Environ 90 millions d’habitants sont privés d’électricité au Nigéria où la défaillance des infrastructures ne permet pas de répondre à la demande. Si la libéralisation du secteur à partir de 2005 n’a pas porté ses fruits, l’Electricity Act 2023 pourrait permettre de contribuer à l’atteinte des objectifs ambitieux du gouvernement. L’AFD a développé une expertise dans le secteur de l’électricité renouvelable au Nigéria, elle contribue au financement de cinq projets pour près de 400 M EUR.

 

1. La capacité énergétique reste insuffisante face à une demande croissante, malgré les réformes structurelles du marché de l’électricité mises en place depuis 2005

Une capacité électrique insuffisante

Bien que la puissance totale installée au Nigéria de près de 14 000 MW représente plus de la moitié de celle de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, le Nigeria ne produit qu’en moyenne 4 000 MW d'électricité. La faute notamment à une capacité électrique effective disponible sur le réseau comprise entre 4 000MW et 6 000MW. Cette capacité est largement inférieure à la demande, estimée à 30 000 MW, qui devrait atteindre 45 000 MW en 2030. Cet écart s’explique par les limites de capacité du réseau de transport et de distribution, l’obsolescence et le manque de maintenance des infrastructures de production et le problème d’approvisionnement en gaz des centrales. En effet, le réseau électrique national, long de 20 000 km, est largement approvisionné par des centrales au gaz (80 %) et des centrales hydroélectriques (20 %). Le taux de pertes d’électricité lors de la transmission et de la distribution atteindrait 53% du fait de l’état des infrastructures. L’accès à une source d’énergie stable reste une des principales contraintes des entreprises[i].

Le Nigéria compte le plus grand nombre de personnes sans accès à l’électricité au monde. Environ 90 millions de Nigérians n'ont pas accès au réseau électrique national, soit 40% de la population. Parmi ceux y ayant accès, 79 % des ménages et des entreprises nigérians reçoivent moins de 10 heures d'électricité par jour. Les délestages récurrents obligent une large partie de la population et la quasi-totalité des entreprises à se doter de groupes électrogènes coûteux et polluants[ii].

Si la libéralisation du secteur depuis 2005 n’a pas permis de répondre aux besoins, l’Electricity Act 2023 pourrait contribuer à améliorer l’accès à l’électricité

En 2005, la défaillance chronique du secteur de l’électricité avait conduit à l’adoption de la loi sur la réforme du secteur de l'électricité (EPSRA), qui devait mettre fin au monopole de la National Electric Power Authority (NEPA), qui assurait à elle seule la production, le transport et la distribution de l’électricité dans le pays. La loi a ainsi créé la holding publique PHCN, anciennement NEPA, et l’a scindée en 18 compagnies publiques, dont six sociétés de production (GenCos), onze sociétés de distribution (DisCos) et une société de transport d’électricité, la Transmission Company of Nigeria (TCN), avec l’objectif de les privatiser à terme. La EPSRA a également créé la Commission nigériane de régulation de l’électricité (NERC), en charge notamment de réguler les tarifs, ainsi que l’Agence nigériane d'électrification rurale (NREA), qui devait faciliter la fourniture d’électricité dans les zones rurales et périurbaines.

La mise en place de la feuille de route pour la réforme du secteur de l’électricité en 2010 a ensuite abouti à une transformation importante du secteur en 2013. La PHCN est démantelée et les Gencos et Discos qui la composaient sont privatisées - la TCN restant publique - certaines centrales sont réhabilitées et des contrats d’achats d’électricité sont signés auprès de nouveaux producteurs indépendants (Independant Power Producers – IPPs). Aujourd’hui, le secteur comprend ces six mêmes GenCos, onze DisCos, la TCN et des IPPs. La société étatique Nigeria Bulk Energy Trader (NBET) a été créée en 2010 afin de faire le lien entre les sociétés de GenCos et les DisCos et de gérer les contrats de vente et d’achat d’électricité en attendant la mise en place d’un marché de gros. Elle achète ainsi de l'électricité en gros auprès des IPPs et des GenCos pour la revendre aux DisCos. Une évolution importante a néanmoins eu lieu en janvier 2024 avec l’arrêté tarifaire pluriannuel (MYTO) de la NERC, qui autorise désormais les DisCos à acheter directement l'électricité auprès des GenCos, sans passer par la NBET. L'efficacité des accords bilatéraux entre GenCos et DisCos dépendra de la solvabilité des DisCos. Il est pour cela nécessaire que les tarifs reflètent les coûts afin de garantir des rendements commercialement viables.

En juin 2023, le gouvernement du Nigeria a adopté la loi sur l'électricité (Electricity Act 2023), qui abroge la loi EPSRA. L’Electricity Act est la réforme la plus importante du secteur depuis la réforme de 2005 qui ouvrait la porte à une privatisation de ce dernier. Cette réforme vise à créer un cadre réglementaire holistique qui favorise les investissements privés, le déploiement des énergies renouvelables, un meilleur accès à l’électricité et la transparence à l’égard du consommateur. L’apport principal de cette loi réside dans le fait décentraliser et de dé-monopoliser le secteur en habilitant les États fédérés à élaborer des législations et à créer des agences de régulation afin de créer des marchés locaux pour la production, le transport et la distribution d’électricité. Une fois le cadre législatif et régulatoire créés, les Etats fédérés pourront délivrer des licences aux investisseurs privés qui seront alors autorisés à mettre en place et à exploiter des mini-réseaux et des centrales électriques dans l'État fédéré[iii]. La loi exclut néanmoins la distribution interétatique et transnationale de l'électricité provenant de ces réseaux locaux. Cette nouvelle législation devrait permettre d'améliorer l'accès à une énergie électrique abordable et durable dans toutes les zones[iv]. Les incitations administratives et fiscales prévues par la loi doivent aussi stimuler le marché des énergies renouvelables encore peu développées au Nigéria.

 

 2. Des projets d’investissements ambitieux, en partie portés par Siemens, et pour lesquels le gouvernement essaye de trouver des financements et d’assainir le secteur

Le Nigéria a trois objectifs clés à long terme pour le secteur électrique : étendre sa capacité installée sur le réseau national à 30 GW d’ici 2030, avec 30% du mixte énergétique provenant d’énergies renouvelables, atteindre l'électrification universelle d'ici 2040, et réduire ses émissions dans sa contribution déterminée au niveau national (CDN) afin d’atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050. Pour atteindre ces objectifs le Nigéria a adopté en 2022 un plan de transition énergétique (ETP). Néanmoins, l’atteinte de ces objectifs semble à ce jour irréaliste[v].

Pour atteindre ces objectifs, le gouvernement nigérian avait notamment signé un protocole d’entente en 2018 avec le gouvernement allemand et le géant allemand Siemens dans le cadre de l’Initiative présidentielle en matière d'énergie (Presidential Power Initiative - PPI). Cet accord vise à transformer le secteur de la transmission et de la distribution du Nigéria à travers un prêt de 2,3 Md USD. Le projet prévoyait initialement de faire passer la capacité installée sur le réseau national de 5000 MW en 2019 à 7000 MW en 2021, 11 000 MW en 2023 et 25 000 MW en 2025. Celui-ci a néanmoins été retardé, à cause du covid-19 notamment, et les objectifs ont été repoussés de 5 ans à l’horizon 2030, ce qui semble ambitieux. Les autorités nigérianes se concentrent actuellement sur la première phase qui doit permettre d’augmenter la capacité du réseau à 7000 MW d’ici 2025.

Le gouvernement continue de lever des fonds, auprès de la Banque mondiale notamment, pour financer le secteur. La Banque mondiale avait accepté l’octroi d’un prêt de 3 Mds USD en octobre 2019 pour améliorer le réseau de production et distribution. En février 2021, un nouveau prêt de 500 M USD a été accordé avec pour but de soutenir les DisCos. En avril 2024, le gouvernement a annoncé qu’il allait subventionner l'énergie solaire au Nigeria grâce à un prêt de 750 M USD de la Banque mondiale. Il s’est ainsi engagé à stimuler le développement des mini-réseaux solaires dans les zones non desservies ou mal desservies en accordant des subventions aux développeurs et aux opérateurs[vi].

Le Bureau des entreprises publiques souhaite vendre les 40 % d'actions restantes du gouvernement fédéral dans les DisCos et quatre autres actifs[vii] en 2024. Cet effort de privatisation doit réduire la charge fiscale du gouvernement et permettre aux investisseurs de participer de manière optimale à ce marché. Afin de réduire la charge budgétaire des subventions à l'électricité pour le gouvernement (645 Md NGN en 2023), la NERC a annoncé en mars 2024 fixer un tarif de 225 NGN/KWh pour les consommateurs d'électricité de la bande A contre 66 NGN/KWh auparavant. Cette augmentation de 240 % implique la suppression totale des subventions à l'électricité pour les clients de la bande A, qui représentent 15 % des ménages dans les zones urbaines du Nigéria et consomment 40 % de l'électricité du pays. Cette décision représente un changement significatif vers l'abandon des subventions à l'électricité[viii]. En effet, le problème de la dette du secteur est un frein majeur à son bon développement et le gouvernement semble s’y attaquer. L'endettement de l’Etat auprès des GenCos et des sociétés de gaz (GasCos) s'élève à 3000 Md NGN (2000 Md NGN dus aux GasCos et 1300 Md NGN aux GenCos). Cette situation a limité les investissements nécessaires au maintien des flux d'approvisionnement, à l'expansion des capacités et à l'amélioration des infrastructures. Elle a également rendu le secteur peu attrayant pour les investisseurs ou prêteurs. Le gouvernement s’est engagé à commencer à payer ce qu’il doit aux GenCos et GasCos à partir de ce mois d’avril 2024. Plus de 120 M USD auraient déjà été versés en avril.

 

3. La présence française dans le secteur se densifie, notamment dans la filière des énergies renouvelables

Le Nigéria souhaite augmenter sa génération d’électricité renouvelable en s’appuyant notamment sur la génération hors-réseau. Les acteurs français présents dans les énergies solaire et hydraulique pourraient se positionner.

L’AFD a développé une réelle expertise dans le secteur de l’électricité au Nigéria, elle dispose aujourd’hui d’une forte visibilité auprès des autorités locales et parmi les bailleurs. Cinq projets de l’AFD sont en cours. Afin d’améliorer le réseau de transmission et de distribution un prêt de 170 M USD a été accordé pour le programme d'alimentation d'Abuja (2014 – 2024) ainsi qu’un prêt de 202 M EUR pour le projet Corridor Nord[ix]. Afin de soutenir le développement des énergies renouvelables dans le mixte électrique et promouvoir l'efficacité énergétique, un prêt de 75 M EUR a été accordé pour le projet Scale Up Solar (2023 – 2030). Pour soutenir le développement des énergies renouvelables hors réseau, l'AFD explore actuellement le développement de projets d'accès hors réseau et s’apprête à participer au programme DARES de la Banque mondiale. Enfin, pour améliorer la gouvernance, l'organisation et les capacités techniques du secteur de l'électricité, l’AFD a accordé une subvention de 750 000 EUR[x]. Proparco a investi en equity dans les entreprises d’énergie renouvelable Rensource à hauteur de 3 M USD en 2019 et Daystar Power pour 5 MUSD en 2021. En 2015, Proparco avait financé la centrale à gaz d’Azura à Benin City (461 MW). Deux investissements en equity de 2.5 M USD chacun sont actuellement en cours dans une société d’énergie solaire et dans une société qui agit sur l’efficience énergétique du réseau de distribution.

Le SER travaille sur un projet de FASEP avec l’Etat d’Abia et Schneider Electric pour l’électrification de marché rural via des mini-réseaux solaires (550 000 EUR) ainsi qu’un projet de FASEP avec l’Etat d’Oyo et Fonroche pour l’éclairage solaire de routes agricoles. Le ministère des Finances nigérian a également manifesté son intérêt pour un FASEP pour des mini centrales hydrauliques à la confluence du fleuve Niger et du fleuve Benue dans l’Etat de Kogi. Les discussions sont lancées et un FASEP pourrait être mis en place avec l’entreprise Océan Solution Energie (OSE) pour financer un projet de mini centrale hydro-électrique dans l’Etat de Katsina.

Engie Energie Access Nigeria (EEA) propose des systèmes solaires domestiques[xi], permettant l'éclairage et le chargement d'appareils électroniques, payable via de l’argent mobile. L’entreprise emploie 150 personnes dans plus de 40 magasins. Associée avec le fonds d’investissement Crossboundary, EEA Nigeria bénéficie également d’un programme de subventions de la Banque mondiale (lancé en 2017, 50 MUSD) pour la conception et l’installation des mini-réseaux solaires appartenant à Crossboundary. A terme, EEA compte déployer 140 mini-réseaux dans le pays. RTE International a signé un contrat d’ingénierie de 6,5M EUR (financé par l’AFD) avec TCN pour un projet de construction et de réhabilitation de centaines de kilomètres de lignes et de plusieurs postes 330 kV dans le nord du pays. Il sera raccordé au projet Corridor Nord du WAPP sur le poste de Kalgo. Les études techniques viennent de se terminer, les travaux devraient commencer en début d’année 2025. En novembre 2023, le fonds français Echosys a signé un MOU avec Rensource concernant une tranche de financement de 15 M EUR pour l’installation de centrales solaires hors-réseau, ainsi qu’un MOU de 20 M USD sur 10 ans avec Watt Renewables par lequel le fonds Afrigreen fournira un financement pour les centrales solaires construites par Watt Renewables au Nigeria. Echosys a en effet levé le fonds de dette « Afrigreen » de 100M EUR en 2023, dédié aux énergies renouvelables, dont un quart devrait être déployé au Nigéria. Enfin, TotalEnergies Nigeria développe plusieurs projets solaires hors-réseau, notamment la construction de la centrale solaire de Katsina (Nord-Ouest), et des projets d'électrification rurale par l'intermédiaire de sa filiale Total Eren. Sa filiale Maxeon Solar Technologies commercialise également des panneaux solaires dans le pays.

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[i] En 2021, la Banque mondiale estimait que le manque de fiabilité du réseau électrique coûterait 29 Md USD chaque année aux entreprises nigérianes.

[ii] Agrégés, ces générateurs produiraient près de la moitié de l'électricité du pays et auraient une capacité de 14 GW, soit près de quatre fois plus que ce que le réseau national peut fournir.

[iii] Les licences qui peuvent être obtenues sont les licences de production d'électricité, de transport d'électricité, de distribution d'électricité, de fourniture d'électricité, de commerce d'électricité et d'exploitation de système.

[iv] Avec l'introduction d'un marché parallèle de l'électricité dans les États, les clients pourront décider de rester connectés au réseau national ou d'opter pour un opérateur de mini-réseau agréé par l'État dans lequel ils résident et la participation des entités privées aux différents aspects de la chaîne de valeur de l'électricité sera facilitée, ce qui doit favoriser la concurrence et l’innovation.

[vi] Ces subventions seront déployées à travers le projet DARES (Distributed Access through Renewable Energy Scale-up) de la Banque mondiale. L'objectif principal est d'accroître l'accès à l'électricité pour les ménages et les micros, petites et moyennes entreprises.

[vii] Eleme Petrochemicals Company, Nigeria Re-Insurance, Nicon Insurance et Nigeria Machine Tools.

[viii] Vivement contestée, la NERC affirme que le gouvernement aurait besoin de dépenser 3200 Md NGN en subventions d’électricité s’il ne procédait pas à cette hausse des tarifs.

[ix] Le projet Corridor Nord fait partie du West Africa Power Pool (WAPP) qui vise à développer un marché régional de l'électricité en Afrique de l’Ouest. Le projet Corridor Nord vise aussi distribuer l'énergie solaire produite par les producteurs indépendants dans le nord du pays.

[x] Cette subvention doit contribuer à développer la vision nationale de décarbonisation, ce qui implique principalement le renforcement des capacités des parties prenantes scientifiques locales et des décideurs, ainsi que des études analytiques.

[xi] Systèmes conçus aux États-Unis et en Allemagne