I- Définition de l’économie bleue au Pakistan et problèmes de gouvernance.

Si la définition de l’économie bleue des Nations Unies (Rio+20) et banques multilatérales est systématiquement reprise dans les publications pakistanaises qui traitent de ce sujet[i],  l’approche des autorités pakistanaises reste encore celle de l’ « économie maritime », à savoir les emplois et activités économiques directement ou indirectement liés à la mer, sans y intégrer la dimension protection de l’environnement et préservation de la santé des écosystèmes océaniques. Le concept d’économie bleue ne fait d’ailleurs pas l’objet d’une définition dans le corpus juridique pakistanais.  Pour les spécialistes du sujet, l’économie bleue est à l’intersection entre une économie durable et l’aspect protection de la côte et de la mer d’Arabie qui borde le Pakistan. Un accent est mis depuis 2020 sur un lien entre l’économie bleue et la souveraineté alimentaire du pays. La notion qui fait référence au Pakistan est donc celle d’économie maritime, qui intègre les gisements hydrocarbures offshore, l’économie portuaire, le secteur de la pêche, le tourisme.

Il n’existe pas à ce stade de dispositif permettant la gouvernance de l’économie bleue.

Le Pakistan n’a pris conscience que très récemment du potentiel de développement de l’économie bleue. Bien que disposant d’une façade maritime de 1046 km de côtes sur la mer d’Arabie, le développement de l’économie bleue est un objectif très récent de la politique pakistanaise. L’année 2020 avait été déclarée année de l’économie bleue, mais les évènements qui étaient prévus ont tous été annulés du fait de la Covid-19.

L’économie bleue est identifiée comme axe de développement prioritaire dans le 12ème plan du gouvernement pour la période 2018-2023, sous le seul angle de la sécurité alimentaire (apport nutritionnel de la mer).

Il n’existe pas de véritable politique maritime intégrée, articulée au niveau national par le ministère fédéral des affaires maritimes, lié au fait que, depuis 1998, la politique maritime relève de l’échelon provincial, donc en principe géré par les deux provinces maritimes du Sindh et du Baloutchistan. Pourtant, 25 ans après sa dévolution, cette politique en est à ses balbutiements dans le Sindh et est complètement inexistante dans le Baloutchistan.

Par ailleurs, la marine pakistanaise est plus impliquée dans l’économie maritime traditionnelle (gestion portuaire) que dans l’économie bleue et l’armée de terre pakistanaise a la haute main sur les ressources hydrocarbures offshore du pays via le Fonds de pension « Fauji Foundation » et sa filiale d’exploration production pétrolière. La marine pakistanaise organise à cet égard depuis 2019 la conférence-exposition intitulée Pakistan International Maritime Expo & Conference (« PIMEC ») qui a lieu en principe tous les deux ans (PIMEC 2019, PIMEC 2022, le prochain PIMEC doit avoir lieu en février 2025).

II- L’économie bleue comme levier de développement.

A-L ’économie marine et maritime est une opportunité majeure pour les pays d’Asie du Sud, qui disposent de ressources importantes. Préciser quelques chiffres :

Linéaires de côtes.

Les côtes pakistanaises s’étendent sur 1050 km.

Surface de la zone économique exclusive (en km²)

La zone économique exclusive (ZEE) du pays couvre une superficie de 290,000 km² reconnue par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (en augmentation de 40 000 km² par rapport depuis 2015 au détriment de l’Inde).

Surface du plateau continental

Le plateau continental pakistanais est d'une surface d'environ 50 000 km².

B-Activités économiques de l’économie bleue

Hors économie portuaire, transport maritime et infrastructures d’hydrocarbures offshore, l’économie bleue pakistanaise représente entre 1 et 3 Mds USD, soit entre 0,28  et 0,8% du PIB national.

La majeure partie de cette contribution provient de l’aquaculture marine qui contribue à hauteur de 2 Mds USD, de la pêche (le Pakistan exporte pour 450 M USD de poisson) et du tourisme côtier (il ne représenterait que 300 MUSD -soit 0,1 % du PIB-).

Le secteur de la pêche :

La pêche domestique joue un rôle important dans l’économie nationale et l’approvisionnement alimentaire du Pakistan. Il fournit directement de l'emploi à environ 500 000 pêcheurs, par ailleurs plus de 500 000 de personnes sont employées dans des activités complémentaires à la pêche. Il y a par ailleurs environ 20 000 bateaux de pêche qui sont actifs dans les eaux côtières peu profondes et dans les eaux territoriales du pays.

Port et transport maritime :

Avec une façade maritime de plus de 1 000 km sur la mer d’Arabie, le Pakistan dispose d’une zone économique exclusive de 240 000 km2. Sa situation géographique stratégique au carrefour de l’Asie centrale, de la Chine et de l’Inde, confère au pays le potentiel de devenir un point nodal des corridors régionaux de transport et de commerce. Les infrastructures portuaires du pays étant placées à quasi équidistance entre le Canal de Suez et le détroit de Malacca – deux routes maritimes très fréquentées, le Pakistan pourrait également devenir un point important de ravitaillement, de transbordement ou encore un centre de réparation et de construction navale. Il compte aujourd’hui trois ports commerciaux en eaux profondes. Les deux principaux sont localisés à proximité de Karachi, à savoir le port de Karachi (à l’est de la ville) et port Qasim (au sud-est). Un troisième port situé à Gwadar, sur la côte de Makran au Baloutchistan, est en cours de développement.

La quasi-totalité du commerce extérieur du Pakistan transite par la voie maritime, une part marginale des échanges s’effectuant par voie terrestre (principalement avec l’Iran et l’Afghanistan) et par voie aérienne. L’approvisionnement en produits pétroliers du pays dépend par ailleurs uniquement des livraisons par voie maritime (le Pakistan importe environ 70 % de ses besoins en énergie primaire et la totalité de son pétrole). Alors que la valeur totale des échanges commerciaux internationaux du Pakistan s’élève entre 65 et 80 Mds USD chaque année, les infrastructures portuaires sont cruciales pour soutenir l’activité économique du pays. On notera également que l’essentiel du commerce extérieur afghan transite par les ports pakistanais.

 

Principales caractéristiques des trois ports de commerce du Pakistan

Port (début des opérations)

Principales caractéristiques

Port de Karachi (1854)

33 postes à quai (dont 30 pour les cargaisons sèches et 3 pour les produits pétroliers), tirant d’eau maximum de 16 m, chenal de navigation de 11 km, accueil de bâtiments jaugeant jusqu’à 75 000 en port en lourd (tpl).

Port Qasim (1980)

9 postes à quai (14 terminaux), tirant d’eau maximum de 13 à 14 m, chenal de navigation de 45 km, accueil de bâtiments jaugeant jusqu’à 75 000 tpl.

Port de Gwadar (2005)

3 postes à quai (22 sont attendus au total), tirant d’eau maximum de 12,5 m, chenal de navigation de 4,7 km, accueil de bâtiments jaugeant jusqu’à 50 000 tpl.

Le ministère des affaires maritimes (intitulé ministère des ports et du transport maritime jusqu’en octobre 2017) élabore et assure la mise en œuvre de la politique du secteur portuaire au Pakistan. Des autorités administratives, placées sous l’autorité de ce ministère fédéral et dédiées à chacun des ports commerciaux, sont responsables de la gestion des installations. Les présidents des conseils d’administration de ces trois autorités portuaires sont nommés par le gouvernement fédéral et occupent les postes de directeurs généraux des ports, les autres membres étant des représentants du secteur public et des acteurs privés.

1600 bateaux ont visité le port de Karachi au cours de l’année budgétaire 2022/2023 et 350 bateaux ont visité le port de Qasim au cours de la même période (les importations de GNL et de pétrole sont toutes effectuées sur le port de Qasim situé à 40 km à l’est du centre de Karachi.

En 2021-2022, le trafic au Pakistan était de 3, 548 M TEU (Unité équivalente de 20 pieds- Twenty-foot Equivalent Unit), en baisse de 500 000 TEU par rapport à la période pré-Covid, la situation s’est encore dégradée en 2022/23 du fait des restrictions à l’importation et de la baisse de production nationale constatée.

La compagnie publique de transport maritime est une société en régie qui est contrôlée par le ministère des affaires maritimes du gouvernement pakistanais. Elle gère une flotte de 12 porte-containers. En parallèle à la société publique, il n’existe qu’une seule société à capitraux privée qui opère des navires de type Panamax au Pakistan (Seamax Shipping Co)

Potentiel de génération d’énergie : hors secteur des hydrocarbures, une seule initiative énergétique liée à l’économie bleue est observée.

Energie renouvelable :

Il n’existe aucun projet ni de ferme éolienne off-shore, ni d’usine marémotrice, ni de centrale mise en place à partir des courants marins. A noter qu’il n’existe pas de cadre réglementaire pour développer de telles infrastructures à ce stade,

Le Pakistan a inauguré une petite usine pilote d’hydrogène vert qui a été inaugurée en février 2021, avec une capacité de production de 60 kg d’hydrogène par jour alimentée par l’énergie solaire.

Energie carbonée offshore :

Selon l’agence internationale de l’énergie, qui ne rentre pas dans le détail entre potentiel de production d’hydrocarbures onshore et off-shore, le Pakistan disposerait de réserves prouvées de pétrole de 354 millions de barils, ce qui le place au 52e rang mondial. L’exploration conduite en mer d’Arabie, à 250 Km au large de la ville de Karachi, sur le G-Block (Kekra-1), par ENI et ExxonMobil s’est toutefois soldée par un échec, les autorités pakistanaises annonçant en 2019 l’arrêt des forages après 18 tentatives non fructueuses sur le champ Kekra 1. ENI s’est depuis retiré du marché pakistanais et a revendu ses actifs en 2021.

C-Mesures de soutien du pays aux activités économiques de l’économie bleue.

Aucun plan de mesure de soutien économique au développement de l’économie bleue n’a été défini ni au niveau fédéral, ni au niveau provincial. Hors sécurité alimentaire, le Pakistan ne fait pas à ce stade de l’économie bleue un axe prioritaire de son développement. Les différents rapports d’experts publiés pendant l’année de l’économie bleue au Pakistan mettent l’accent sur l’idée de renforcer la formation professionnelle et l’éducation pour répondre aux besoins de main-d’œuvre des entreprises impliquées dans l’économie maritime.

III-Equilibre à trouver sur le plan environnemental et la protection des océans.

a-Le problème de la surpêche

Le Pakistan est confronté à la surpêche qui se manifeste par l’épuisement des stocks de poissons et la baisse des taux de capture. En conséquence, les exportations, les recettes en devises et les revenus des pêcheurs sont en diminution ce qui a un impact négatif à la fois sur les écosystèmes marins du pays et sur les moyens de subsistance de ses communautés de pêcheurs.

Les pêcheurs pakistanais ont des difficultés à mettre en œuvre les réglementations du secteur, méthodes de pêche illégales, non réglementées et non déclarées (une grande partie de la pêche domestique est effectuée dans le cadre d’une économie non-déclarée). Ces méthodes, telles que l’utilisation de filets ne répondant pas aux normes et la pêche commerciale à grande échelle, causent des dommages aux récifs coralliens, aux mangroves et à d’autres habitats naturels qui fournissent un abri et de la nourriture aux poissons.

Pour résoudre le problème de la surpêche au Pakistan, la FAO préconise une approche multidimensionnelle qui devrait inclure des mesures visant à améliorer la gestion et la gouvernance de l’industrie de la pêche du pays, telles que l’application des quotas de pêche et l’adoption de méthodes de pêche plus durables 

b- affaissement de côtes, augmentation de la température du fait de la disparition progressive de la mangrove.

Le Fonds vert pour le climat et la Banque asiatique de développement vont bientôt démarrer un projet de réhabilitation d’une partie des côtes du Sindh dans sa dimension naturelle précédant l’urbanisation chaotique et la mise en danger de mangroves par la pollution et la destruction de ses zones boisées. (dons d’un total de 195 MUSD et prêts d’un montant total de 550 MUSD).

c- Un environnement marin fragile du fait du changement climatique

Les côtes pakistanaises subissent de plein fouet l'impact du changement climatique. Les tempêtes, les fortes pluies, les inondations endommagent les infrastructures et interrompent la fourniture de services essentiels. Ces événements climatiques devraient augmenter en fréquence et en intensité. Ainsi, le Pakistan se classe 150ème sur 181 selon l’index ND-GAIN qui mesure l’exposition des pays aux risques climatiques ainsi que leur degré de préparation.


[i] l'économie bleue consiste à utiliser durablement les ressources marines pour favoriser la croissance économique et améliorer les moyens de subsistance et l'emploi, tout en préservant la santé des écosystèmes océaniques, Overview (banquemondiale.org)