Le Pakistan se caractérise par une forte émigration, dont le niveau reste faible toutefois rapporté à la taille de sa population, et en particulier une expatriation de travailleurs sous l’impulsion d’une politique migratoire volontariste du gouvernement, génératrice de transferts qui jouent un rôle important au plan des équilibres externes, même si leur contribution au développement économique du pays sur le long terme pourrait se révéler négative.

 

1. Le Pakistan se caractérise par une forte émigration, même si ce niveau reste faible rapporté à la taille de sa population[i]. Conséquence de l'instabilité politique, de la situation sécuritaire, de la crise économique mais aussi de la rigidité des structures socio-économiques qui constitue un frein à la mobilité sociale et une limite aux opportunités économiques, le Pakistan enregistre un solde migratoire négatif (166 000 en 2022) et un stock de migrants évalué à 6,3 M, soit 3% de sa population. Le pays figure au 7ème rang mondial des pays d’origine des flux de migrants internationaux. Si l'on intègre la diaspora pakistanaise, les "overseas Pakistani", dont une partie importante réside au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou dans l'Union européenne, le nombre de Pakistanais vivant en dehors du Pakistan s’élève à 9 M[ii]. Il convient toutefois de distinguer la diaspora pakistanaise - détentrice de doubles passeports, intégrée économiquement et socialement - des travailleurs migrants ou expatriés pakistanais "overseas workers", qui sont comptabilisés par le Bureau of Emigration & Overseas Employment[iii]. Enfin, la part des migrants illégaux est faible comparée aux flux légaux[iv].

2. Le Pakistan est le second pays exportateur de main d'œuvre d’Asie du Sud. Le stock de travailleurs expatriés depuis 1971 s’élève à 11,3 M et présente une forte homogénéité de destination et de profil : (i) expatriation dans les pays du Golfe (96%), principalement Arabie saoudite ou EAU, avec une récente diversification vers l’ASEAN (Malaisie) ou l’Union européenne ; (ii) une émigration qui concerne exclusivement des hommes[v], dont la moyenne d’âge est de trente ans, avec un faible niveau de formation, qui occupent des métiers requérant une faible qualification[vi], (iii) motivée par des raisons économiques[vii] et de courte durée.

Les flux de travailleurs expatriés ont connu une forte croissance entre 2010 et 2015, avec un pic en 2015, puis une baisse entre 2016 et 2019 consécutive au ralentissement économique lié à la baisse des cours du pétrole dans les pays du Golfe qui a entraîné une diminution des opportunités dans le secteur de la construction en raison du ralentissement des projets d’infrastructures et des mesures de nationalisation des emplois. On observe une forte reprise en 2019, qui se traduit par la multiplication par deux des travailleurs expatriés enregistrés au BOE, en raison d’une politique plus favorable en Arabie saoudite, puis une forte baisse des flux sortants entre 2020 et 2022 en raison de la crise du Covid (-64% en 2020).

Cette dynamique est comparable à celle de l’Inde. Cette baisse devrait cependant rester conjoncturelle, tant les facteurs structurels de l’émigration sont prégnants : les candidats à l’émigration, légale ou illégale sont très nombreux. On estime à 30% la part des jeunes qui envisagent de quitter le pays en raison de la dégradation de la situation économique, soit un stock de 50 millions de migrants potentiels, dans un pays où les jeunes représentent 64%de la population et où la dégradation de la situation économique offre encore moins de perspectives en termes d'emplois et d'opportunités). Enfin, on constate une réorientation récente des flux vers d’autres marchés (Europe - Italie, Pologne, Roumanie ; Japon, Corée du Sud) en raison de la fermeture progressive des marchés saoudien et émirien, le Pakistan cherchant de nouveaux débouchés pour sa main d’œuvre qui nécessitent toutefois une montée en compétence pour répondre aux attentes du marché du travail dans ces pays[viii].

3. Les transferts de travailleurs pakistanais enregistrent une progression régulière, mais une diversification de leur origine. Leur recensement est réalisé par la Banque centrale (State Bank of Pakistan), qui les définit comme « les transferts courants pour l'entretien de la famille réalisés par les migrants employés et résidant à l’étranger. Un résident à l’étranger est défini comme une personne qui séjourne pendant un an ou plus dans un pays, à l'exception des étudiants, des personnes qui reçoivent un traitement médical, du personnel militaire, des diplomates en poste dans les ambassades à l'étranger, du personnel des organisations internationales). Ces transferts transitent par les guichets accrédités des banques commerciales, les sociétés de change et les autorités postales »[ix]. La Banque centrale utilise par ailleurs la méthodologie du FMI (BPM6) pour la compilation des données de balance des paiements[x].

Les flux de transfert connaissent une progression régulière qui place le Pakistan parmi les principaux pays au monde récipiendaires de transferts de travailleurs expatriés[xi]. Ils s'établissent à 31 Mds USD lors de l’exercice budgétaire 2021-22, soit 8,3% du PIB. Les transferts proviennent en grande majorité des pays du Golfe (Arabie saoudite et EAU) mais aussi du Royaume-Uni et des Etats-Unis, ce qui pour ces deux derniers pays correspond davantage aux envois des overseas Pakistani, qu’à ceux des overseas workers. Le faible niveau des coûts de transfert[xii] et une politique incitative pour favoriser les canaux formels n'ont toutefois pas permis de formaliser l'ensemble des transferts dont une part importante est réalisée via les canaux hawali/hundi[xiii], qui représenteraient 60% du montant des transferts légaux[xiv].

Les flux ont enregistré une progression régulière depuis 2010, le recul des transferts constaté en 2017 (2,8 % en g.a) et 2018 (6,2% en g.a), le premier depuis 2004, étant principalement imputable à la baisse de 8,4 % en g.a. des flux en provenance d’Arabie saoudite (5 % pour l’ensemble des pays du Golfe). Sous l’effet de nationalisation des emplois dans les pays du Golfe et de la concurrence de la main d’œuvre bangladaise, accrue par la levée mi-2016 de l’interdiction par l’Arabie saoudite de recruter des employés bangladais, les transferts en provenance de l’Arabie saoudite ne représentent plus que 23,75 % des transferts totaux aujourd’hui, contre 30,1 % en 2014/15. Les transferts en provenance de l’ensemble des pays du Golfe ont suivi la même tendance, passant de 64,3% du total en 2014/15 à 53,01% aujourd’hui. Le redressement des transferts en 2017/18 et 2018/19 est essentiellement le fait des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Malaisie, qui apparaît en 2017/18 pour la première fois de manière isolée dans les statistiques de la Banque centrale. Ce pays se classe désormais au 5ème rang des pays à partir desquels les expatriés pakistanais émettent des transferts de fonds avec plus de 7% du total. Pendant la période du Covid, on constate tant une augmentation des transferts de la diaspora pakistanaise qu’une résilience des transferts de migrants, marquée notamment par une croissance des flux entre 2019 et 2021, ce qui s’explique par l’introduction de mécanismes visant à faciliter les transferts sans frais et par des initiatives bancaires ayant encouragé les canaux formels[xv]. La part des transferts pourrait toutefois être appelée à baisser : en 2022, les transferts de migrants transitant par les canaux officiels ont reculé de 13%, sous l’effet de la dépréciation de la roupie et du différentiel de taux de change entre le cours de marché et le cours officiel, maintenu par le gouvernement à un niveau de 5%[xvi]. De manière plus structurelle, le ralentissement mondial de la demande de produits manufacturés dans les pays d’Asie du Sud­ Est (Malaisie, Thaïlande) et le ralentissement de la croissance des pays du Golfe devraient se traduire par la baisse vers le Pakistan que la Banque mondiale estime à 3,4%.[xvii].

4. Les exportations de travailleurs s'inscrivent dans le cadre d’une politique migratoire volontariste du gouvernement pakistanais, mise en œuvre depuis le premier choc pétrolier. Cette stratégie devrait continuer de structurer la politique économique du pays et les relations avec les pays du Golfe[xviii]. Elle permet aux autorités pakistanaises de lutter indirectement contre le chômage, tout en générant des revenus externes. Enfin, si le cadre juridique de l’expatriation de travailleurs pakistanais n’a pas été formalisé[xix], elle est encadrée par le ministère des Pakistanais de l’étranger et du développement des ressources humaines – des agences publiques (Bureau of Emigration & Overseas Employment) et privées chargées de faciliter les démarches des travailleurs, regroupées au sein de l’association des Pakistan Overseas Employment Promoters. Un écosystème s’est ainsi structuré autour de l'exportation de main d'œuvre pakistanaise, on dénombre ainsi 2069 OEP, une agence publique, ainsi qu’un réseau d’intermédiaires qui maille le territoire. Le défi des autorités demeure la diversification géographique des destinations et la montée en compétence des migrants, à travers en particulier la formation des travailleurs[xx]

5. Les transferts de migrants jouent un rôle important sur le plan des équilibres externes, mais leur contribution au développement économique du pays reste difficile à apprécier. Sur le plan externe, les transferts participent à l’équilibre de la balance des paiements : le déficit commercial est globalement couvert par le montant des transferts. Ces capitaux (22,7 Mds USD entre juillet et avril 2023) représentent la seconde source d’entrée de devises étrangères derrière les exportations (23,2 Mds USD entre juillet et avril 2023) mais loin devant les flux d’IDE (1,2 Md USD entre juillet et avril 2023). Les transferts de fonds n’ont décru qu’à deux reprises depuis le début des années 2000 – en 2004 et en 2017 – affichant une résistance solide aux épisodes de crises, contrairement aux exportations et aux flux d’IDE. Les transferts de travailleurs expatriés, essentiellement formels, permettent aussi de soutenir le taux de change de la roupie par rapport au dollar, les montants transférés étant convertis en roupies par la Banque centrale. Enfin, les transferts contribuent également à la croissance économique en soutenant la consommation privée, en particulier de manière contracyclique en période de crise économique. Pendant la crise du Covid, les transferts ont permis de soutenir l’économie, en lissant les dépenses des ménages dans un contexte de hausse des prix de l’énergie et/ou d’insécurité alimentaire[xxi]. D’après une étude de la Pakistan Investment of Developpment Economics (PIDE), 60 % des fonds seraient destinés à la consommation et 40 % à l’épargne. Toujours d’après le PIDE, 80 % de l’épargne issue des transferts serait placée dans des investissements immobiliers, peu créateurs de valeur ajoutée et d’emplois[xxii]. D’après Arif (2009)[xxiii], 25% des fonds serait alloués à la consommation (nourriture, santé, éducation), 30% au remboursement d’emprunt, 17% pour les dépenses liées aux mariages, le reliquat étant affecté à des investissements en immobilier et à l’épargne de précaution. Une étude récente de la Banque centrale tente de mesurer l’impact des transferts sur la croissance de long terme, en s’appuyant notamment sur divers travaux économétriques qui indiquent qu’une augmentation d’1 point des transferts (en % de PIB) entraînerait une augmentation de la croissance du PIB dans une fourchette comprise entre 0,09 et 0,45 points de pourcentage de PIB[xxiv]. Les travaux de la SBP en concluent à une incidence positive de l’augmentation de 1 point de pourcentage des transferts de migrants sur le revenu par tête, qui croîtrait de 0,15%. Les effets seraient plus importants sur la consommation que sur l’investissement.

6. En matière de facilitation des transferts, le gouvernement a accéléré la bancarisation des flux. Le Pakistan a lancé deux programmes en décembre 2017 afin d’encourager les transferts réalisés par le canal bancaire. La Banque centrale, en collaboration avec la « Pakistan Remittance Initiative », a lancé l’ Asian Remittance Account. Ce compte peut être ouvert dans n’importe quelle banque par une procédure simplifiée. Cette initiative vise à encourager les transferts à travers un environnement bancaire sécurisé au lieu de transactions en numéraire aux comptoirs traditionnels. Dans le même temps, le gouvernement, en partenariat avec la Banque centrale et les acteurs financiers, a lancé un programme afin d’encourager le recours aux portefeuilles électroniques (M-wallet) qui permettra aux utilisateurs de retirer du numéraire aux DAB ou aux guichets, de payer les factures d’eau et d’électricité grâce à leur téléphone portable. Outre la promotion d’une plus grande inclusion bancaire, le programme cherche également à réduire le coût des transferts des expatriés. L’Organisation Internationale pour les Migrations constate par ailleurs une évolution affectant certains couloirs de transferts (tels que ceux qui relient les États-Unis et le Royaume-Uni au Pakistan) lesquels passeraient de canaux informels, par exemple, le transport d’espèces lors de voyages de retour, à des voies formelles en ayant recours aux services de sociétés de transfert de fonds ou de banques, un exemple du rôle de catalyseur que la COVID-19 a joué dans la dématérialisation des transactions. Enfin, la Banque centrale a adopté une politique « zéro restriction » sur les transferts entrants, avec une politique d’exemption fiscale à certaines conditions afin de réduire les coûts de transfert et d’augmenter le volume transitant par les canaux formels.

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SI les transferts de migrants permettent de lisser dans le temps les variations conjoncturelles, en jouant un rôle contracyclique, l’incidence qu’ils jouent à long terme sur l’économie paraît faible, comme le montre l’étude de la Banque centrale publiée en 2021. En effet, les transferts de migrants exercent davantage un effet sur la consommation que sur l’investissement et l’incidence sur le PIB par tête, pour positive qu’elle soit, reste faible, de l’ordre de 0,15%. Dans le cadre de la gestion de la crise économique et financière que traverse le pays, il convient toutefois de ne pas minorer leur rôle, dans la mesure où ils sont l’une des principales sources de devises du Pakistan.

 



[i] Le Pakistan est le 7ème pays d’origine des migrants internationaux en 2020, l’Inde arrivant en premier, et derrière le Mexique, la Russie, la Chine, la Syrie et le Bangladesh. Etat de la migration dans le monde 2022 - OIM

[iv] Selon les données Frontex, on enregistrait 10015 cas de franchissement illégal de frontière en 2017, contre 2603 en 2020 ; profil : hommes entre 16 et 28 ans, en majorité originaires du centre du Pendjab

[v] On note une infime augmentation entre 2019 et 2020, en valeur relative la part des femmes inscrites pour l’overseas employment est passée de 0,65% à 0,8% du total, en raison d’une baisse de la demande pour la catégorie d’emploi la plus demandée pour les hommes, très concentrés dans le secteur de la construction.  Parmi les femmes enregistrées pour l’overseas employment, 26,5% travaillent dans le secteur médical (médecin, infirmière, aide-soignante), 15,8% comme employées de maison, 9% comme managers. Il n’existe aucune politique incitative pour l’expatriation des femmes au Pakistan. En comparaison, la part des femmes qui s’expatrient est plus forte au Bangladesh ou au Sri Lanka qu’au Pakistan ou en Inde.

[vi] Entre 2019 et 2021, 40 % et 30 % du nombre total de travailleurs pakistanais inscrits pour un emploi à l'étranger travaillaient respectivement comme ouvriers et chauffeurs (BEOE, 2022b). - entre 1971 et 2020, 42,3% unskilled, 51% semi skilled/skilled, highly qualified représentent seulement 5,7% (rapport BOE 2020)

[vii] Une étude empirique d’ILO sur les causes de l’émigration pakistanaise montre, sur un panel interrogé, que la majorité des Pakistanais qui leur pays pour chercher de meilleures conditions de vie et un meilleur salaire.

[viii] Le service économique a récemment été approché par une OEP dépendant de la fondation Fauji (armée) qui souhaitait développer ses activités en France et y placer de la main d’œuvre pakistanaise.

[xi] 7ème en 2015 et 6ème en 2020, derrière l’Inde, la Chine, le Mexique, les Philippines, l’Egypte), 8ème en termes de part du PIB. OIM, Etat de la migration dans le monde 2022.

[xii] En moyenne les coûts de transfert vers le Pakistan restent inférieurs à la moyenne mondiale. Pour mémoire, il s’agit d’un des objectifs du développement durable (SDG 10.C.1 : baisser le coût des transferts à 3% pour l’envoi de 200 USD d’ici 2030). D’après le Remittance Prices Worldwide Report (World Bank 2021b) le coût moyen constaté pour un transfert d’Arabie saoudite vers le Pakistan au Q4 2022 est de 4,18% pour 200 USD et 2,58% pour 500 USD, contre une moyenne mondiale de 6,4%.

[xiii] Un hawala/hundi permet de transférer rapidement des fonds sur une longue distance sans passer par le système bancaire traditionnel. Si une personne A résidant dans un pays donné souhaite transférer des fonds vers une personne B habitant dans un autre pays, alors A va se rapprocher dans son pays d’un agent de change X et lui transmettre la somme qu’elle souhaite faire parvenir à B. X va alors contacter l’agent de change Y, situé dans le pays de résidence de B, et lui demander de transmettre la somme à B. En contrepartie, X s’engage à rembourser Y. Il n’y a donc pas directement de transfert de fonds entre A et B, ni de trace écrite, ce système reposant sur la confiance entre X et Y.

[xiv] Working papers PIDE Remittances for growth: initiatives for remitters and remittances

[xv] IOM, Snapshot: Remittance inflows to Pakistan during Covid 19

[xvi] World Bank migration_and_development_brief_37_nov_2022

[xvii] World Bank migration_and_development_brief_37_nov_2022

[xviii] D’un entretien du service économique avec Nadeem Javaid, économiste en chef du ministère du plan, le gouvernement travaille à un plan de relance qui intégrera une coopération renforcée avec les pays du Golfe et notamment une augmentation des flux de travailleurs pakistanais vers ces pays.

[xix] La régulation en matière de travailleurs expatriés relève toujours du Emigration Ordinance de 1979, une National Emigration and Welfare Policy for overseas Pakistanis est en cours d’élaboration depuis plusieurs années mais toujours pas adoptée

[xx] On notera que depuis la réforme constitutionnelle de 2010 (18ème amendement), la gestion des questions migratoires relève du niveau fédéral, mais celle de la formation relève des provinces.

[xxi] Ahmed, J. 2021 Impact of COVID-19: Focusing on Remittance Flows to Pakistan. Opinion paper. Korea Institute for International Economic Policy. February

[xxii] Working papers PIDE Remittances for growth: initiatives for remitters and remittances

[xxiii] Arif, 2009, Economic and social impact of remittances on households.

[xxiv] Working papers SBP