Premier producteur de pétrole et troisième producteur de gaz d’Afrique, le Nigéria souhaite remettre son secteur pétro-gazier en ordre afin de soutenir son économie et le budget fédéral. Trois nouveaux décrets ont été signés en mars par le président Bola Tinubu, ils devraient être propices aux investissements dans le secteur et permettre d’atteindre les objectifs de production en 2025.

 

I/ Trois décrets réforment la fiscalité, les procédures et délais de passation de marché, et le contenu local dans le secteur pétro-gazier

Entre 2015 et 2019, le pays n'a représenté que 5 % des investissements dans le pétrole et le gaz en Afrique, bien qu'il détienne 38 % des réserves d'hydrocarbures du continent. Afin d’améliorer le climat d'investissement et de faire du Nigéria la destination privilégiée des investissements dans ce en Afrique, le Président Bola Tinubu a signé le 6 mars dernier trois décrets. Ils viennent compléter le Petroleum Act de 2021 qui avait déjà ramené une certaine confiance et visibilité, notamment fiscale, pour les acteurs du secteur. Le renforcement des mesures de sécurité dans le delta du Niger avait également permis un rebond de la production en 2023 par rapport à 2022. Plus précisément, ces décrets visent à mettre en place des incitations fiscales, à rationaliser les procédures et délais de passation de marchés, et à améliorer la rentabilité des exigences en matière de contenu local.

(1) Incitations fiscales :

Crédits d'impôt sur le gaz pour les nouveaux projets d'exploitation de gaz non associé (GNA)

Ces crédits s'appliqueront aux nouveaux projets d'exploitation de GNA sur terre et en eaux peu profondes, et seront plus avantageux pour les projets dont la première production de gaz interviendra avant le 1er janvier 2029. Les crédits d'impôt sur le gaz devraient s'appliquer pendant une période maximale de 10 ans.

Déduction pour investissement dans l'utilisation du gaz

Un abattement de 25 % sur les investissements en installations et équipements pour l'utilisation du gaz dans le cadre de tout projet nouveau ou en cours dans l'industrie intermédiaire du pétrole et du gaz.

Mesures d'incitation pour les projets pétroliers et gaziers en eaux profondes

Les ministères des Finances et du Pétrole devront prendre des mesures pour inciter la NNPC à mettre en œuvre des mesures commerciales pour les nouveaux investissements en eaux profondes.

(2) Rationalisation des procédures et délais de passation des marchés :

Ce décret s'attaque aux problèmes de procédures qui favorisent la corruption, entravent la rapidité des signatures de contrats et induisent des surcoûts. Il porte à 10 M USD le « seuil d'approbation des contrats ». Cela signifie que les contrats d'une valeur inférieure à 10 M USD ne devront plus être soumis à l'approbation de la NNPC ou de ses filiales. Une autre règle prévoit que la NNPC et la NNPC Upstream Investment Management Services (NUIMS) doivent délivrer leurs approbations pour les contrats et les passations de marché dans un délai de 15 jours à compter de la date de soumission de la demande par la partie concernée du Production Sharing Contract (PSC) et Joint Operating Agreements (JOA). La durée des contrats passés avec des tiers dans le cadre d'un PSC ou d'un JOA passe également de 3 à 5 ans, avec la possibilité de les renouveler pour deux années supplémentaires après l'expiration de la période initiale de trois ans. Ce décret vise aussi à ramener le cycle de passation des marchés à 4-6 mois afin de réduire le calendrier des projets et d'accélérer la livraison des produits pétro-gaziers sur le marché.

(3) Réforme des pratiques en matière de contenu local :

Ce décret vise à garantir que le conseil du contenu local, le Nigerian Content Development and Monitoring Board, n'agisse pas d'une manière qui entrave les investissements ou le coût de la compétitivité des projets pétroliers et gaziers. Il sera désormais mandaté pour ne pas approuver un plan de contenu nigérian qui contient des entités intermédiaires n'ayant pas la capacité de fournir les services et qui démontre « un manque de capacité réelle, substantielle et tangible » pour exécuter de manière indépendante des projets au Nigéria.

 

II/ Ces réformes marquent une avancée importante pour le secteur selon ses acteurs, qui restent néanmoins prudents quant à la diminution effective des délais de passation de marché

Des retours particulièrement enthousiastes des acteurs de terrain, bien que prudents

D’après les retours des acteurs du secteur, l’adoption de ces décrets est une excellente nouvelle pour l’industrie pétro-gazière, l’emploi et l’économie du pays, et envoie un message très positif aux investisseurs étrangers. Elle constituerait le changement législatif le plus positif des vingt dernières années dans le secteur.

Le décret relatif aux incitations fiscales devrait faire avancer de nombreux projets gaziers qui étaient envisagés et aura un effet domino sur l’emploi et l’économie. Il incite ainsi les compagnies à davantage limiter le torchage. Différentes Final investment decision (FID) en greenfield et en browfield pourraient rapidement voir le jour.

Le décret relatif au contenu local est également accueilli avec enthousiasme par les International Oil Companies (IOCs) qui pointaient du doigt des règles contreproductives pour dynamiser du secteur en ce qu’elles permettaient à des entreprises locales avec un bon réseau de se positionner comme intermédiaire, et ainsi de prélever une « taxe », pour donner une caution locale sans pour autant créer de valeur locale ni être nécessaire à l’opération. Cette mesure permettra de réintroduire de « l’égalité » dans la concurrence entre entreprises locales et IOCs. Ce décret est aussi une réponse à l’ampleur du phénomène « japa ». Une fois formés, de nombreux employés nigérians du secteur partent à l’étranger, où ils sont perçus comme des employés qualifiés, travailleurs et bon marché.

Enfin, le décret relatif aux approbations de contrats de JOA et dans les contrats publics sera le décret qui aura le plus gros effet et le plus rapidement selon les acteurs du secteur. Il permettra de faire avancer les appels d’offre (AO) bloqués pour certains depuis des années et au secteur privé d’avancer plus librement et rapidement et d’éviter un certain nombre de pressions financières de la part d’autorités publiques ou de « fausses » entreprises de contenu local. Ce décret permettra surtout de favoriser les entreprises les plus sérieuses (IOCs et compagnies indigènes majeures) et de mettre en difficulté celles qui profitaient de « faux accords » avec la NNPC pour financer artificiellement leur activité sur les fonds de l’Etat en détournant une part importante. En revanche, les acteurs de terrain jugent illusoire, du moins à court terme, de penser que l’objectif de réduction des délais sera effectif dans la réalité, cela nécessiterait de passer d’une moyenne de 36 à 4-6 mois pour les Appels d’offres (AO).

Ces décrets sont l’aboutissement de discussions engagées avec les IOCs et de conseils de proches du Président

Ces décrets sont le résultat d’un lobbying intense de l’industrie pétro-gazière, des IOCs notamment, et plus précisément de TotalEnergies. Si le sujet des incitations fiscales est relativement récent, les deux autres sujets (procédures des contrats et contenu local) étaient en discussion depuis au moins 15 ans. Ces décrets sont aussi le résultat de la nomination d’Olu Verheijen comme conseillère spéciale du président Tinubu sur l’énergie et des recommandations de son « shadow cabinet ». Ce mode de gouvernance n’est pas une surprise puisque Bola Tinubu avait déjà procédé de la sorte lorsqu’il était gouverneur de Lagos.

En procédant par décret, le président Tinubu fait acte d’autorité et évite les écueils de la procédure parlementaire où les intérêts de NNPC notamment sont bien représentés. Il convient de relever que la pratique des executive orders n’a pas de base constitutionnelle claire et qu’avant les mandats de Muhammadu Buhari, aucun président nigérian civil n’y avait eu recours. Ce dernier faisait face à une Assemblée nationale qui risquait de paralyser son action comme Bola Tinubu aujourd’hui qui est contraint de relancer la production pétrolière dans les plus brefs délais. S’il prend le risque de marginaliser ses ministres et le Parlement nigérian, il s’expose également à des recours contentieux, mais qui seraient également très risqués politiquement. En effet à ce stade aucun intérêt frustré par ces réformes ne s’est manifesté pour aller à l’encontre de ces réformes.

 

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Commentaire : Au cours des dernières années, le Nigéria a connu une baisse de la production de pétrole brut due à des vols endémiques, au désinvestissement des compagnies pétrolières internationales dans les champs terrestres et au manque d'investissement dans l'industrie dû au manque de visibilité fiscale notamment. Toutefois, l'administration du président Tinubu, qui a pris ses fonctions en mai 2023, entend restaurer la confiance dans l'industrie pétro-gazière et atteindre un objectif de production de pétrole brut de 4 mbj d'ici 2030.

Dans le budget 2024, le gouvernement fédéral a fixé un objectif de production de référence de 1,78 mbj pour atteindre les projections de revenus. Le gouvernement fédéral a également prévu un prix de référence du pétrole brut de 77,96 USD dans le budget. Le prix moyen du pétrole brut dépasse 80 USD depuis janvier et atteinte même plus de 90 USD en ce mois d’avril, plus que le prix de référence du Nigeria. Néanmoins le niveau de production n’a atteint que 1,43 mbj en janvier, 1,32 mbj en février et 1,2 mbj en mars 2024. Le Nigéria a ainsi perdu sa place de premier producteur de pétrole en mars dernier au profit de la Libye. S’il continue de ne pas atteindre l'objectif de production de pétrole de 1,78, cela constituera une menace pour la mise en œuvre du budget de l'année en entraînant une baisse des recettes fiscales, et mécaniquement une augmentation du déficit. Pour rappel le quota de production fixé par l’OPEP au Nigéria pour l’année 2024 est de 1,5 mbj contre 1,7 mbj auparavant.

Les trois décrets adoptés par le Président Tinubu sont accueillis avec un enthousiasme particulier par les IOCs et les grandes compagnies locales qui soulignent leur potentiel réel pour augmenter les investissements. Les objectifs de production en 2024 pourraient donc être difficiles à tenir mais les investissements qui suivront ces réformes devraient permettre d’atteindre l’objectif de production de plus de 1,7 mbj dès 2025. Néanmoins, les mesures prises pour favoriser les investissements et augmenter la production ne pourront être efficaces qu’en parallèle d’une lutte renforcée contre les activités criminelles dans la région du Delta et de la réparation des pipelines. En effet les analyses les plus pessimistes de certains acteurs du secteur estiment que le niveau de production pétrolière réel au Nigéria serait d’environ 2,4 mbj mais que 600 000 bj disparaîtraient du fait de vols et 400 000 bj du fait de pertes.