Lettre économique d'AEOI - Les zones économiques spéciales en AEOI
Les ZES en AEOI, une stratégie insuffisante pour développer une vraie économie industrielle
Inspirés par le succès des modèles asiatiques, les pays de la région ont progressivement intégré le concept de zones économiques spéciales, orientées tout d’abord vers l’export, dans leur stratégie de développement industriel. Principalement spécialisée dans les industries textiles et agro-alimentaires, ces dernières peinent néanmoins à produire les effets escomptés en termes d’attractivité et d’industrialisation. En témoigne le recul du secteur manufacturier au niveau régional dont la part dans le PIB est passée de 12,0 % en 2000 à 7,2 % en 2022. Une tendance à la baisse imputable notamment à un deficit d’infrastructure et de capital humain.
Les ZES, porte-étendards des stratégies de développement industriel des pays de la région…
Les gouvernements de l’AEOI ont tenté d’imiter le modèle asiatique qui avait permis un développement rapide et massif de l’industrie, grâce à des avantages accordés aux investisseurs étrangers dans les secteurs prioritaires. La plupart des pays de la région ont mis en place les cadres juridiques instituant des zones économiques spéciales. Précurseur en la matière, Maurice, avec l’instauration de la première législation relative aux ZES du continent africain en 1970. Ont ensuite suivi Madagascar (1989), le Kenya (1990), les Seychelles (1995), la Tanzanie (2002), le Rwanda (2006), l’Ethiopie (2010), l’Ouganda (2014), le Burundi (2017), les Comores (2021) et la Somalie (plus précisément le Somaliland - 2021). A ce jour, seuls quatre pays de la région ne possèdent pas de ZES opérationnelles : le Burundi, les Comores, l’Erythrée et le Soudan du sud. Si les pays de la région se sont, dans un premier temps, concentrés sur le développement de zones franches destinées à l’export, nombre d’entre eux ont depuis fait évoluer leur législation pour intégrer le développement de zones polyvalentes pour renforcer leur attractivité.
La nature des avantages théoriquement accordés aux investisseurs implantés dans les ZES de la région est relativement similaire d’un pays à l’autre. Sur le plan fiscal, les investisseurs bénéficient généralement d’une réduction/exonération d’impôt sur les sociétés, de droits de douane, de TVA sur les biens et services importés et locaux, et de tarifs préférentiels sur le prix des services publics (électricité, eau). Sur le plan administratif, les investisseurs bénéficient généralement d’un guichet unique de licence, d’un assouplissement des contraintes sur l’embauche de personnes étrangères, du libre rapatriement du capital et des bénéfices, et d’un accès facilité au foncier. Parmi les avantages peu conventionnels, l’Ethiopie offre un assouplissement des normes de travail et un abaissement du salaire minimum au sein de ses ZES.
L’objectif de ces ZES est tout d’abord de réduire leur dépendance aux importations de biens manufacturés par le développement d’une production locale, alors que les pays sont structurellement déficitaires en termes de balance commerciale. Il s’agit de diversifier leurs économies, qui reposent principalement sur les secteurs de l’agriculture et des services (principalement tourisme et transport), et renforcer ainsi leur résilience aux chocs. A cela s’ajoute une volonté de créer des emplois, dans un contexte de transition démographique où les économies de la région se doivent d’absorber des cohortes grandissantes de jeunes entrants sur le marché du travail, et indirectement de développer le capital humain par la montée en compétences des employés travaillant pour des entreprises étrangères. Pour rappel, la population en AEOI a été multipliée par 7,5 entre 1950 et 2022 passant de 50 à 410 millions d’habitants, et devrait atteindre 1,15 Md à horizon 2100 selon les estimations des Nations Unies.
Si le panel de secteurs visés par les ZES est large, la majorité des ZES opérationnelles en AEOI se concentrent sur les industries textiles et agro-alimentaires. Une spécialisation sectorielle en ligne avec les avantages comparatifs de la région, à savoir un secteur agricole prédominant et une main d’œuvre abondante à bas coût.
…qui ne permet pas une réelle montée de l’industrie
Au niveau régional, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB a globalement reculé passant de 12,0 % en 2000 à 7,2 % en 2022. Les pays de la région où la part de l’industrie manufacturière dans le PIB est la plus élevée sont l’Ouganda (17,2 % du PIB en 2022), Maurice (13,2 %), le Kenya (9,4 %) et la Tanzanie (9,2 %). Bien qu’il ait augmenté, l’emploi dans le secteur industriel reste également faible : en 2022, au niveau régional, il représentait 10,1 % de l’emploi total (9,3 % en 2000), contre 56,5 % dans l’agriculture (64,1 % en 2000). Concernant les principaux secteurs d’exportations de la région, ces derniers demeurent à faible valeur ajoutée : Produits végétaux (18,5 % des exportations en 2021), métaux précieux (16,1 %) et transports (14,4 %). Un pays se démarque néanmoins de ses voisin, Maurice, dont le secteur manufacturier est passé de 5,8 % du PIB en 1970 à 29,8 % en 1980, avant de rédescendre à 12,1 % du PIB en 2019 avec l’essors du secteur des services financiers.
Au-delà du cadre juridique, l’effectivité des ZES est souvent incomplète, en décalage par rapport aux annonces et aux stratégies des gouvernements. Plusieurs entreprises implantées dans diverses ZES de la région déplorent des manquements dans l’application des avantages fiscaux prévus par la législation. C’est notamment le cas en Ouganda (retards d’exonération de TVA), au Kenya (manque de coopération de l’autorité fiscale kényane) et en Tanzanie (procédures administratives longues et complexes). A Madagascar, la loi relative aux ZES n’a toujours pas fait l’objet d‘un décret d’application, avec un cadre général qui subit les changements politiques, et des avantages in fine accordés individuellement aux entreprises franches.
Outre, le faible nombre de ZES en activité, le succès limité de ces dernières s’explique par de nombreux facteurs limitants : (i) Un déficit d’infrastructure dans la région, où l’attractivité des ZES est réduite par un approvisionnement en électricité, en eau et en internet peu fiable. (ii) Un déficit de capital humain, à la fois en termes de qualification de la main d’œuvre et de disponibilité de cette dernière. A titre d’illustration, en Ethiopie, les faibles salaires et l’absence de logements à proximités détournent la main d’œuvre locale des ZES. (iii) Des localisations géographiques peu stratégiques. De nombreuses ZES de la région souffrent d'éloignement et d'un manque de connectivité avec les voies de transport stratégiques, pourtant primordiales à l’acheminement des biens intermédiaires importés et à l’exportations des produits finis. C’est notamment le cas en Ethiopie, où l’emplacement d'une partie des ZES a été défini de sorte à satisfaire les équilibres politiques interrégionaux. (iv) Des ZES à usine unique, qui n'offrent pas les avantages "d'agglomération" des zones à entreprises multiples (économie d’échelle, transferts de technologie et d'apprentissage). C’est notamment le cas en Tanzanie où la législation permet aux investisseurs de posséder une zone franche d’exportation. En conséquence, aucune ZFE multi entreprises n’a été recensée. (v) Une concurrence régionale accrue. Les pays de la région partagent des structures économiques semblables et visent, de facto, à attirer les mêmes secteurs d’activité au sein de leur ZES. A incitations fiscales équivalentes, des pays comme l’Ouganda peinent ainsi à se démarquer d’économies plus attractives comme le Kenya (meilleures infrastructures, capital humain plus développé, façade maritime). (vi) Des règles communautaires contraignantes. En vertu du protocole de l'union douanière de la CAE, seules 20 % des marchandises produites dans les zones franches d’exportation peuvent être vendues localement au sein du marché commun de l'Afrique de l'Est (elles sont alors soumises au tarif extérieur commun, comme les autres marchandises produites en dehors de la zone douanière nationale). Si l’intégration régionale contribue au développement économique des pays de la région, il réduit néanmoins l’attractivité des zones franche d’exportation pour les entreprises souhaitant se développer dans la région. (vii) Des conflits. C’est notamment le cas au Soudan et en Ethiopie où le conflit au Tigré a entrainé la fermeture de quatre ZES représentant 6 % des emplois et 9 % des exportations des ZES que compte le pays. (viii) Un accès aux marchés internationaux limité et fortement dépendant des accords commerciaux. L’African Growth and Opportunity Act (AGOA) avec les Etats-Unis a été moteur pour le développement de certaines industries : la part des exportations éthiopiennes de textile à destination des Etats-Unis est passée de 10 % en 2014 à 70 % en 2019. Sa suspension a entrainé la suppression de 10 000 emplois sur l’ensemble du territoire.
Ces barrières s’inscrivent dans le contexte plus large d’un environnement des affaires dégradé dans la région, auquel les ZES ne répondent que partiellement. Selon l’Entreprise Survey de la Banque mondiale, réalisée auprès des entreprises détenues à plus de 10 % par des étrangers, l’accès à l’électricité constitue le principal obstacle en termes d’environnement des affaires en AEOI selon 15,2 % des entreprises. Viennent ensuite l’accès aux financements (pour 13,1 % des entreprises), le taux de taxation (10,7 %), les pratiques du secteur informel (8,3 %), les réglementations douanières et commerciales (8,2 %) l’administration fiscale (8,0 %), une main d’œuvre insuffisamment formée (6,9 %), l’instabilité politique (6,4 %), la corruption (5,1 %) et l’accès au terres (5,1 %). En somme, si les ZES répondent à une demande des investisseurs étrangers, notamment en matière de fiscalité, ces dernières ne peuvent se substituer à une stratégie de développement industrielle complète, incluant notamment le développement des infrastructures et du capital humain.