Le secteur de la santé au Nigéria
Le Nigéria affiche des indicateurs de santé particulièrement faibles. Les défaillances des infrastructures médicales, dues au sous-financement de l’Etat, et l’exil massif des professionnels du secteur, ne permettent pas de répondre aux besoins des populations. Ces insuffisances offrent des opportunités au secteur privé (notamment aux startups de la Health Tech). La présence française dispose d’une très large marge de renforcement.
1. Les indicateurs de santé nigérians sous-performent
Les indicateurs de santé nigérians sont parmi les plus mauvais d’Afrique, avec une espérance de vie à la naissance de 53 ans (contre 63 ans en moyenne), et un taux de mortalité infantile pour les moins de cinq ans de 11,1 % (contre une moyenne de 7,3%). En 2020, le Nigéria a enregistré le plus grand nombre de cas de paludisme dans le monde (27 %) comme en Afrique de l’Ouest (55,2 %), et de décès induits (32 %). Enfin, le taux de prévalence du VIH est de 1,3 % parmi les 15-49 ans, contre une moyenne mondiale de 0,7 %. Les disparités sont importantes entre les Etats fédérés : l’écart de mortalité infantile peut atteindre un rapport de 1 à 12 entre les Etats du nord et ceux du sud.
Seuls 4,8 % des Nigérians disposeraient d’une assurance maladie et 71 % ont recours à l’automédication, à l’origine de dizaines de milliers de morts chaque année. Le Plan National de Développement 2021-2025, prévoit de doter 25 % de la population d’une couverture santé universelle, objectif peu réaliste. En parallèle, les Nigérians les plus fortunés se rendent à l’étranger pour les interventions complexes.
2. Un déficit d’engagement public explique les défaillances du système de santé nigérian
Le système de santé est encadré par l’Etat fédéral, garant du cadre réglementaire et des hôpitaux universitaires et fédéraux, les gouvernements des 36 États fédérés qui gèrent les hôpitaux généraux, et les gouvernements locaux qui gèrent les dispensaires. Les membres de l’Union Africaine se sont engagés en 2011 à consacrer au moins 15 % des dépenses publiques à la santé. Or en 2023, 5,75 % seulement du budget de l’Etat nigérian y a été dédié[i] et, en 2020, 3,38 % seulement du PIB, l’un des plus faibles taux d’Afrique subsaharienne[ii]. Malgré les besoins croissants dus à une fécondité forte (5,2 enfants par femme en moyenne), les dépenses publiques de santé ne dépassent pas 3 000 NGN (7 USD) par personne et par an en 2022, vingt fois moins que la moyenne africaine.
En 2019, 39 983 cliniques et hôpitaux ont été recensés, et le pays ne compterait que 5 lits d’hôpital pour 10 000 habitants. Ces centres sont souvent vétustes et pour beaucoup sans électricité stable (parfois seulement 1 ou 2 heures par jour).
Le Nigéria souffre également d’un manque de personnel de santé qualifié, avec 1 médecin pour 2 500 habitants en 2018 (lorsque l’OMS recommande 1/600 habitants), en raison en particulier d’une importante fuite des cerveaux, nombre de professionnels choisissant de s’expatrier, notamment au Royaume Uni, aux États-Unis ou au Canada. 57 000 infirmières auraient émigré entre 2017 et 2022[iii]. Enfin, le Nigéria est largement dépendant de l’extérieur puisque plus de 70 % des médicaments et 99 % des équipements médicaux sont importés.
3. L’engagement du secteur privé au secours du système de santé
Les initiatives privées et les PPP apparaissent indispensables pour répondre aux besoins de santé. Si plus de 70 % des établissements de santé du pays sont publics, le privé fournit 61 % des services[iv]. Dans les principales villes du pays, des cliniques privées ciblent notamment les Nigérians aisés et les expatriés. Le projet Eko Atlantic à Lagos (plus grand projet immobilier en cours en Afrique et plus important projet de ville nouvelle sur fonds privés au monde) prévoit la construction d’un hôpital privé pourvu de technologies de pointe. L'État fédéral montre également un intérêt croissant pour le recours aux PPP.
Le secteur bancaire n’est pas en reste : Union Bank, Wema Bank et Sterling Bank proposent des services de télémédecine via des partenaires, Access Bank et GT Bank des plans d’assurance santé à coût réduit. En 2020, la société financière (SFI) de la Banque Mondiale a alloué 100 M USD à Zenith Bank pour des prêts destinés notamment à des entreprises des secteurs de la santé et du pharmaceutique.
La crise du Covid-19 a souligné les lacunes du système de santé, mais aussi le potentiel de la Health Tech, qui peut permettre de traiter des maladies chroniques et de palier les pénuries de personnel et le déficit d'information des patients. En 2023, le seul Etat de Lagos compte plus de 170 startups dans la santé avec des offres variées : LifeBank est dédiée à la transmission rapide de sang aux hôpitaux ; Omomi accompagne en ligne les parents dans le suivi médical de l’enfant ; Find-a-Med fournit des informations sur les centres médicaux proches de ses utilisateurs… Les startups nigérianes de la santé ont levé 390 M USD à travers plus de 30 opérations au premier semestre 2023, contre 165 M USD en 2022.
4. Des opportunités pour l’offre française
Les acteurs français sont présents dans les secteurs de l’assurance santé, des laboratoires d’analyse et des produits pharmaceutiques. Axa est présent via sa filiale Axa Mansard, 4ème assureur du pays en 2022. Clina Lancet, filiale du groupe Cerba, dispose de 12 laboratoires qui réalisent 53 000 tests par mois. BioMérieux a lancé son activité de diagnostic in vitro au Nigéria en 2022. Biogaran, filiale de Servier, a réalisé son premier investissement en Afrique avec le rachat en 2017 au suisse Roche de la société Swipha, qui dispose d’une unité de production à Lagos. Le groupe nigérian May & Baker assure depuis 2019 la production sous licence d’une référence de Sanofi (qui toutefois doit prendre fin incessamment suite au départ de Sanofi du pays). Air Liquide est active à Port Harcourt et Lagos (production et conditionnement d’oxygène, acétylène et azote).
Néanmoins, face à des difficultés persistantes, en particulier d’accès aux devises et de rapatriement des bénéfices, plusieurs acteurs internationaux ont récemment quitté le Nigéria, tels GlaxoSmithKline (GSK) en août dernier après 51 ans dans le pays, et Sanofi, qui a annoncé en novembre la fermeture de sa filiale nigériane et confié l’intégralité de sa distribution locale à CFAO Healthcare.
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Commentaire
Les acteurs français de la santé devraient pouvoir se mobiliser plus massivement au Nigéria où, face à l’ampleur des besoins, le secteur de la santé peut offrir des opportunités d’importance. Ellipse Project a ainsi signé début 2023 un contrat pour « l’amélioration de la qualité et de l’efficacité du système de santé de l’Etat d’Oyo », avec la rénovation de 200 hôpitaux et dispensaires, financé par un prêt du Trésor concessionnel de 55 MEUR. Le projet doit être lancé en 2024.