Des secteurs bancaires hétérogènes en AEOI, et un alignement aux standards internationaux freiné par la lutte déficiente contre le blanchiment

Les secteurs bancaires de la région AEOI sont à différents stades de développement en termes de taille, d’inclusion financière et de profondeur. Ces dernières années, ils ont bénéficié d’un contexte économique favorable qui leur a permis de s’étendre et de se consolider. Avec le soutien des bailleurs de fonds, les pays s’alignent progressivement sur les standards bancaires internationaux en mettant en place des normes conformes aux différents niveaux des Accords de Bâle (I à III) et à la réglementation LBC/FT du GAFI et de l’UE. Même si le crédit au secteur privé a repris suite à la pandémie, l’accès au financement bancaire reste un défi dans la zone. Face à l’inflation et la forte dépréciation des monnaies, les Banques centrales ont resserré leurs taux, se répercutant sur l’ensemble de la courbe des taux et ralentissant le crédit. Les banques de la région restent suffisamment liquides et bien capitalisées, mais la qualité des actifs s’est globalement dégradée, avec une hausse des prêts non-performants. Par ailleurs, trois pays sont encore sur liste grise du GAFI.

Des systèmes bancaires hétérogènes, encore faiblement inclusifs

Les secteurs financiers de la région sont à différents niveau de développement mais sont tous dominé par les banques. A fin décembre 2021, l’actif bancaire total en Afrique de l’Est et Océan Indien (AEOI) s’élève à 196,1 Mds USD[1], soit 54 % du PIB de la région. Le Kenya (57,1 Mds USD), Maurice (49,6 Mds USD) et l’Éthiopie (44,3 Mds USD), concentrent 77 % des actifs bancaires de la région tandis que 6 pays ont un actif total inférieur à 5 Mds USD (Rwanda, Madagascar, Djibouti, Seychelles, Somalie et Comores). Le Kenya se démarque par le nombre d’établissements bancaires en activité (38, contre 20 en moyenne en AEOI) et par la prééminence des banques kenyanes, tant au niveau local que dans la région, qui concentrent à elles seules environ 28,6 % des actifs de l’AEOI. Dans les autres pays de l’AEOI, les banques étrangères et filiales de groupes étrangers occupent une place importante (Standard Chartered, Absa Bank, etc.). Les acteurs bancaires français ne sont présents qu’à Madagascar (filiale locale de la Société Générale et de la banque de microcrédit Baobab), et à Djibouti (la Banque pour le Commerce et l’Industrie Mer Rouge étant détenue à 51 % par la BRED).

L’inclusion financière a progressé grâce à la téléphonie mobile, mais reste encore un défi. Seulement 28,9 % de la population en moyenne en AEOI a un compte au sein d’une institution financière et 25,8 % a un compte de mobile money[2]. De grandes disparités demeurent dans la région : alors que Maurice, le Kenya et l’Ethiopie se situent au-dessus de la moyenne an Afrique subsaharienne (39,7 %) en termes d’accès aux services financiers, avec des taux respectifs de 90 %, 50,6 % et 46,1 %, ce sont le Kenya (68,7 %), l’Ouganda (53,8 %) et la Tanzanie (44,6 %) qui affichent les taux de mobile money les plus élevés dans la région. L’adoption des nouvelles technologies par les banques doit être aussi un moyen de rationaliser les coûts, d’améliorer la rentabilité des banques et les processus de contrôle, notamment en termes de réglementation LBC/FT.

Vers une standardisation internationale et un renforcement de la lutte contre le LBC/FT

Progressivement, les réglementations bancaires de la zone se sont alignées sur les standards internationaux. Aujourd’hui, cinq Banques centrales d’AEOI (Burundi, Maurice, Ouganda, Rwanda et Somalie[3]) sont conformes aux Accords de Bâle III. Elles imposent aux établissements bancaires un Capital Adequacy Ratio minimum entre 10,5 % et 14,5 % et un Liquidity Coverage Ratio supérieur à 100 %. Dans la majorité des autres pays, la réglementation est à cheval entre les Accords de Bâle II et Bâle III : la liquidité est contrôlée mais les normes sont moins strictes que sous Bâle III. La loi bancaire, adoptée à Madagascar en 2020, devrait permettre d’opérer une bascule vers les directives de Bâle III. Par ailleurs, depuis 2019, avec le soutien du FMI, l’Ethiopie s'efforce de passer à Bâle II dans le même temps qu’elle prévoit de libéraliser son secteur bancaire et financier. Seul le Soudan est encore aligné sur les accords de Bâle I. Enfin, la Bank of Eritrea n’a pas les moyens d’assurer les fonctions d’une Banque centrale. Elle encourage les investissements étrangers et les importations de biens d’équipement.

En outre, les Banques centrales ont toutes instauré un processus de contrôle LBC/FT, plus ou moins efficace et indépendant, en réponse aux exigences du GAFI. Le retrait de la Tanzanie (2014), du Soudan (2015), de l’Ethiopie (2019), de Maurice (2021) et de l’Ouganda (2024) de la liste des juridictions sous surveillance renforcée (« liste grise ») du GAFI témoigne des progrès qui ont été fait dans ce domaine. Néanmoins, les efforts sont largement insuffisants et le Kenya est entré sur la liste grise début 2024, la Tanzanie et le Soudan du Sud y sont maintenus et certains pays sont à risque élevé sans apparaitre sur la liste grise (Djibouti, Somalie). Madagascar risque également d’y être inscrit en 2027. Djibouti n’est pas sur liste grise mais les risques en matière de LBC-FT restent élevés et le pays fait l’objet d’une évaluation dans le cadre du Groupe d’Action Financière du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord (GAFIMOAN) jusqu’en novembre 2024.

Conjoncture bancaire : hausse des taux et dégradation de la qualité du crédit

Malgré une croissance du crédit dans l’ensemble de la région, les conditions d’accès restent contraignantes pour diverses raisons : asymétrie d’information entre la banque prêteuse et l’emprunteur (Ouganda), faible taux de pénétration bancaire, taux d’emprunts et frais bancaires élevés, réglementation lourde de la Banque centrale et non concurrence du secteur bancaire (Ethiopie). Le crédit au secteur privé a progressé suite à la pandémie, atteignant 15 % en 2022 en moyenne[4]. Néanmoins, la croissance du crédit a marqué le pas en 2023, ralentissant à 11,3 % en moyenne. Face à la forte inflation et à la dépréciation des monnaies locales, la majorité des Banques centrales ont resseré, plus ou moins fortement, leur politique monétaire : depuis janvier 2022, hausse de 600 points de base du taux directeur de la CBK et +375 pb de la BoU par exemple. Par conséquent, les taux de dépôt et de prêt ont également augmenté : au Kenya, le taux de prêt a augmenté de 227 points de base entre fin 2021 et fin 2023, et en Ouganda, il a augmenté de 141 points de base entre juin 2021 et juin 2023.

À fin 2023, les secteurs sont tous suffisamment liquides et bien capitalisés, à l’exception des secteurs soudanais et sud-soudanais qui souffrent d’une sous-capitalisation chronique. Cependant, la qualité du portefeuille des banques de la région AEOI s’est dégradée depuis la pandémie, le ratio des prêts non-performants par rapport aux prêts totaux s’élevant à 7,5 % en moyenne dans la région. Ils ont augmenté dans 6 pays entre 2019 et 2023 : Seychelles (+5,5 pp), Ethiopie (+2,7 pp), Kenya (+2,6 pp), Maurice (+0,4 pp), Madagascar (+0,2 pp) et Rwanda (+0,1 pp). Aux Seychelles, les PNP ont atteint un niveau record de 8,2 % à fin décembre 2023, et au Kenya, ils sont repassés à 12,3 % à cause de l'environnement des affaires et des retards de paiement. En revanche, le ratio a largement reculé aux Comores (-11,7 pp), mais reste à un niveau élevé (14 % en 2023), en raison d’une mauvaise exécution judiciaire des contrats et des créances contre les débiteurs défaillants.



[1] Source : Financial Soundness Indicators, FMI. Hors Burundi, Erythrée, Soudan, Soudan du Sud.

[2] Source : Banque mondiale, Global Financial indicators. Pas de donnée pour l’Erythrée et les Seychelles. Dates allant de 2011 à 2022 selon les pays.

[3] Notons toutefois que l’application des normes de la Central Bank of Somalia se heurte au manque de moyens des sociétés de transferts de fonds qui concentrent la plus grande partie de l’activité bancaire.

[4] Source : FMI, hors Burundi, Erythrée, Ethiopie, Soudan, Soudan du Sud.