[i] Le port d'Apapa est le plus grand et le plus actif des ports maritimes du Nigéria en 2024. Il compte cinq terminaux privés, dont AP Moller Terminal Ltd. (APMT), ENL Consortium Ltd. (ENL), Apapa Bulk Terminal Ltd. (ABTL), Greenview Development Nigeria Ltd. (GNDL) et Lilypond Inland Container Terminal. Le port dispose également de deux bases logistiques (Eko Support Services Ltd et Lagos Deep Offshore Logistics) et de huit jetées.
[ii] Le port de Tin-Can Island est situé au nord-ouest du complexe portuaire d’Apapa. Le port a été concédé à cinq opérateurs de terminaux, dont Josepdam Port Service Ltd ; Tin-Can Island Container Terminal Ltd ; Port & Cargo Handling Services et Five Star Logistics.
[iii] Le port de Delta dans l'État de Delta comprend les ports de Warri, Burutu, Sapele et les terminaux pétroliers d'Escravos et de Forcados.
[iv] Le port d'Onne a été désigné comme zone franche pétrolière et gazière par le gouvernement du Nigéria. C'est l'une des plus grandes zones franches pétrolières et gazières du monde. Actuellement, plus de 100 entreprises ont des licences pour y travailler. En tant que zone franche, il sert de port pivot pour les opérations pétrolières et gazières.
[v] Le complexe portuaire de Rivers comprend le port de Port Harcourt, la jetée de pétrole raffiné d'Okrika, la jetée de ciment en vrac Haastrup/Eagle, la jetée de Kidney Island, la jetée d'Ibeto, la jetée de Macobar et la jetée de bitume.
[vi] Calabar est le siège du commandement naval oriental de la marine nigériane.
[vii] Cet indice prend en compte l'efficacité de la plateforme, la qualité du tirant d'eau, des installations de quai, des liaisons routières et ferroviaires, la compétitivité des services et des procédures des agences publiques pour le dédouanement.
[viii] Les contrats EPC du projet ont été attribués au consortium SCD JV, composé de filiales de Saipem, Chiyoda et Daewoo.
ANNEXE 1 : Présence française au Nigéria dans le secteur
CMA CGM
Au Nigéria, CMA CGM est le 2ème opérateur sur le marché des conteneurs après le groupe néerlandais APT Terminals. CMA CGM, via sa filiale CMA Terminals, a obtenu la sous-concession pour le terminal conteneurs de Lekki. L’entreprise dispose de bureaux à Apapa, Onne ainsi qu’à Kano et assure des services d’escales dans les ports d’Apapa, Lekki et Onne.
Piriou
Le chantier naval West Atlantic Shipyard appartenant au groupe breton Piriou emploie plus de 400 personnes. Situé à Port Harcourt, il construit principalement des navires d’assistance à l’industrie offshore mais répare et entretient aussi tous types de navires dont ceux de la marine nigériane.
Bolloré Africa Logistics
Le groupe Bolloré n’est plus présent au Nigéria à la suite de l’acquisition à 100% de Bolloré Africa Logistics par le groupe suisse de transport maritime Mediterranean Shipping Company (MSC) en 2022 .
ANNEXE 2 : Carte des ports nigérians (cf pdf)