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Zoom sur la situation économique et financière du Kazakhstan

Le Kazakhstan, première économie de la zone Asie centrale (PIB nominal de 225,5 Md USD et PIB par habitant de 11 410 USD en 2021 selon le FMI), voit sa croissance accélérer en 2023 et retrouver son niveau moyen d’avant-pandémie (environ 4%/an), après un ralentissement en 2022 lié à des perturbations multiples (troubles sociaux, guerre en Ukraine, incidents sur l’infrastructure pétrolière). La bonne tenue de l’activité s’explique par le maintien d’une forte demande externe d’hydrocarbures, un effort d’investissement public conséquent et une reprise des flux d’IDE conduisant à une accélération de la croissance dans la plupart des secteurs. La baisse du cours des hydrocarbures a provoqué une détérioration des comptes publics et externes, que le pays reste néanmoins en capacité d’absorber sans difficultés majeures grâce à d’importants coussins financiers. La persistance de l’inflation, qui grève durablement le revenu des ménages, demeure un enjeu central en dépit d’une relative amélioration depuis le début de l’année. Ce défi s’ajoute à d’autres problématiques pesant sur les perspectives de l’économie kazakhstanaise : maintien d’une forte dépendance à la Russie pour ses approvisionnements et ses exportations de pétrole via l’oléoduc de la Caspienne ; risques liés aux sanctions secondaires contre les entreprises et banques du pays.

I. Une accélération de la croissance en 2023 favorisée par la reprise de l’investissement et de la consommation

A. Le commerce et l’industrie ont tiré la croissance sectorielle

La croissance économique a été vigoureuse au 1er semestre 2023, portée par une accélération de l’activité dans la plupart des secteurs. Pour mémoire, la croissance du PIB en 2022 avait ralenti à 3,2% (contre 4,3% en 2021) en lien avec les troubles sociaux de janvier 2022 et les difficultés du secteur extractif, affecté par plusieurs incidents techniques, et ce alors que les exportations en valeur d’hydrocarbures avaient bénéficié du cours exceptionnellement élevé du baril de pétrole. Au 1er semestre 2023, la croissance a atteint 5,3% en comparaison annuelle (contre 3,6% l’année passée). Elle a notamment accéléré dans le secteur extractif à 3,7% en g.a.[1] (contre 1,9% au S1 2022), dans l’agriculture à 3,2% (1,4% au S1 2022), dans le commerce à 10,4% (8,8% au S1 2022) et dans la construction à 10,4% (contre 9,3%). Seul le secteur manufacturier a marqué le pas, avec une hausse d’activité en ralentissement de 5,8% à 3,4% sur la période considérée. En termes de contribution à la croissance, le commerce occupe la première place à 1,5 p.p., suivi de l’industrie (1,2 p.p.) et de la construction (0,6 p.p.). La bonne tenue de l’activité s’est également manifestée par une légère décrue du taux de chômage à 4,7% au T2 2023, contre 4,8% fin 2022.

Figure 1. Contributions sectorielles à la croissance du PIB au S1 2023, points de PIB

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Source : Bureau de statistiques nationales du Kazakhstan

B. La politique budgétaire expansionniste et la reprise des investissements étrangers ont entretenu la demande.

Du point de vue de la demande, la consommation des ménages et l’investissement ont très fortement progressé. Les dépenses de consommation finale ont augmenté de 8,4% au S1 2023, dont une hausse de 9,8% pour les ménages, après avoir diminué de 1% au S1 2022 (de 2% pour les ménages), tandis que la formation brute de capital fixe a enregistré une hausse spectaculaire de 28% en g.a. au S1 2023 (contre +2,3% au S1 2022).

La dynamique de l’investissement public explique en partie ces résultats, avec une augmentation des dépenses du budget consolidé de 25% en g.a. sur les 9 premiers mois de l’année à 15 176 Md KZT (33,5 Md USD), atteignant 12,9% du PIB (+1,2 p.p. par rapport à l’année passée), qui s’est spécifiquement concentrée sur l’infrastructure énergétique (+92% en g.a.). Dans ce cadre, les autorités ont notamment débloqué 320 M USD supplémentaires en mars dernier pour rénover l’infrastructure énergétique vieillissante du pays. Les dépenses publiques destinées aux ménages ont également connu une progression non négligeable, en particulier dans la sphère sociale (+34% pour les services communaux), l’éducation (+20%) et la santé (+18%).

L’investissement total a aussi bénéficié de la reprise des flux d’IDE. Au 1er juillet 2023, le stock total d’IDE entrants au Kazakhstan s’est établi à 158 Md USD (60,9% du PIB), en hausse de 4,6% en g.a., après avoir stagné autour de 152 Md entre 2020 et 2022. Les flux nets d’IDE entrants au Kazakhstan ont ainsi atteint 4,1 Md USD au S1 2023 (contre 2,8 Md au S1 2022), essentiellement grâce à des investissements des Etats-Unis (1,3 Md USD), néerlandais (0,9 M USD), suisses (0,7 Md USD) et chinois (0,5 Md USD). Les Pays-Bas demeurent de loin le premier investisseur étranger, avec 38% du stock d’investissement total début juillet 2023 (61 Md USD), suivis des États-Unis à 28% (45 Md USD) et de la France à 8% (12,8 Md USD). En termes sectoriels, les investissements étaient concentrés à 76% dans le secteur extractif (121 Md USD, à 93% dans les hydrocarbures).

D’ici à la fin de l’année, la croissance devrait se maintenir à un niveau supérieur à l’année passée. En première estimation, le PIB du Kazakhstan a augmenté de 4,9% sur les huit premiers mois de l’année. Les prévisions d’activité de la Banque nationale du Kazakhstan (BNK) pour l’ensemble de l’année 2023 sont comprises dans une fourchette de 4,2 à 5,2%, dans laquelle s’inscrivent également les prévisions du FMI et de la Banque mondiale (4,6%). En 2024, la BNK anticipe une croissance très légèrement inférieure, comprise entre 4 et 5% sur la base d’un prix moyen du baril de Brent stable à 80 USD. Les prévisions des IFIs s’établissent respectivement à 4,2% pour le FMI et 4,3% pour la Banque mondiale.

II. Une relative dégradation des principaux paramètres macro-financiers

A. La détérioration des comptes financiers est compensée par des réserves de change toujours conséquentes

Le déficit du budget de l’État s’est creusé par rapport à l’année passée, mais reste contenu. Sur les 9 premiers mois de 2023, il s’est établi à 1868 Md KZT (3,9 Md USD), soit 2,4% du PIB, contre 0,6% sur la même période en 2022. La progression des dépenses – pour les motifs évoqués dans la section précédente – a été plus rapide (+23%) que celle des recettes (+15%). Le montant de ces dernières a été affecté par des rentrées fiscales plus faibles dans un contexte de modération du prix des hydrocarbures, ainsi que par la baisse de 14% des transferts effectués depuis le Fonds national. Leur part dans les recettes totales a ainsi reculé de 25% en 2022 à 19% en 2023. Le financement du déficit a été assuré essentiellement par des émissions de dettes sur le marché intérieur. Le Kazakhstan dispose, du reste, de réserves confortables pour parer à d’éventuels besoins de financements : les réserves de change officielles s’élevaient à 31,9 Md USD au 1er septembre (-2% en g.a.), couvrant l’équivalent de 5,6 mois d’importations, auxquelles s’ajoutent les avoirs du Fonds souverain totalisant 57,8 Md USD à la même date (+12%). Fin 2023, le FMI anticipe un déficit budgétaire modéré à -0,8% du PIB, tandis que la dette publique resterait négligeable et stable à 23,4% du PIB.

La balance courante est ressortie en déficit à hauteur de 4,6% du PIB au 1er semestre 2023. En 2022, le solde courant avait été excédentaire à 3,1% du PIB grâce au surplus de recettes pétrolières, mais ce résultat fait figure d’exception dans l’histoire économique récente du pays, qui a systématiquement enregistré des déficits courants depuis 2014 du fait de l’importance des sorties de capitaux associés à la rémunération des investisseurs étrangers dans le secteur des hydrocarbures (dividendes essentiellement). Le repli du prix du pétrole a conduit à une réduction de l’excédent des biens et services à 8,4 Md USD au 1er semestre 2023, soit moins de la moitié du résultat du S1 2022 (20,2 Md USD). Les exportations de biens ont diminué de 10,2% en g.a. à 38,7 Md USD, tandis que les importations ont significativement augmenté à 29,2 Md USD (+29,8%). En particulier, les exportations d’hydrocarbures ont diminué de 4,5 Md USD ou 17,1% en valeur à 20,5 Md USD, 68% de cette diminution étant imputable à l’effet-prix. Dans le même temps, la baisse des recettes pétrolières a conduit à une diminution des sorties de revenus liés à la rémunération des investissements : la balance des revenus primaires a enregistré un déficit en légère baisse (-6,7%) à 12,7 Md USD, dont 12,5 Md USD imputables aux sorties de revenus nettes liées aux IDE. L’endettement externe totale du Kazakhstan demeure relativement important à 161,8 Md USD au 1er juillet 2023 (-1,4% en g.a.) ou 62% du PIB, mais présente un risque limité pour les finances publiques étant donné sa maturité (89% d’échéances à long terme) et le poids du secteur privé (81% de la dette externe totale[2]).

Figure 2. Compte courant, Md USD

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Source : Banque nationale du Kazakhstan

Les données du commerce extérieur permettent d’observer une stabilité d’ensemble des partenaires commerciaux du Kazakhstan. Les trois principaux partenaires du pays au 1er semestre 2023 étaient toujours l’Union européenne à 29,9% des échanges totaux (-1,4 p.p. par rapport au S1 2022), la Russie à 19,4% (+0,4 p.p.) et la Chine à 20% (+2,5 p.p.). La structure du commerce bilatéral tend néanmoins à évoluer, notamment en conséquence des importations parallèles vers la Russie : le solde commercial avec la Russie se rééquilibre (déficit de 2,9 Md USD, contre 5,2 Md USD au S1 2022) à mesure que sa position de fournisseur se fragilise (27,3% des importations totales du Kazakhstan, -12 p.p.) et que les exportations du Kazakhstan vers ce pays augmentent (13,4% des exportations totales, +4,9 p.p.). Ces évolutions reflètent en miroir celle du commerce bilatéral avec l’UE : l’excédent commercial kazakhstanais a diminué de 5,2 Md USD à 10,5 Md du fait de la baisse des exportations, liée à celle du cours des hydrocarbures (42,2% des exportations totales du Kazakhstan, -2,3 p.p.) et à l’augmentation des exportations de l’UE vers le Kazakhstan (18,9% des importations totales du Kazakhstan, +4,6 p.p.)[3]. Seule la Chine voit grossir l’ensemble des composantes de son commerce bilatéral, avec des importations chinoises atteignant 21,4% du total (+3,1 p.p.) et des exportations kazakhstanaises vers ce pays représentant 16,6% du total (+1,1 p.p.).

B. Le Kazakhstan doit composer avec une inflation élevée et persistante

Malgré une résorption partielle par rapport au début de l’année 2023, l’inflation se maintient toujours à un niveau élevé. L’inflation annuelle moyenne en janvier-septembre 2023 a progressé à 16,3%, contre 13,3% sur la même période de 2022. Après un pic à 21,3% en février dernier, l’inflation annuelle a graduellement diminué pour s’établir à 11,8% en septembre 2023, grâce notamment à l’effet de base, au ralentissement de l’inflation dans les économies partenaires (dont la Russie), au durcissement des conditions financières au niveau mondial et à la baisse des prix alimentaires. Le Kazakhstan demeure néanmoins le pays d’Eurasie présentant le plus haut niveau d’inflation[4]. La composante alimentaire de l’IPC, en hausse de 11,4% en g.a. en septembre, reste le principal moteur de la hausse des prix après les biens non alimentaires (+12,1%) et les services (+11,9%). Les contributions de ces trois catégories à la hausse totale des prix s’élèvent respectivement à 4,8 p.p., 3,6 p.p. et 3,4 p.p. Face à la persistance des tensions inflationnistes, la BNK a durablement maintenu une posture restrictive – taux directeur à 16,75% entre décembre 2022 et août 2023 parachevant un cycle de hausse engagé depuis début 2021 d’un total de 775 pdb (point de départ à 9%) – avant de procéder à deux baisses d’un total de 75 pdb depuis août 2023 à 16%. Une nouvelle baisse de taux serait envisagée d’ici la fin de l’année en cas de diminution de l’inflation annuelle à moins de 10%, hypothèse que ne reflètent toutefois ni les prévisions d’inflation de la BNK pour la fin d’année 2023 (10-12%) ni celles du consensus sondé par cette dernière en septembre (11,5%). Par ailleurs, le niveau élevé de l’inflation a conduit la BNK à redéfinir son objectif d’inflation à 5%, contre une fourchette de 4-5% auparavant.

Figure 3. Inflation et politique monétaire

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Source : Banque nationale du Kazakhstan

Les risques inflationnistes restent significatifs. La stimulation de la demande intérieure par l’impulsion budgétaire et la reprise de la consommation s’accompagnent d’anticipations d’inflation des ménages à douze mois toujours importantes et non ancrées, en hausse à 17% en septembre 2023 (+0,6 point en g.m.). Le risque d’effets de second tour n’est également pas exclu, en lien avec l’impact à retardement de l’augmentation des tarifs réglementés – de 7% sur le carburant et de 15,6% sur les services communaux – et l’affaiblissement du tenge par rapport au dollar depuis l’été, qui résulte à la fois de la dépréciation du rouble russe et de la levée de l’obligation de vente de devises par les entreprises d’État[5]. La devise kazakhstanaise s’est dépréciée de 1,3% par rapport au dollar en glissement trimestriel au T3, consécutivement à une appréciation de 2% sur la première moitié de l’année, qui résultait notamment d’une forte hausse de la demande d’obligations d’État kazakhstanaises (+46,1%).

Figure 4. Taux de change USD/KZT (échelle inversée)

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Source : Banque nationale du Kazakhstan

L’inflation pèse sur le niveau de vie de la population. Malgré une hausse des revenus nominaux des ménages de 16% sur les huit premiers mois de l’année 2023 en glissement annuel, leurs revenus réels ont enregistré une baisse de 0,6% sur cette période, et n’ont recommencé à croître que péniblement à partir de juin au mois le mois. La dernière baisse ainsi observée datait de 2016.

III. Une contribution toujours faible du secteur bancaire au financement de l’économie

Le secteur bancaire apparaît solide dans l’ensemble, mais est faiblement dimensionné. Selon la BNK, l’ensemble des banques respectaient les principales normes prudentielles début septembre 2023, et le taux de créances douteuses à cette date était en baisse de 0,2 p.p. en g.a. à 3,4%. Il demeurait néanmoins plus élevé dans les banques russes ou anciennement russes continuant de travailler dans le pays, dont VTB (9,6%) et Bereke Bank (7,8%). Les bénéfices nets du secteur bancaire ont progressé de 76% en g.a. au 1er octobre, atteignant 1580 Md KZT. La dollarisation du secteur dans son ensemble a diminué début septembre, particulièrement s’agissant des dépôts à 30,3% (-8,9 p.p.) et, dans une moindre mesure, pour les crédits, à 6,9% (-1,3 p.p.), ce qui constitue une normalisation de la situation après l’afflux de devises associé à l’arrivée de résidents russes en 2022. Le secteur bancaire pèche toutefois par son poids limité dans le financement de l’économie : les actifs totaux du secteur ont progressé de 15% en g.a. au 1er octobre 2023, mais ne pesaient que 40,7% du PIB. Cette norme s’élevait à 15,4% pour les dépôts des ménages et 21,7% pour les crédits totaux. Le financement des entreprises semble particulièrement problématique : le crédit aux personnes morales n’a progressé que de 10% en g.a. au 1er septembre, contre 31% pour les personnes physiques, et ne représente qu’un tiers du portefeuille total de crédits.



[1] La production de pétrole du Kazakhstan a augmenté de 5,6% sur cette période, mais demeure inférieure au quota défini par l’OPEP : elle n’a ainsi pas été affectée par les décisions de diminution de la production prises par cette organisation.

[2] Plus de la moitié de la dette externe totale (93 Md USD) relève de l’endettement intra-firmes au titre des IDE.

[3] La part de marché à l’exportation de la France au Kazakhstan a progressé de 0,2 p.p. en g.a. à 3,8% au 1er semestre 2023, tandis qu’elle absorbait 2,3% des exportations totales kazakhstanaises (+0,7 p.p.).

[4] A titre de comparaison, l’inflation annuelle atteignait 6% en Russie, 9,2% en Ouzbékistan et 9,6% au Kirghizstan à la même période.

[5] Cette obligation contraignant les entreprises étatiques et quasi-étatiques à liquider sur le marché intérieur 50% de leurs recettes en devises (30% ultérieurement) avait été mise en place à titre préventif au cours de la pandémie de Covid pour soutenir la monnaie nationale.