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Zoom sur la situation macroéconomique et financière du Kazakhstan

Le Kazakhstan, première économie de la zone Asie centrale (PIB nominal de 225,6 Md USD et PIB par habitant de 11 486 USD en 2022 selon le FMI) a vu sa croissance accélérer en 2023 et dépasser son niveau moyen d’avant-pandémie (environ 4%/an) après une année 2022 difficile marquée par des troubles intérieurs, des incidents sur l’infrastructure pétrolière et les conséquences de la guerre en Ukraine. Cette embellie s’explique par une production d’hydrocarbures en hausse, soutenue par une conjoncture externe relativement favorable, ainsi qu’un effort d’investissement public conséquent, notamment dans l’infrastructure.

La situation financière interne et externe s’est légèrement détériorée du fait de la normalisation des cours pétroliers et du rééquilibrage subséquent du solde commercial, mais reste maîtrisée grâce aux importants coussins financiers du pays. L’inflation, galopante jusqu’à la fin de l’année 2023, a été jugulée, mais ne devrait néanmoins pas revenir au niveau de la cible avant plusieurs années. De manière plus structurelle, le Kazakhstan doit poursuivre les réformes pour améliorer le climat des affaires, diversifier son économie ainsi que ses partenariats commerciaux (et réduire la dépendance à la Russie) tout en contenant le risque de sanctions secondaires pesant sur ses établissements financiers et entreprises.

1. Une accélération de la croissance en 2023 favorisée par la reprise de l’investissement et la consommation

L’activité économique a accéléré en 2023, avec une hausse du PIB estimée à 5,1%, contre 3,2% en 2022. Ce différentiel de croissance s’explique en partie par une reprise de la production pétrolière – en hausse de 6% –, qui aurait contribué à environ un tiers de la croissance totale[1], favorisée aussi par l’absence d’incidents majeurs sur les exportations d’hydrocarbures en 2023. L’activité du secteur extractif pris dans son ensemble était en hausse de 4,6% sur l’année 2023, après avoir baissé de 0,9% en 2022. Elle a également accéléré dans les autres secteurs, dont le commerce (+11,3% après 4,6% en 2022), la construction, soutenue par les dépenses publiques de modernisation de l’infrastructure (+13,3% après +10,2%), et l’industrie manufacturière (+4,1% après +3,6%). Seule ombre à ce tableau, la production agricole a chuté de 7,9% en conséquence de la sécheresse et des intempéries.

Du point de vue des dépenses, l’activité a été soutenue par une croissance massive de l’investissement. La formation brute de capital fixe a progressé de 20,7% (après +3,7% seulement en 2022) grâce au dynamisme du crédit bancaire et à une forte impulsion budgétaire (voir 2.), qui a également conduit à des dépenses de consommation finale des administrations plus élevées (+10,3%). La dynamique a été plus modérée du côté des ménages, dont les dépenses de consommation finale ont augmenté de 4,5% (contre +4% en 2022), ce alors que la progression limitée des revenus réels a été limitée (+1,1%) dans un contexte d’inflation élevée. Enfin, la contribution nette du commerce extérieur à la croissance a été négative : la croissance des exportations totales de biens et services en valeur a pratiquement stagné du fait de la baisse des prix du pétrole (+1,9%), tandis que les importations ont progressé nettement plus rapidement (+14,7%).

Figure 1. Décomposition de la variation du PIB par les dépenses (%, p.p., g.a.)

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Une modération de l’activité est attendue par les IFI en 2024. Les prévisions de croissance du FMI et de la Banque mondiale, qui s’élèvent à respectivement 3,1% et 3,4%, reflètent l’anticipation d’une baisse de la production pétrolière, du fait de travaux de maintenance prévus sur les principaux sites extractifs ainsi que des coupes décidées dans le cadre de l’OPEP+. Les prévisions kazakhstanaises (Banque nationale) sont légèrement plus optimistes à 3,5-4,5%. Au premier trimestre 2024, le PIB a enregistré une hausse de 5,1% en glissement annuel.

2. Une légère dégradation des comptes publics et externes

La balance des opérations courantes a été soldée par un déficit de 3,3% du PIB (8,7 Md USD) en 2023. En 2022, le solde courant avait enregistré un excédent inhabituel de 3,1% du PIB alimenté par un excédent commercial exceptionnellement élevé. Le retour à une situation de déficit en 2023 constitue ainsi un rééquilibrage (déficit annuel moyen de 2,9% sur la période 2014-2019) consécutif à la normalisation du prix des hydrocarbures : l’excédent des biens a chuté de 42% à 20,2 Md USD en glissement annuel sur fond de baisse des exportations (-7% à 79,9 Md USD) et de hausse des importations (+18% à 85,6 Md USD)[2]. La variation des exportations de pétrole et de condensat de gaz en valeur (42,3 Md USD, -10%) explique quasiment la totalité de la variation des exportations totales[3]. Le déficit d’ensemble des opérations courantes est toujours causé par les sorties massives de capitaux associées à la rémunération des investissements directs étrangers (IDE), qui se traduisent par un déficit de la balance des revenus primaires de 26 Md USD (+2%).

Figure 2. Balance courante du Kazakhstan (Md USD)

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Le besoin de financement extérieur a été principalement couvert par des prélèvements du Fonds souverain, et dans une moindre mesure grâce aux flux d’IDE entrants. Le Fonds national a été ponctionné à hauteur de 5,9 Md USD en 2023 (essentiellement au 3ème trimestre), et s’établissait à 60 Md USD au 1er mai 2024, en plus des réserves de change qui ont été préservées et atteignaient 39,9 Md USD (+6,1% en g.a.) à la même date, soit environ 6,7 mois d’importations. Le reste du besoin de financement a été comblé par le solde des opérations financières, avec une entrée nette de capitaux de 1,6 Md USD, dont 2,3 Md USD au titre des IDE. Le stock total des IDE au Kazakhstan atteignait 157 Md USD début 2024, soit environ 60% du PIB[4].

Au plan intérieur, le déficit budgétaire de l’État a augmenté à 2,4% du PIB (contre 2,1% en 2022)[5]. L’augmentation du besoin de financement de l’État résulte d’une importante progression des dépenses nominales (+24,3% en g.a.), en hausse de 1,6 point de PIB (de 20,8% à 22,4%), destinée notamment à une hausse des transferts sociaux[6] et des investissements en infrastructure. La progression des recettes a été légèrement plus faible à +23,1%, soit 1,4 point de PIB (de 19,5% à 20,9%) du fait de revenus plus réduits associés au pétrole : ces derniers ont diminué de 9% et représentaient 23% des recettes totales, contre 31% en 2022[7]. Le corollaire de cette évolution est un plus faible déficit hors pétrole, qui s’est établi à 4,7% du PIB en 2023 contre 6% en 2022. Au terme de l’année 2024, le FMI anticipe un déficit budgétaire comparable (2,2% du PIB) – qui pourrait néanmoins s’avérer plus important en raison des inondations dans le nord du pays – ainsi qu’une dette publique toujours modérée (24,2% du PIB).

3. Un assouplissement prudent de la politique monétaire face au reflux de l’inflation

L’inflation annuelle a nettement ralenti depuis le début de l’année 2023. Elle s’établissait à 8,5% en mai 2024, en nette baisse par rapport au pic de 21,3% atteint en février 2023. Cette amélioration est attribuable, d’une part, à une politique monétaire particulièrement restrictive – taux directeur à 16,75% de décembre 2022 à août 2023 – et à la stabilisation des prix alimentaires, qui constituent le premier contributeur à l’inflation.

Figure 3. Politique monétaire et inflation annuelle

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La Banque nationale du Kazakhstan abaisse progressivement son taux directeur depuis le deuxième semestre 2023. Elle a procédé à six baisses de taux depuis août 2023 pour un total de 225 points de base, avec un taux actuellement défini à 14,5%. Le maintien de taux d’intérêts réels élevés (différentiel taux nominal – inflation) se justifie par le dynamisme de l’activité, des anticipations d’inflation toujours préoccupantes (12,7% en mai 2024) et l’effet attendu sur les prix des services des hausses de tarifs réglementés (énergie, services communaux, etc.) prévues par les autorités. L’instabilité du tengue, qui a perdu 5,2% de sa valeur par rapport au dollar depuis la mi-mai, pourrait représenter un facteur de pression supplémentaire sur les prix[8]. Au total, l’inflation devrait se maintenir durablement au-dessus de la cible, définie à 5%[9], avec une prévision d’inflation de 7,8% en fin d’année 2024 selon le FMI, et un retour à la cible en 2028 seulement.

Malgré le niveau élevé des taux, la distribution de crédit à l’économie est restée dynamique. Elle a progressé de 20,3%, essentiellement dans le segment du crédit aux ménages (+26,7%, dont +34,2% pour les crédits à la consommation), qui représente 56% du portefeuille total de crédits. La hausse des dépôts à été plus modérée à +18,5%. Si la situation du secteur bancaire apparaît satisfaisante, avec, au 1er janvier 2024, des profits nets en hausse de 49% sur un an, un taux de créances douteuses (90+) limité à 2,9%, une capitalisation supérieure aux normes prudentielles et une dollarisation en baisse (10% pour les crédits, 27% pour les dépôts), son rôle dans le financement de l’économie demeure néanmoins très limité[10].

Sources des graphiques : Bureau national de statistiques du Kazakhstan, Banque nationale du Kazakhstan, calculs du SER.



[1] Estimation de la Banque mondiale.

[2] Les trois principaux partenaires commerciaux du Kazakhstan demeurent l’Union européenne (30,5% des échanges totaux), la Chine (22,5%) et la Russie (18,6%), avec néanmoins une érosion marquée de la part de marché russe au profit de la Chine depuis 2022.

[3] Baisse des exportations en valeur de 4609 Md USD par rapport à 2022 : la hausse des volumes exportés (+3931 Md USD) a été plus que compensée par la baisse des prix (-8540 Md USD).

[4] Au 1er janvier 2024, les principaux investisseurs étrangers au Kazakhstan étaient les Pays-Bas (60,4 Md USD, 38% du stock total d’IDE entrants), les États-Unis (42,4 Md USD, 27%), la France (12,7 Md USD, 8,1%), la Chine (6,7 Md USD, 4,3%) et la Russie (5,8 Md USD, 3,7%).

[5] La dette externe totale du pays atteignait 162,7 Md USD début 2024 (62,4% du PIB), avec une large prévalence de dette privée (91% du total), qui comprend une part importante d’endettement intra-firmes au titre des IDE (92 Md USD).

[6] Ces mesures s’ajoutent à l’augmentation du salaire minimum de 21,4%, qui a permis de compenser la baisse de niveau de vie provoquée par l’inflation et de faire diminuer le taux de pauvreté de 10,7% à 8,8% en 2023.

[7] Ces revenus sont constitués, d’une part, des droits de douanes à l’exportation de pétrole brut (en légère hausse de 1,3%), et, d’autre part, des transferts du Fonds souverain (en baisse de 12,7%).

[8] Une partie de cette dépréciation a pu être causée par les sanctions américaines contre la Bourse de Moscou entrées en vigueur le 12 juin dernier.

[9] Pour mémoire, la Banque nationale du Kazakhstan a révisé sa cible d’inflation en juillet 2023, qui est désormais définie à 5%, contre 4-5% en 2023-2024 et 3-4% en 2025 auparavant.

[10] Les crédits et dépôts représentaient respectivement 25% et 16,7% du PIB au 1er janvier 2024, un indicateur faible en comparaison régionale.