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Zoom sur la situation économique et financière de l’Ouzbékistan

L’Ouzbékistan, deuxième économie et pays le plus peuplé d’Asie centrale (PIB nominal de 90,4 Md USD et 36,8 M d’habitants en 2023) a enregistré une croissance solide en 2023, dans la lignée des années précédentes, galvanisée par d’importants afflux de capitaux. La situation financière du pays s’est quelque peu dégradée en lien avec la crise énergétique hivernale et un soutien budgétaire important à l’économie. La mise en œuvre des réformes structurelles demeure cruciale pour faire face aux besoins de développement du pays et pérenniser sa trajectoire de croissance actuelle.

I. Un bilan macro-économique globalement positif en 2023

La croissance de l’économie ouzbèke a accéléré à 6% en 2023, après 5,7% en 2022. Cette progression de l’activité a reposé sur une base sectorielle large, avec des taux de croissance atteignant 13% dans les services, 6% dans l’industrie – essentiellement manufacturière, à +6,7% – et +4,1% dans l’agriculture. Le secteur tertiaire pris au sens large a ainsi été le principal contributeur à la croissance, à hauteur de 40% du total ou 2,4 points de pourcentage (p.p.), suivi par l’industrie à 1,5 p.p. et l’agriculture à 0,9 p.p.

L’activité a été stimulée par une politique budgétaire expansionniste et des flux de capitaux toujours significatifs soutenant la consommation et l’investissement. Selon les données communiquées par la Banque centrale d’Ouzbékistan (BCO), les envois de fonds entrants par les travailleurs depuis l’étranger ont atteint 11,4 Md USD (soit 12,6% du PIB), un résultat en baisse d’un tiers par rapport à 2022, mais toujours supérieur au niveau pré-guerre (+40% par rapport à 2021)[1]. Les flux d’investissements directs étrangers (IDE) auraient atteint 1,4 Md USD sur les 9 premiers mois de l’année, en baisse de 21% par rapport à l’année passée. Combinés à une politique budgétaire accommodante, avec un déficit public estimé à 5,5% du PIB sur l’année, ces facteurs ont contribué à une croissance des dépenses de consommation finale des ménages de 5,7% sur les 9 premiers mois de l’année, et à une augmentation de la formation brute de capital fixe de 11,8%.

En 2024, les autorités ouzbèkes anticipent le maintien de la trajectoire de croissance actuelle. La BCO prévoit une croissance comprise entre 5,5% et 6% au terme de l’année en cours, tandis que le FMI se montre légèrement plus pessimiste à +5,2% sur le fondement d’un ralentissement de la croissance dans les économies partenaires et d’une consolidation des finances publiques.

Figure 1. PIB et contributions à la croissance, %, g.a.

Graphique

Sources : Agence de statistiques d’Ouzbékistan, calculs du SER

L’inflation annuelle a refluée pour s’établir à 8,8% en fin d’année 2023, contre 12,3% fin 2022. Cette amélioration traduit les effets du maintien d’une politique monétaire restrictive, avec un taux directeur d’intérêt réel positif tout au long de l’année 2023 (taux directeur abaissé à 14% en mars 2023 et maintenu à ce niveau depuis lors), la modération des prix de l’énergie et des biens alimentaires ainsi que l’effet de base statistique associé au pic inflationniste de 2022. L’inflation alimentaire (+9,7%) demeure le principal moteur de l’inflation.

Les efforts de lutte contre l’inflation devront s’inscrire dans le temps long pour atteindre l’objectif fixé par les autorités. La BCO avait été contrainte de reporter son objectif d’une inflation réduite à 5% fin 2024 au 2ème semestre 2025 en raison des conséquences de la guerre en Ukraine. La réduction souhaitée de l’inflation serait compliquée, d’une part, par l’augmentation prévue des tarifs de l’électricité en 2024, qui pourrait engendrer 3 à 4 points d’inflation supplémentaires, et, d’autre part, par la faiblesse de la transmission de la politique monétaire. La BCO prévoit ainsi le maintien de son taux directeur actuel jusqu’au retour à la cible, et anticipe une inflation annuelle comprise entre 8 et 9% fin 2024.

Figure 2. Inflation annuelle et politique monétaire

Graphique

Sources : Agence de statistiques d’Ouzbékistan, Banque centrale d’Ouzbékistan

II. Un besoin de financement en hausse sur fond de réformes structurelles poussives

Le déficit public a atteint 5,5% du PIB en 2023, en hausse de 1,4 p.p. par rapport à l’année passée. L’objectif de déficit défini à 3% du PIB n’a pas pu être tenu en conséquence de la crise énergétique du 1er semestre, qui a nécessité l’importation en urgence de gaz, mais aussi d’une hausse des dépenses publiques provoquées par la hausse des salaires dans la fonction publique (+14,5%), du maintien d’une politique de subvention généreuse – dont report des hausses des tarifs de l’énergie pour les ménages – et des élections présidentielles. Le financement du déficit a combiné de l’endettement, notamment via l’émission d’euro-obligations à hauteur de 1,1% du PIB en octobre 2023 et un soutien budgétaire conséquent des IFIs. La dette publique du pays demeure modérée à 38,4% du PIB fin 2023, et soutenable compte tenu de la prévalence de sa part concessionnelle (90% du total).

Les autorités entendent consolider progressivement le budget au cours des années à venir. Le déficit public serait ramené à 4% en 2024, puis 3% en 2025 grâce à la réduction progressive des subventions énergétiques et à une mobilisation accrue des revenus. Dans ce cadre, l’Ouzbékistan devrait bénéficier à partir d’avril 2024 d’un programme d’assistance technique du FMI en matière budgétaire, qui viserait notamment à améliorer la collecte de l’impôt sur le revenu dans un pays où la part de l’économie souterraine atteindrait 40 à 50% du PIB, selon les estimations de la Banque mondiale.

Le compte courant aurait enregistré un déficit proche de 7% du PIB après avoir été quasiment à l’équilibre en 2023. Le déficit de la balance commerciale s’est accentué du fait d’une augmentation des importations (+21% sur 9 mois) plus rapide que celle des exportations (+13%), et compensée dans une moindre mesure par des flux de revenus en diminution (-17% pour les revenus secondaires). Ce déficit devrait rester important au cours des prochaines années, alors que la croissance rapide de l’Ouzbékistan alimente la demande d’importations et le besoin en investissements. Le financement du déficit courant ne semble pas devoir poser problème étant donné le niveau de réserves confortables du pays (32,2 Md USD au 1er mars 2024, soit 10 mois d’importations), l’afflux d’IDE et le soutien financier des IFIs.

Le secteur bancaire croît rapidement et apparaît relativement stable. Le portefeuille total de crédits du secteur a augmenté de 20% en un an au 1er février 2024 (dont une hausse de 47% pour le crédit aux ménages). Les ratios prudentiels sont respectés dans leur ensemble, et le taux de créances douteuses était relativement réduit à 4,3%. Ce développement est toutefois bridé par la lenteur des réformes structurelles. Le poids de l’État demeure prépondérant à 67% des actifs bancaires totaux, et sa réduction à 40% d’ici à 2025 – objectif maintenu par les autorités – semble incertaine alors que le processus de privatisation progresse difficilement. La capacité des banques à financer l’économie repose toujours sur de larges subventions publiques – environ 30% du portefeuille total de crédit serait subventionné – notamment dans l’agriculture et l’immobilier, ce alors que les taux d’intérêts de marché restent prohibitifs à plus de 20%. La confiance limitée des agents économiques dans le système bancaire se traduit par la faiblesse des dépôts (environ 20% du PIB), limitant la capacité de financement des banques.



[1] L’attractivité de la Russie a décliné dans un contexte d’affaiblissement du rouble et de risques accrus pour les travailleurs migrants. Elle reste cependant de très loin le premier fournisseur de ces revenus (78% du total).