Les engrais minéraux en AEOI : un secteur stratégique pour les économies, des disparités considérables de consommation, globalement faibles, et une dépendance aujourd’hui quasi-totale aux importations

Les économies des pays de l’AEOI sont, aux exceptions notables de Djibouti, Maurice et des Seychelles, très dépendantes de l’agriculture pour fournir des emplois, obtenir des devises et pour assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle. La productivité agricole est ainsi un enjeu majeur, pour les cultures vivrières et d’exportation : la disponibilité en quantité et qualité des engrais minéraux, aux bons moments et aux bons endroits, accessibles financièrement, est ainsi une priorité affichée de toutes les politiques agricoles, avec globalement des mauvais résultats. Les niveaux de fertilisation sont très disparates dans la région, partant des plus faibles à l’échelle mondiale et allant jusqu’à des valeurs très élevées du fait de contextes particuliers (Maurice et les Seychelles). De même, à l’intérieur d’un pays, selon le type d’agriculture, les niveaux de fertilisation sont très différents. Si la région AEOI importe la quasi-totalité des engrais minéraux qu’elle consomme, dépendant ainsi des chaînes logistiques mondiales et du marché international très concentré dans quelques pays (Russie, Chine, pays du Golfe), des perspectives de production locale d’engrais simples (azotés et phosphatés) existent.

Une convergence sur l’importance de développer la consommation d’engrais… mais avec des politiques publiques inefficaces aux mauvais résultats

Près de 20 ans après le Sommet sur la révolution verte en Afrique, tenu à Abuja en 2006, qui a notamment fixé comme objectif d’atteindre 50 kg d’éléments nutritifs à l’hectare, force est de constater que les résultats en sont très éloignés dans la région AEOI. Il y a pourtant convergence de vue de ces 15 pays sur l’importance d’augmenter significativement la productivité agricole, bien inférieure à la croissance démographique, en passant notamment par l’augmentation de la consommation d’engrais : d’une manière générale, un faible recours aux engrais minéraux se traduit par de faibles rendements, même si de nombreux autres facteurs explicatifs existent, d’ordre technique, climatique, politique et financier.

Les politiques publiques agricoles intègrent toutes la priorité d’augmenter la consommation d’engrais pour les cultures vivrières et d’exportation. Cela se traduit dans la majorité des pays essentiellement par la mise en place de programmes de subvention aux engrais, légitimes, mais souvent à visée politique. Ils ont comme objectif affiché principal de faciliter l’accès, physique et financier, aux engrais pour augmenter les revenus des agriculteurs et contribuer à la sécurité alimentaire (augmenter la production et maîtriser les prix à la consommation). Certains partenaires au développement investissent également dans ce secteur, à la demande des Etats, notamment via le « mécanisme africain de financement du développement des engrais » géré par la Banque africaine de développement. De rares politiques publiques, comme au Kenya et en Ouganda, mettent l’accent sur l’importance du secteur privé dans la production, le stockage et la distribution d’engrais

Les résultats obtenus par ces politiques et programmes publics de subvention sont décevants, comme l’illustrent les statistiques, aux exceptions de Maurice et des Seychelles, et dans une moindre mesure du Kenya et de l’Ethiopie.

A l’échelle régionale, par hectare de terre arable, le niveau de consommation des engrais, en moyenne nationale, est extrêmement variable et globalement faible : de proche de 0 kg (Soudan du Sud), 2 kg en Ouganda et aux Comores, 3 kg à Madagascar et en Erythrée à 42 kg en Ethiopie et 61 kg au Kenya et jusqu’à 187 kg à Maurice et 542 kg aux Seychelles (source Banque Mondiale, 2021). Seuls trois pays de l’AEOI ont atteint et dépassé l’objectif fixé dans la Déclaration d’Abuja (50 kg/ha/an), le Kenya, Maurice et les Seychelles. Les dynamiques en place dans les autres pays ne permettent pas d’envisager d’atteindre cet objectif dans les prochaines années.

A l’échelle de la surface agricole utile de la région, le niveau de fertilisation est de 19 kg par hectare et par an. A noter que le Soudan, l’Ethiopie et la Tanzanie comptent à eux trois pour 70 % de la surface agricole utile de la région AEOI et contribuent fortement à cette moyenne régionale. Deux des cinq plus grands consommateurs d’engrais en Afrique, en volume total, sont l’Ethiopie (4ème avec 1,2 millions de tonnes en 2022) et le Kenya (5ème avec 750 000 tonnes en 2022).

 

Une volonté des pays de développer des capacités de production nationales d’engrais simples et d’engrais de mélange

Les augmentations importantes de prix des engrais liées aux ruptures des chaînes d’approvisionnement mondiales dues à l’épidémie de Covid et à la guerre d’agression russe contre l’Ukraine, les risques d’impossibilité d’approvisionnement qui en découlent ont contribué à convaincre les Etats de l’AEOI de développer leur production et d’investir dans des usines de production d’engrais simples, de formulation et de mélange.

Dans la région AEOI, seul Madagascar produit aujourd’hui, via le site minier d’Ambatovy, un engrais azoté, le sulfate d’ammonium, qui est essentiellement exporté. L’Ethiopie et l’Erythrée, qui possèdent d’importantes réserves de potasse, envisagent de développer certains sites miniers qui permettraient à la fois d’alimenter leur marché national et d’exporter (potentiel de 50 % des exportations érythréennes). L’Ethiopie, qui possède d’importantes réserves de gaz, pourrait également se lancer dans la production d’engrais minéral azoté.

L’apport en engrais, dans la région, reste aujourd’hui dominé par des engrais simples, de base, comme l’urée et le di-ammonique phosphate, connus pour dégrader sur le long terme la qualité des sols. Les engrais équilibrés de mélange, qui peuvent être produits en fonction des besoins des sols (après analyse des sols) et des cultures, ne sont pas encore très répandus. Les cultures à forte valeur ajoutée et notamment les cultures d’exportation (les filières où existe par ailleurs une contractualisation avec l’aval), sont les premières consommatrices de ce type d’engrais. Le Kenya se distingue de ses voisins par l’usage plus répandu et en progression de ce type d’engrais.

Nombre de pays investissent ainsi (investissements publics et privés) dans des usines de mélange. Le Rwanda a inauguré fin 2023 une usine de capacité annuelle de production de 100 000 tonnes.

 

A l’échelle régionale, certaines entreprises sont très présentes, tels que Yara (groupe norvégien, leader mondial des engrais azoté, via sa filiale Yara East Africa), Export Trading Group et l’OCP (via sa filiale OCP Africa).

Enfin, il est à noter une tendance, qui émerge, vers le développement de l’utilisation d’engrais organo-minéraux (composés de fumier de vaches et d’engrais minéraux).

 

Une intégration régionale qui reste à construire

Si des échanges d’engrais existent entre pays de la région AEOI, ils restent modestes : en 2022 par exemple, le Kenya a réexporté 11 % de ses importations, essentiellement vers le Rwanda et l’Ouganda. Madagascar, producteur de sulfate d’ammonium, exporte vers la Tanzanie (17 000 tonnes en 2023). Les programmes nationaux de subvention, non concertés, impliquent ponctuellement des « échanges informels » qui, en particulier, déstructurent les secteurs et pénalisent les agriculteurs.

Il n’existe pas de stratégie régionale sur les engrais, qui pourrait viser à garantir la disponibilité et l'accessibilité physique et financière des engrais et contribuer à la sécurité alimentaire.

Le commerce régional des engrais pourrait être facilité en augmentant la production d'engrais et en développant les itinéraires logistiques régionaux, en améliorant le fonctionnement du marché des engrais dans la région, en facilitant les échanges intrarégionaux et la concurrence au sein de la région.