Près de 350 000 étudiants de l'ASEAN, soit environ 2% de la population étudiante, poursuivent leurs études à l'étranger, privilégiant les destinations anglophones et nord-asiatiques comme l'Australie (18% d’entre eux), le Japon (17%), les États-Unis (14%) et le Royaume-Uni (11%). Malgré d'importants progrès en matière d'éducation et l’essor d’un tissu d’universités et d’écoles de haut-niveau dans certains pays, la mobilité « Sud-Nord » des profils les plus qualifiés, associée aux migrations intrarégionales « Sud-Sud » de travailleurs moins qualifiés, pose des défis importants pour les pays de l'ASEAN, qui doivent non seulement renforcer leur attractivité pour retenir (et attirer) les talents, mais aussi gérer efficacement les flux migratoires intrarégionaux pour garantir une répartition équilibrée des compétences et des ressources.

L'Asie du Sud-Est a investi massivement dans l'éducation et le taux d’accès à l'enseignement supérieur y a fortement progressé au cours des cinquante dernières années, passant de 5% en 1970 à 34% en 2018 (Graphique 1). En 2022, l’ASEAN comptait plus de 20 millions de personnes scolarisées dans l’enseignement supérieur dont près de 17 millions d’étudiants en licence (ou équivalent), plus de 900 000 en master et 200 000 en doctorat[i]. L’Indonésie (40% de la population et 36% du PIB de la région) accueille près la moitié des étudiants en licence, 40% de ceux en master, mais seulement 28% des inscrits en doctorat (Graphique 2). Avec 62 000 étudiants, la Malaisie est le pays qui accueille le plus de doctorants dans la région (10ème mondial), près d’un tiers du total régional malgré son faible poids dans la population de l’ASEAN (5%), au même niveau que la France (66 500 étudiants). Rapporté à la population, la Malaisie domine largement le classement des pays qui accueillent le plus d’étudiants de master et de doctorat dans la région (Graphique 3) avec 450 étudiants pour 100 000 habitants, suivi de Singapour (305 étudiants/100 000 habitants). L’Indonésie arrive en 6ème position, avec 154 étudiants en master et doctorat pour 100 000 habitants (soit trois fois moins qu’en Malaisie). 

 

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Près de la moitié des diplômés de la région s’est soit spécialisée en science, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM), soit dans les technologies de l'information et de la communication (TIC) ; une proportion supérieure à la moyenne mondiale (Graphique 4). Sur la période 2017-2023, la Malaisie se classe au deuxième rang mondial en termes de part de diplômés dans les STIM (40%), juste après Oman (43%), tandis que le Brunei (39%) et Singapour (35%) occupent respectivement la 5ème et 9ème place, avec des taux largement supérieurs à ceux observés en France (26%) et aux États-Unis (20%). Le constat est similaire pour les TIC, où 5 pays de l'ASEAN figurent parmi les 10 premiers au monde en termes de part de diplômés dans ce domaine. Le Brunei occupe ainsi la première place (15%), suivi des Philippines (11% ; 5ème), du Cambodge (10% ; 6ème), de Singapour (9% ; 7ème) et de l'Indonésie (8% ; 9ème). Le développement d’une main-d’œuvre qualifiée, couplé à des investissements massifs dans les TIC, peut accélérer le développement industriel, technologique et économique des pays d'Asie du Sud-Est, leur permettant ainsi de s'intégrer aux segments les plus valorisés des chaînes de valeur mondiales[ii]. L'exemple de Singapour est particulièrement marquant : grâce à une politique éducative ambitieuse qui su faire ses preuves (1er pays au classement PISA 2022 de l’OCDE ; 60% de diplômés du premier cycle de l’enseignement supérieur), la cité-État a réussi à former une main-d'œuvre hautement qualifiée qui a attiré les investissements étrangers et favorisé la croissance de secteurs technologiques de pointe.

 

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L’offre universitaire se renforce dans l’ASEAN avec plusieurs institutions de haut niveau : dix des cinquante meilleures universités asiatiques se trouvent en Asie du Sud-Est, dont huit à Singapour et en Malaisie (Tableau 1)[iii]. Dans la cité-Etat, l’Université nationale de Singapour (NUS) et l’Université technologique de Nanyang (NTU) se classent respectivement à la 3ème et 4ème position des meilleures institutions en Asie (13ème et 15ème dans le monde dans la catégorie « Engineering & Technology »). Elles sont suivies de 6 universités malaisiennes (aux 11ème, 25ème, 28ème, 35ème, 37ème et 41ème position), de l’Université Chulalongkorn en Thaïlande (44ème) et de l’Université d’Indonésie (48ème). En plus de ces établissements, ces vingt dernières années ont vu l'implantation de plusieurs campus d’universités et écoles internationales dans la région (pour la France : l’INSEAD et l’ESSEC à Singapour ; Tableau 2), complétant l'offre d'enseignement supérieur de la région et ouvrant des opportunités de collaboration internationale en recherche, de transfert de technologie et d'emploi. Toutefois, l'offre universitaire limitée ou moins développée dans plusieurs pays de la région conduit un nombre croissant d’étudiants (+15% entre 2017 et 2021) à chercher des débouchés à l'étranger[iv].

 

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Plus de 350 000 étudiants originaires d’Asie du Sud-Est poursuivent leurs études à l’étranger, soit près de 2 étudiants sur 100 (1,8% ; en-deçà de la moyenne mondiale établie à 2,6%) ; une part qui varie considérablement selon les pays (de 24% des étudiants pour le Brunei à 0,6% pour l’Indonésie ; Graphique 5)[v]. Alors que le Vietnam ne représente que 15% de la population de la région, le pays envoie près de 40% des étudiants étrangers en provenance d'Asie du Sud-Est, soit environ 137 000 étudiants vietnamiens à l’étranger en 2021 (5% du total des étudiants vietnamiens), une hausse de +45% par rapport à 2017[vi]. Le pays se classe par ailleurs à la 3ème position en termes de pays d’origine de la mobilité étudiante dans le monde, derrière la Chine et l’Inde. En comparaison, l'Indonésie, avec une population de 280 millions d'habitants, ne fournit que 17% des étudiants mobiles de la région, soit 59 000 étudiants. La Malaisie arrive ensuite en 3ème position (49 000 étudiants malaisiens à l’étranger ; 14% du total de l’ASEAN), suivie de la Thaïlande (29 000 ; 8%) et des Philippines (26 000 ; 7%). Seuls la Malaisie et Singapour accueillent plus d'étudiants internationaux sur leur territoire qu'ils n'en envoient à l’étranger (Graphique 6). Forte de sa large offre universitaire (595 établissements du supérieur, publics et privés[vii]), la Malaisie occupe la 13ème position mondiale en termes d’étudiants étrangers accueillis sur son territoire, avec 92 500 étudiants en 2021 (la majorité venant de Chine, puis du Bangladesh et d’Indonésie), soit 8% de sa population étudiante totale.

 

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En dehors de la Chine, les deux tiers des étudiants d'Asie du Sud-Est qui étudient à l'étranger privilégient les pays anglophones (AU, US, et UK ; 43% des étudiants) et nord asiatiques (KR et JP ; 24%), notamment en vue d’améliorer leurs perspectives de carrière[viii]. La proportion d'étudiants participant à la mobilité vers l'extérieur (93%) est nettement plus élevée que celle s'engageant dans la mobilité intra-ASEAN (7%). L’Australie reste la destination préférée des étudiants d’Asie du Sud-Est, accueillant près de 63 000 étudiants, soit 18% du total. Le Japon arrive en 2ème position avec 59 000 étudiants (17% du total), dont 73% de vietnamiens (43 000) ; une tendance également observée en Corée du Sud, à la 5ème position des pays d’accueil, avec 26 000 étudiants d’Asie du Sud-Est (dont 97% de vietnamiens). Les Etats-Unis (49 000 ; 14%) et le Royaume-Uni (38 000 ; 11%) arrivent respectivement aux 3ème et 4ème places. Les deux premiers pays d’accueil d’étudiants régionaux dans l’ASEAN, la Malaisie et le Vietnam, reçoivent respectivement 11 000 et 7 000 étudiants d’Asie du Sud-Est ; 3 fois moins que le Japon. Si les étudiants d'Asie du Sud-Est (ou leurs parents) avaient la possibilité de poursuivre des études à l'étranger avec une bourse, moins de 10% choisiraient un pays dans l'ASEAN  (Institut ISEAS-Yusof Ishak, 2023). Un quart d'entre eux opteraient pour les États-Unis, suivi du Royaume-Uni avec 15,9%, de l'Australie avec 14,6% et de l'Union européenne avec 13,4%. En revanche, seuls 5,4% choisiraient la Chine[ix].

La mobilité « Sud-Nord »[x] des étudiants d’Asie du Sud-Est vers les pays à revenu élevé s’inscrit dans une tendance plus historique de « fuite des cerveaux » dans la région : le nombre d'émigrants qualifiés de l'ASEAN vers les pays de l'OCDE est passé de 1,7 million en 2000 à 2,8 millions en 2010-2011. Les professionnels les plus qualifiés, lorsqu’ils en ont la possibilité, quittent le plus souvent leur pays à la recherche de meilleures opportunités dans les économies les plus avancées. D’après une enquête annuelle publiée par l’Institut ISEAS-Yusof Ishak en 2024, plus des trois quarts des professionnels qualifiés d'Asie du Sud-Est choisiraient de vivre ou travailler en dehors de l’ASEAN, principalement au Japon (17,1%) et aux États-Unis (15,9%). L'Union européenne (9,8%) se classe en 5ème position, derrière l'Australie (12%). La Chine ne recueille que 4,8% d’avis positifs sur la question. Parmi ceux qui préféreraient rester dans l’ASEAN (22,4%), Singapour arrive largement en tête (28%), suivi de la Thaïlande (13%), puis du Brunei, de l'Indonésie et du Vietnam (chacun à 9,7%)[xi]. Cette perte de capital humain, si elle peut notamment apporter des bénéfices sous forme de transferts financiers vers les pays d'origine (les Philippines sont le 4ème pays bénéficiant le plus de transferts de fonds de ses travailleurs à l’étranger ; 9% du PIB), compromet le développement de la région en privant les économies émergentes de leurs meilleurs talents dans des domaines clés (médecine, science, informatique, ingénierie, etc.).

 


[i] UNESCO. Effectifs par niveau d'enseignement. Disponible ici. Données extraites le 15 mai 2024. Nous nous intéressons ici aux trois derniers niveaux de la Classification internationale type de l’éducation (CITE) : Bachelor ou équivalent (niveau 6), Master ou équivalent (niveau 7) et Doctorat ou équivalent (niveau 8).

[ii] OECD (2023). OECD Skills Strategy Southeast Asia. Disponible ici. Plusieurs obstacles comme le sous-financement de la R&D, le manque d’infrastructures et l’absence de politiques efficaces pour retenir les talents locaux, sont des problèmes devant être réglés.

[iii] QS World University Rankings: Asia 2024. Disponible ici. Voir l’Annexe 2 « Liste des 10 meilleures universités en Asie du Sud-Est (Classement QS Asia University 2024) ».

[iv] NUS et ISAS (2021). Student Mobility in the Asia-Pacific and South Asia: Trends and Impact of COVID-19. Disponible ici. 21% des étudiants internationaux en Asie-Pacifique sont originaires d’Asie du Sud-Est mais les pays de l’ASEAN n’accueillent que 7% de ce total.

[v] UNESCO (2023). Outbound mobility ratio. Disponible ici. Données extraites le 13 mai 2024.

[vi] Rapporté à la population de chaque pays, le Vietnam envoie 6 fois plus d'étudiants à l'international que l'Indonésie, qui se classe dernière parmi les pays de l'ASEAN. Sur 100 000 Indonésiens, seuls 21 étudient à l'étranger, contre 138 pour le Vietnam, 330 pour Singapour et 520 pour le Brunei ; la moyenne de l’ASEAN se situant autour de 50 étudiants internationaux pour 100 000 habitants.

[vii] UNESCO (2022). Higher Education Report: [MALAYSIA]. Disponible ici.

[viii] Yue, C., R. Shreshtha, F. Kimura, et D. Ha (2019). Skills Mobility and Development in ASEAN. Disponible ici.

[ix] ISEAS-Yusof Ishak Institute. The State of Southeast Asia 2023. Disponible ici. Question : « Which country would be your first choice if you (or your child) were offered a scholarship to a university? ». Les États-Unis restent la destination la plus prisée parmi cinq États membres de l'ASEAN : le Myanmar (45,2%), le Vietnam (39,0%), Singapour (27,4%), la Thaïlande (27,1%), les Philippines (26,3%) et l'Indonésie (22,3%). Le Royaume-Uni est le choix prédominant à Brunei (35,8%), Singapour (30,3%) et en Malaisie (25%), tandis que l'Australie est la première option au Cambodge (32,1%) et au Laos (21,5%).

[x] En parallèle, dans l’ASEAN, les disparités économiques créent un flux migratoire unidirectionnel vers les pays les plus prospères : les migrations intrarégionales en Asie du Sud-Est sont majoritairement composées de travailleurs moins qualifiés, se concentrant principalement sur la Thaïlande, la Malaisie et Singapour, les trois pays les plus riches (par habitant) de la région. L’Asie du Sud-Est compte 11,6 millions de travailleurs migrants, soit 3,3% de tous les travailleurs. Plus de 92% des migrants sont intrarégionaux, contre 70% en 2015 et 45% en 1990. Les pays de la région doivent de plus en plus gérer des flux migratoires mixtes et complexes, incluant des travailleurs migrants, souvent irréguliers, et des migrations forcées.

[xi] ISEAS-Yusof Ishak Institute. The State of Southeast Asia 2024. Disponible ici. Question : « If I had a choice, I would like to live or work in this country ». Enquête menée auprès de 1 994 répondants, dont la majorité (55,8%) détient un diplôme de licence, suivie par 19,4% ayant une qualification post-secondaire/non-tertiaire et 18,3% ayant un niveau master. 6,6% des répondants ont un doctorat.