Au Vietnam, importations électriques et sécurité énergétique ne sont pas antinomiques
La sécurité énergétique est un objectif central du Vietnam, qui entreprend pourtant depuis les années 2000 d’importer de l’électricité depuis ses voisins à hauteur d’environ 2% de son bouquet énergétique. Essentiellement issues de l’énergie hydraulique, ces importations participent au verdissement du bouquet énergétique vietnamien. Elles sont également une aubaine financière. Leur développement n’est toutefois pas sans défi.
sécurité énergétique est un objectif central du Vietnam, qui entreprend pourtant depuis les années 2000 d’importer de l’électricité depuis ses voisins à hauteur d’environ 2% de son bouquet énergétique. Essentiellement issues de l’énergie hydraulique, ces importations participent au verdissement du bouquet énergétique vietnamien. Elles sont également une aubaine financière, le prix d’achat de l’électricité importée étant généralement inférieur aux prix pratiqués sur le marché national. Leur développement n’est toutefois pas sans défi (lignes de transmission, retard dans les projets, etc.) ni sans contradiction (génération de nouvelles dépendances, contribution à l’attrition du Mekong dont dépend l’agriculture et l’aquaculture vietnamienne en aval, etc.). Cette situation qui devrait logiquement amener le Vietnam à chercher à améliorer son efficacité énergétique afin de mieux maîtriser sa consommation.
1. Le Vietnam ne semble pas considérer les importations d’électricité comme contraires à sa « sécurité énergétique », hissée au rang de priorité absolue dans le domaine de l’énergie. Le terme « sécurité énergétique » est mentionné à sept reprises dans la huitième édition du PDP8, et figure en tête des « objectifs de développement » poursuivis par le plan[i]. Si l’utilisation de ce terme peut laisser entendre une volonté d’auto-suffisance en matière de production d’électricité, Hanoi assume néanmoins de recourir aux importations d’électricité : le Vietnam est un importateur net d’électricité depuis 2015 et ces importations devraient représenter 3,3% de son bouquet énergétique à horizon 2030 et 2% à horizon 2050[ii] . En volume comme en valeur, les importations devraient donc continuer à augmenter d’ici 2050. Il ne semble pas non plus que le Vietnam cherche activement à maîtriser les actifs situés à l’étranger en tentant d’y imposer des actionnaires vietnamiens. Par exemple, les capacités laotiennes approvisionnant le Vietnam peuvent aussi bien être contrôlées par des capitaux mixtes vietnamo-laotiens, que des capitaux laotiens ou étrangers (thaïlandais, chinois, français, etc.). Façon, peut-être, de réconcilier ces nécessaires importations avec l’impératif de « sécurité énergétique », le PDP8 précise néanmoins que le pays est intéressé à « investir et exploiter » lui-même les ressources énergétiques étrangères.
2. Dans un contexte de forte hausse de ses besoins en électricité, le Vietnam est incité à recourir davantage aux importations pour répondre à la demande croissante du nord du pays. Le Vietnam subi les conséquences d’un modèle de croissance énergivore entrainant une augmentation des besoins en électricité (augmentation de la demande d’environ 9,1% par an jusqu’en 2030[iii]) plus rapide que la croissance de son PIB (le PDP8 table sur 7% par an en moyenne sur la période). Depuis 2023, la région nord du pays fait face à des pénuries d’électricité[iv], en particulier pendant la saison sèche de mai à juillet ; et 3 630 MW d’électricité pourraient venir à manquer d’ici 2025 malgré la mise en service de la ligne à haute tension Quang Trach – Pho Noi en juin 2024 et l’entrée en service attendue des centrales hydrauliques de Ialy et Hoa Binh (840 MW). En parallèle, l’inertie de l’administration (le PDP8 a été publié avec près de trois années de retard ; le cadre juridique de nombreux secteurs demeure très incomplet ; etc.) et sa réticence à toute prise de risque (le document de mise en œuvre du PDP8 instaure notamment des quotas de création de capacités par province) dans un contexte d’intensification de la lutte anti-corruption depuis 2022, notamment dans le secteur énergétique (ce qui a aussi eu pour conséquence de dépeupler et de tétaniser le ministère de l’Industrie et du commerce, qui valide tous projets dans le secteur), n’a pas favorisé la mise en œuvre rapide de nouveaux projets. Enfin, la situation financière dégradée d’EVN obère les capacités du groupe à investir dans le réseau de transport[v] et les capacités de production ; elle a aussi conduit le groupe à différer certains paiements dus à ses fournisseurs, fragilisant leur équilibre financier et donc leurs capacités à lancer de nouveaux projets[vi].
3. Les importations d’électricité depuis le Laos sont actuellement les plus intéressantes pour le Vietnam qui importe chaque jour environ 7 M kWh par jour de son voisin, soit environ 1,6% de la consommation du nord du pays. Cette priorité accordée au Laos s’explique par la proximité du pays avec le nord du Vietnam, où sont situés les principaux besoins, ses importantes ressources hydrauliques susceptibles de contribuer à verdir le bouquet énergétique vietnamien, et, surtout, par des termes de l’échange très favorables. Dans le cadre de négociations intergouvernementales finalisées en 2016, Hanoi est en effet parvenu à sécuriser des contrats d’approvisionnement sur 25 ans à tarif fixe (6,95 cents USD / kwH[vii]), généralement inférieur à celui de la production nationale[viii]. Le Laos, auquel le Vietnam est actuellement relié par deux lignes de 220 KW, est ainsi la seule source externe d’électricité citée dans le PDP8, qui prévoit que le Vietnam importe au moins 3 000 MW de ce pays d'ici à 2025 et entre 5 000 MW et 8 000 MW d'ici à 2030[ix]. L’électricité importée du Laos provient essentiellement de sources hydrauliques, qui devait représenter 90% des importations d’ici 2025 (2 700 MW). Ces objectifs ne seront toutefois pas atteints (voir infra). Pour exploiter une partie de ces ressources (projets hydrauliques de Xekaman 1 et 3, projet éolien de Truong Son, etc.), le Vietnam et le Laos ont notamment créé en 2002 une co-entreprise, Viet Lao Power. L’exploitation des ressources énergétiques du Laos font du Vietnam le troisième investisseur étranger dans le pays (5,3 Mds USD).
4- Ce partenariat avec le Laos connaît néanmoins plusieurs limites. Alors que le Vietnam a déjà approuvé pour 2 700 MW d’importations d’électricité hydraulique depuis le Laos d’ici 2025, il ne devrait en importer qu’à peine la moitié (1 300 MW). En cause : des retards dans la mise en œuvre des projets, le retrait de certains investisseurs, et une production parfois en-deçà des niveaux prévus - le Laos subissant lui-même des épisodes de sécheresse… Par ailleurs, l’augmentation des importations d’hydro-électricité laotienne par le Vietnam est tributaire de la construction par le Laos de nouveaux barrages sur le Mekong. Or, celle-ci fait l’objet de protestations régulières de la part du Vietnam, notamment du fait de leur impact sur l’agriculture et l’aquaculture en aval. Les importations d’énergie éolienne pourraient ainsi être favorisées à l’avenir, à l’instar du projet Monsoon (600 MW)[x]. La pleine exploitation de ce potentiel est toutefois conditionnée par des investissements significatifs dans les infrastructures de transport reliant les deux pays et les sous-stations[xi]. Le réseau vietnamien, notamment dans la province de Quang Tri, doit également être mis à niveau pour pouvoir absorber davantage d’électricité (notamment intermittente) depuis le Laos[xii]. Enfin, l’intérêt croissant de la Chine, de la Thaïlande, du Cambodge et de Singapour pour l’énergie hydraulique laotienne pourrait participer à augmenter son prix et à rendre moins intéressantes ces importations.
5- Bien qu’encore modestes, des importations d’électricité depuis d’autres sources – la Chine principalement - existent aussi, et pourraient être amenées à augmenter en cas de recrudescence des pénuries d’électricité. Le Vietnam semblant attacher une importance plus importante à la continuité de son approvisionnement en électricité qu’à l’intégration des réseaux au sein de l’ASEAN[xiii], le pays importe également de l’électricité de Chine depuis 2005. Suspendues à partir de 2016, les importations ont repris à partir de 2023 dans un contexte de pénurie d’électricité dans le nord du Vietnam. Un accord entre China Southern Grid et EVN a été étendu en janvier 2022 pour organiser l’exportation vers la région nord du Vietnam d’environ 4000 M kwH jusqu’en 2025[xiv]. Les importations atteindraient actuellement environ 4 M kWh par jour, soit un peu moins de 1% de la demande du nord du pays. Ces importations sont aussi très rentables pour le Vietnam, puisque vendues au prix de 0,47 CNY / kwH (environ 6,6 cents USD), tout en contribuant à verdir le bouquet énergétique national : plus de 90% de l’électricité importée de Chine serait issue d’énergie « propre ». Les quatre lignes de transport entre les deux pays (trois depuis le Yunnan, une depuis le Guangxi) permettent théoriquement d’augmenter relativement rapidement les importations [xv] - au risque toutefois d’approfondir la dépendance de l’économie régionale aux intrants chinois. Encore très limités, des échanges d’électricité ont aussi cours entre le Vietnam et le Cambodge[xvi].
6- Afin d’alimenter ses centrales thermiques, le Vietnam est aussi un importateur net de charbon (qui représente 33% des capacités installées vietnamiennes et 46% de la production en 2023) et de pétrole brut (2%), dont le pays cherche à diversifier les sources d’approvisionnement. En 2022, plus de 36% du pétrole et plus de 50% du charbon consommé au Vietnam provenaient ainsi de l’étranger[xvii]. En sus de remettre en cause les engagements climatiques du Vietnam, cette situation rend le pays particulièrement vulnérable à tout phénomène de volatilité de prix ainsi qu’à tout risque de rupture d’approvisionnement. Bien que le PDP7 mentionnait la nécessité de réduire la dépendance du pays aux sources d’énergie importées, les difficultés rencontrées pour augmenter les capacités de production nationales d’ENR rendent de telles importations nécessaires pour pouvoir continuer à offrir une électricité stable et bon marché aux acteurs économiques. Aussi la production et les importations de charbon, en particulier, ont-elles eu tendance à augmenter depuis 2023 (+61% en 2023 ; +80% sur les trois premiers mois de 2024), et la priorité est-elle aujourd’hui de diversifier les sources d’approvisionnement. Même si le pays n’est pas un producteur majeur, les importations depuis le Laos devraient ainsi augmenter d’ici 2025, afin de prendre le relais des importations depuis l’Australie et l’Indonésie, notamment. A partir de 2030, près de 15% des capacités installées devraient par ailleurs être nourries par du GNL importé, augmentant d’autant la dépendance du Vietnam à des approvisionnements étrangers.
Commentaires : les importations d’électricité du Vietnam sont bien antérieures aux pénuries rencontrées par le pays et semblent avoir eu pour premier motif le faible coût de l’électricité importée. Les blackouts récents ont néanmoins conféré à ces importations un nouveau caractère d’urgence, qui devrait amener Hanoi à y recourir davantage au cours des prochaines années – au déplaisir de certains de députés vietnamiens, qui ont récemment fait remarquer que le pays disposait de vastes ressources d’énergie renouvelables en attente d’exploitation… Même si le PDP8 n’attache qu’une importance très limitée à l’efficacité énergétique, une meilleure maîtrise de sa consommation par le Vietnam semble incontournable pour atteindre la sécurité énergétique à laquelle aspire le pays
[i] Le Power Development Plan 8 est le document programmatique clef du secteur de l’énergie au Vietnam. Il précise notamment les objectifs de production pour 2030 et 2050 par source d’énergie, les projets de développement du réseau, et conditionne la réalisation de tout projet dans le secteur.
[ii] Le PDP8 mentionne la nécessité de travailler à l’interconnectivité des réseaux (via des lignes de 500 kV et de 220 kV, actuellement à l’étude) au sein de l’ASEAN, afin d’« augmenter les importations d’électricité depuis l’ASEAN et les pays du bassin du Mekong disposant d’un important potentiel hydraulique ».
[iii] Ces prévisions semblent par ailleurs relativement conservatrices. A titre d’exemple, les prévisions de demande d’électricité durant la saison sèche (mai – juillet) de 2024 ont récemment été revues à la hausse : +13% par rapport à la même période de l’année 2023, au lieu des 9,6% initialement envisagés ; +17% dans le nord du pays.
[iv] Selon une filiale d’EVN, le nord du Vietnam devrait en effet être à nouveau confronté à une pénurie d'électricité d'environ 1 200 à 2 500 MW entre mai et juillet 2024. Il a été demandé à plusieurs grands groupes industriels du nord du pays de réduire leur consommation électrique (de 30% dans certains cas).
[v] EVN détient le monopole du transport et de la distribution d’électricité.
[vi] En entre juin et décembre 2023, 15 entreprises du secteur des énergies renouvelables rencontrent des difficultés à rembourser leurs dettes, notamment du fait de retards de paiement de l’entreprise d’Etat Electricité du Vietnam (EVN).
[vii] Le Vietnam cherche actuellement à renouveler ces accords, qui expirent en 2025.
[viii] Ces prix semblent toutefois ne s’appliquer pour un nombre défini de projets. En effet, en janvier 2024, le prix d’achat de l’hydroélectricité produite par le projet de Xekaman 3 avait été négocié de manière ad hoc.
[ix] A horizon 2050, il est prévu que les importations atteignent « environ 11 000 MW » (37 Mds kWh). Ces objectifs sont en partie issus d’un protocole d’entente signés en 2016 entre les deux gouvernements. Au 8 janvier 2024, EVN avait déjà signé 19 contrats d'achat d'électricité portant sur près de 2 700 MW provenant de 26 centrales hydroélectriques au Laos, à l'occasion d'une visite du premier ministre vietnamien dans le pays. La maturité des projets et la disponibilité ou non de lignes de transmission pouvant véhiculer l’électricité produite vers le Vietnam n’a pas été précisée.
[x] Il s’agirait du plus grand projet éolien de la région ASEAN. L’intégralité de l’électricité produite doit être vendue à l’électricien vietnamien, EVN.
[xi] C’est en particulier le cas pour certains projets d’énergie éolienne non nécessairement localisés à proximité des lignes existantes.
[xii] 4 150 MW auraient ainsi été proposés à l’export par le Laos, un volume qu’EVN n’estime pas être en mesure de pouvoir absorber à ce stade eu égard l’état actuel des infrastructures de transmission.
[xiii] Le Vietnam compte deux des 18 lignes de transmission identifiées dans le cadre de l’ASEAN Power Grid (Vietnam – Laos ; Vietnam – Cambodge). Les deux projets ont été identifiés dès 2004 mais n’ont pas encore été construites et ne font pas partie des lignes prioritaires.
[xiv] En baisse par rapport aux 7500 M kwH prévus sur la période 2016-2020, qui n’ont toutefois semble-t-il pas été totalement importés.
[xv] Les réseaux des deux pays sont reliés par deux lignes de 110 kV reliant Hekou (Yunnan, Chine) à Lao Cai (Vietnam) et Wenshen (Yunnan, Chine) à Ha Giang. Une troisième ligne de 110 kV relie Shengou à Mong Cai (elle est en service depuis septembre 2004). Et une quatrième ligne, de 220 kV, relie la Chine à six provinces du nord du Vietnam.
[xvi] 0,25 GW d’importations nettes par le Cambodge depuis le Vietnam en 2023 – mais le Cambodge peut également exporter vers le Vietnam durant certaines périodes de l’année. Une ligne de transmission existe, qui relie Chau Doc à Takeo puis Phnom Penh.
[xvii] Selon certaines sources, Vinacomin a fourni 39,85 M tonnes du charbon dédiées la production de l’électricité en 2023. En y ajoutant les 51,1 M tonnes du charbon importées, la consommation de charbon serait de 90,95 M tonnes (dont 56,2% de charbon importé).
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