.

1- Le PSX est un marché de taille modeste en recul au cours des dernières années

1-1 Un nombre d’acteurs du marché relativement faible

L’accès au système bousier pakistanais a longtemps été sous l’exclusif contrôle de 400 maisons de courtage et de gestion d’actifs membres du PSX. En 2017, un an après l’unification du marché boursier au sein du PSX, l’accès à la Bourse s’est ouvert aux banques, le marché étant désormais dominé par deux types d’acteurs principaux : 80 courtiers physiques et 15 banques.

Depuis février 2022, le marché s’est ouvert à des courtiers exclusivement immatériels (online only brokers) qui opèrent avec des portefeuilles électroniques (wallets), le leader de ce marché est KASB qui compte 200 000 comptes clients.

La bourse pakistanaise ne compte que 255 000 investisseurs individuels, environ 0,1% d’un pays de 130 millions d’habitants et le nombre d’entreprises cotées[1] est passé de 747 en 2001 à 546 en 2018 et 530 en 2021.

1-2 Dynamisme boursier de 2009 à 2015 qui vaut au PSX d’être promu au rang de « marché émergeant »

L'une des bourses constitutives du PSX, la Bourse de Karachi, figurait parmi les marchés boursiers frontières les plus performants au monde : entre 2009 et 2015, elle a généré un rendement moyen de 26 % par an.

1-3 Faible croissance puis retournement du marché boursier après 2018

La croissance de la capitalisation boursière du PSX s’est retournée en 2020 (de 7 692,7 Mds PKR fin décembre 2018 -38 Mds USD-, 8 035,3 Mds PKR à la fin décembre 2020 à 6 772 Mds PKR - 32.4 Mds USD fin juillet 2022)[2]. Après avoir été à 14% du PIB, la part du PSX dans le PIB est aujourd’hui inférieure à 10% d’y-celui.

De décembre 2018 à aout 2022, la cotation du PSX a perdu 16 entreprises. On note toutefois que 25 entreprises avaient levé des fonds via le PSX entre 2016 et 2018. Dans cette situation de trop faible activité, une partie des courtiers est menacée de faillite.

1-4 Le PSX a une très faible activité.

Le marché des capitaux a une activité très faible de 300 000 titres échangés en moyenne par jour avec des pics à un million et demi de titres par jour en période de reflux du marché intervenant tous les deux à trois mois.

Au cours des trois derniers mois, on notera une tendance aux rachats d’actions sur le PSX par des sociétés profitant de la baisse de la valeur générale des actifs boursiers.  « Netsol », « Maple Leaf Cement » et Yunus Brothers group/ Lucky Cement ont récemment choisi d’utiliser une partie de leurs liquidités excédentaires pour racheter une partie de leurs actions sur le marché.

1-5 En 2022, le PSX fait partie des marchés les moins performants des marchés frontières

En mai 2017, après la fusion des trois marchés à l’origine du PSX intervenue en 2016, le PSX a été classé par Morgan Stanley Capital Investments (MSCI) de l’index « marché émergent ».

Mais le marché pakistanais n’étant tout d’abord pas assez dynamique puis déprimé depuis 2020, MSCI a remis à l’été 2021 le PSX dans l’index « marché frontière ».

Depuis mai 2022, avec seulement 3,5% de la capitalisation des marchés frontières, le PSX est éligible -sans être listé à ce stade- aux index MSCI «Frontier Market 100» et «MSCI Frontier Market 15%».

Depuis son sommet de 53 127 points en mai 2017, l’indice de référence KSE-100 de la Bourse du Pakistan a chuté de près d’un cinquième pour atteindre environ 40 928 points au 22 septembre.

2- Le gouvernement prend des mesures fiscales visant à soutenir l’attractivité de la Bourse qui sont sans succès probant à ce stade.

 2-1 Le gouvernement a tout d’abord cherché à redynamiser la Bourse par un changement de cadre fiscal destiné aux seules PME à fort contenu technologique.

Cela s’est traduit par la création au début de l’année fiscale 2022/2022 du « Growth Enterprise Market, un marché pour les PME pakistanaises qui proposait une baisse exceptionnelle de la taxe sur la valeur du capital et sur l’impôt sur les plus-values des PME.

Très attendue, cette mesure fiscale était sensée attirer les entreprises innovantes de haute technologie. Cinq entreprises originaires du secteur des hautes technologies ont levé des fonds sur le « GEM » pour 550 MUSD au cours de l’été 2021. Le retournement du marché des valeurs technologiques observé au niveau mondial au premier semestre 2022 n’a pas permis d’autres opérations de ce type.

2-2 Des mesures fiscales destinées à toutes les sociétés cotées visent à rendre la Bourse plus attractive.

Concernant l’année fiscale 2022/2023, le président de la SECP (Commission des opérations de bourse) a amené le gouvernement à généraliser les mesures fiscales appliquées jusqu’à cette date aux seules PME innovantes en 2021/2022 à savoir : baisse exceptionnelle de l’impôt sur la valeur du capital et sur l’impôt sur les plus-values.

2-3 Mais, devant le lobby de l’immobilier, les conditions fiscalement équitables décidées par le gouvernement entre le marché des capitaux et le marché immobilier n’ont pas pu être réunies.

La Loi de Finance 2022/2023 avait défini des conditions équitables entre le marché des capitaux et le marché immobilier (impot sur la valeur immobilière) qui avaient été réclamées par le Président de la SECP. Un mois après que le vote du budget, l’Assemblée nationale a révisé la loi de finance dans un sens plus favorable aux propriétaires immobiliers qu’aux détenteurs d’actifs immobiliers.

2-4 Il convient d’interroger la raison fiscale comme point à l’origine d’une Bourse atone.

Si on compare en effet la fiscalité sur les profits boursiers sur le PSX par rapport au marché des capitaux du Bangladesh (15%), cette cause n’apparait pas comme une raison probante. Une piste pourrait être la stabilité des lois et règlements encadrant l’économie et la bourse. L’autre approche consiste à intégrer notre réflexion dans une approche plus holistique. Les deux approches sont développées dans le § 3.

3-Au-delà des raisons fiscales, sécuritaires ou conjoncturelles, des éléments systémiques semblent expliquer la faiblesse du PSX

3-1 La mobilisation de l'épargne au Pakistan est inefficace.

Le ratio de l'épargne intérieure brute au PIB du Pakistan était à son plus bas en 2019 (à 5,5 %) depuis les années 1990, qui s'est amélioré à 7,9 % en 2020, cependant, il reste le plus bas parmi ses pairs régionaux (le ratio pour le Bangladesh est de 23,7 %, l'Inde 28,9 % et Sri Lanka 18,9 %). Les marchés des capitaux sous-développés ont contribué à la mobilisation inefficace de ces ressources. En conséquence, le déficit d'investissement que ce soit au niveau boursier ou des infrastructures (par exemple) persiste et entrave une croissance durable à long terme.

3-2 Alors que l’économie informelle représenterait entre 50 et 75% du PIB réel pakistanais, le manque d’attractivité du PSX et la faiblesse de la capitalisation boursière pakistanaise reposent tout d’abord sur les éléments suivants[3] :

- Une inégalité de traitement dans la lutte contre le blanchiment en faveur du secteur immobilier

Le dispositif juridique à l’origine de conditions non-équitables pour le PSX est lié au règlement de 2018 concernant les marchés financiers de la loi de contre le blanchiment des capitaux et la lutte contre le terrorisme (dit « ML-FT ») datant de 2010. Il est accompagné de 40 lignes directrices émises par le SECP qui sont contraignantes, selon plusieurs courtiers interrogés. La Banque centrale indique suivre attentivement les risques ML-FT au niveau boursier.

- Une préférence pakistanaise pour la sous-évaluation de ses actifs qu’ils soient immobiliers ou mobiliers.

Il est donc probable que la valeur de certaines entreprises cotées au PSX soit en réalité supérieure à ce qui apparaît dans la cotation de la Bourse.

Les informations comptables des sociétés au moment où elles commencent à être cotées au PSX reflètent donc sans doute moins la réalité de la surface financière de la société que ce peut être le cas sur des marchés des capitaux plus murs.

Notons qu’il peut également y avoir surévaluation des actifs comme le montre l’affaire Hascol Petroleum qui a été la 3ème cotation du marché[4].

3-3 Un marché non-transparent contrôlé par des noyaux durs familiaux qui coopèrent par échanges d’actions.

Certains acteurs économiques considèrent que les vraies décisions économiques sont moins reflétées par le baromètre de la Bourse que par les mariages conclus entre les grandes familles economico-politiques qui dirigent le pays.

Des spécialistes considèrent également que la faible taille du PSX s’explique par des choix sociologiques. Ils s’inspirent du livre très influent d’Ishrat Husain[5], ancien gouverneur de la Banque centrale, dont la thèse centrale est qu’il y a une main mise sur l’économie d’une élite peu nombreuse qui vise à rester dans un entre-soi et dans un certains status-quo économique afin de continuer à vivre de ses rentes.

L’endogamie constituée par les alliances entre les grandes familles amène certains analystes à considérer que 50 à 70 dirigeants d’entreprises travaillant dans les sièges ou les filiales de seulement 30 groupes cotés à la Bourse ont un siège dans les conseils d’administration du reste des sociétés cotées en Bourse[6]. Dans cette perspective, la réticence de certains acteurs à rentrer sur le PSX pourrait refléter la crainte d’être la proie d’une de ces 50 holdings multisectorielles.

3-4 Un marché très concentré : 4 sociétés contrôlent presque 20 % de la capitalisation boursière. Cette structure contribue au manque de transparence et met l’abri le PSX d’ingérence étrangère.

Quatre conglomérats (Fauji Foundation -liée au Fonds de pension de l’armée de terre-, Hussain Dawood group, Lucky/Yunus Brothers group et Nishat Group (seul grand groupe pakistanais qui a survécu aux nationalisations des années 70). [7]

Ainsi Husain Dawood contrôle deux poids lourd de la Bourse (Dawood Hercules Corporation et Engro) ; Fauji contrôle six sociétés cotées ; Lucky/Yunus Brothers contrôle quatre sociétés cotées, Nishat compte huit sociétés cotées au PSX.

L’endogamie, les noyaux durs et la concentration du capital constatés sur le marché ont en tout cas pour effet non seulement de contribuer à sa faible activité mais aussi à l’inexistence de Hedge Funds[8] Dans le reste du monde, les investisseurs institutionnels et les fonds de fonds spéculatifs ont exercé une forte pression pour accroitre la transparence des marchés.

On ajoutera, pour illustrer la relative fermeture du marché des capitaux pakistanais que (seulement) trois groupes étrangers apparaissent sur la liste de cotation du PSX : le groupe Nestlé Pakistan, le groupe saoudien Pharaon (raffinage, distribution de carburants sous la marque Attock et le ciment), enfin Colgate-Palmolive. On rappellera que LafargeHolcim s’était retirée du PSX en 2016 du fait des alliances de prix que la société constatait entre les autres cimentiers du pays.



[1] sur les trois bourses pakistanaises avant 2017

[2] 5 Years Progress Report - Pakistan Stock Exchange (PSX), consulté le 21 septembre).

[3] Nous n’abordons ici que les causes systémiques aux faiblesses de la Bourse sans aborder les effets monétaires et boursiers liés à la hausse du taux directeur de la FED américaine ou les sujets de perception des risques liés aux risques de défauts de paiements dans le cadre de la crise post-inondation ou même à l’instabilité politique liée à la personnalité clivante d’Imran Khan dans le jeu politique pakistanais.

[4] Le régulateur n’avait pas été capable d’identifier les fraudes comptables, les informations mensongères sur les actifs de l’entreprise ou les surfacturations à hauteurs de 54 MUSD (pour la seule année fiscale 2019/2020) qu’Hascol effectuait avec le tradeur Vitol.

[5] Ishrat Husain : « Pakistan : the economy of an elitist state ».

[6] Avant les nationalisations des vingt plus grands groupes (sur 80 sociétés cotées à l’époque) de la Bourse de Karachi par Zulfikar Ali Bhutto mises en œuvre de 1972 à 1976, un système comparable était à l’œuvre. Le Dr. Mahbub ul Haq, ancien secrétaire général du ministère du planning avait théorisé en 1968 sur les 22 familles qui contrôlaient indirectement 80% de la Bourse de Karachi de l’époque et 55% de l’industrie du pays.