Malgré les progrès réalisés en matière d’accès à l’électricité, près de 95 millions de personnes en Afrique de l’Est en sont toujours dépourvu. Les capacités électriques (19,3 GW soit 13,3 % des capacités françaises) sont en augmentation régulière, mais plusieurs contraintes fragilisent les systèmes électriques (capacité limité et vétusté des réseaux, connexions illégales) et les capacités financières des opérateurs. Des projets d’interconnexion se développent, permettant notamment aux pays exportateurs (Ethiopie, Ouganda) de vendre leur surplus hydroélectrique à prix abordable à leurs voisins. L’intervention des bailleurs demeure indispensable pour le financement de telles infrastructures de réseau, comme dans la génération. L’AFD n’est pas en reste et est active dans la plupart des pays de la zone sur l’ensemble de la chaine de la valeur, y compris en assistance technique. Malgré les difficultés, ce secteur, qui a déjà attiré de nombreuses entreprises françaises, est porteur d’opportunité, tant pour les producteurs d’électricité indépendants, les fournisseurs d’équipements, les bureaux d’études ou les fournisseurs de solutions d’énergies renouvelables hors-réseau.

 

Malgré les progrès réalisés dans le secteur de l’accès à l’électricité, le secteur de l’électricité en AEOI reste confronté à de nombreuses difficultés

Les taux d’accès à l’électricité, bien qu’en augmentation constante ces dernières années, sont très inégaux dans la région. Si les îles de l’océan disposent de l’accès universel ou en sont proches (Seychelles, Maurice, Comores), des efforts très importants restent à poursuivre pour d’autres pays (Tanzanie, 42,7 % ; Ouganda, 45,2 % ; Madagascar, 35,1 %), tandis que le Burundi et le Soudan du Sud se démarquent par un taux d’accès particulièrement faible (10,7% et 7,7 % respectivement). Améliorer l’accès à l’électricité, à un prix abordable, notamment en zone rurale, pour les 95 millions de personnes qui n’en disposent pas en Afrique de l’Est (51,7 % de la population totale), est un enjeu de développement social et économique majeur alors que la croissance démographique reste forte (2,9 % an par en Tanzanie, 3,3 % en Ouganda).

Avec une capacité installée totale, de 19,27 GW dans l’ensemble de la région (soit 13,3 % des capacités installées en France), le système électrique de la zone AEOI reste relativement peu développé. Si tous les pays d’AEOI ont établi des objectifs de diversification et de décarbonation de leur mix énergétique, les efforts à fournir pour les atteindre diffèrent. La production d’hydroélectricité est importante dans la région, mais le mix électrique de nombreux pays reste dominé par les sources thermiques fossiles (charbon, gaz naturel, produits pétroliers) : îles de l’océan indien, Erythrée, Djibouti, Somalie, Tanzanie, Soudan, Soudan du Sud et Rwanda avec des enjeux de transition énergétique importants. La part de l’électricité dans les mix énergétiques nationaux reste relativement faible, oscillant entre 2 et 9 %, sauf pour Maurice où elle s’élève à près de 30 %, preuve de l’importance des enjeux d’accès à l’électricité, d’électrification des usages domestiques et productifs et, de manière plus large, d’industrialisation.

Les systèmes électriques en AEOI restent confrontés à plusieurs difficultés, liées aux capacités des réseaux de transport ou leur vétusté, la fiabilité et qualité des réseaux de distribution souvent vieillissants, du vandalisme ou des connections illégales, causes de nombreuses pertes techniques et commerciales. Ces pertes, souvent élevées (23 % en Ethiopie, 19 % au Rwanda), peuvent renforcer les difficultés financières des entreprises publiques ou non en charge de la gestion des réseaux. En Tanzanie, Tanesco estime perdre ainsi environ 7 MUSD par mois en raison de la non-efficience, d'une perte de puissance et de problèmes techniques et non techniques.

Des systèmes électriques en recherche d’équilibres financiers qui s’ouvrent de plus en plus au secteur privé

L’organisation du secteur de l’électricité prend généralement deux modèles principaux : i) le monopole public intégré, qui assure tout ou partie de la chaine de valeur (production, transmission, distribution) (Burundi, Tanzanie, Maurice) ; ii) le découplage qui consiste en la séparation de la gestion des différents segments en plusieurs entités, privées ou publiques (Kenya, Ouganda).

Les difficultés liées au système électrique, mentionnées ci-dessous, pèsent sur la situation des entreprises du secteur de l’électricité (KPLC au Kenya par exemple) et se répercutent sur les consommateurs, confrontés dans de nombreux pays à des prix de l’électricité élevés (Figure 2). Ils sont particulièrement élevés en Somalie (entre 80 et 100 ct USD/kWh), pays qui dépend essentiellement de petits générateurs diesel pour sa production d’électricité alors qu’en Ethiopie la production d’hydroélectricité à bas coût (94 % de la production en 2021) et des subventions implicites maintiennent les tarifs à des niveau très faibles.

L’ouverture au secteur privé de certains segments se fait progressivement, notamment pour la génération qui est largement le segment le plus avancé dans ce domaine. Les Etats ont mis en place les régulations et incitations nécessaires pour attirer les investissements privés : cadres pour le déploiement de PPP et de contrats d’achat d’électricité, incitations à l’investissement dans les énergies renouvelables (feed-in-tarifs par exemple), mais qui ont tendance à se réduire, en particulier pour le solaire ou l’éolien. Au Burundi, seul le secteur de la génération est ouvert, avec plusieurs producteurs d’électricité indépendants (PEI) présents. Des projets de lignes de transmission en PPP sont évoqués dans certains pays (Kenya, Ouganda) sans réalisations concrètes à l’heure actuelle, faute de cadre règlementaire et financier permettant la mise en œuvre de projets en PPP rentables.

 

Le rôle des interconnexions entre les pays pour pallier aux chutes de production d’électricité et accéder à une électricité moins chère

Les interconnexions peuvent permettre de renforcer la résilience des réseaux et in fine d’améliorer la compétitivité du secteur de l’électricité (et ainsi obtenir des prix plus faibles pour les consommateurs). Elles sont aussi un moyen pour pays affichant des ambitions importantes de production hydroélectrique (Éthiopie, Ouganda) de se placer comme exportateurs régionaux. Cette volonté partagée de développer les interconnexions a été initialement formalisée par la constitution de l’organisme Eastern Africa Power Pool (EAPP) dès 2005. Le développement des interconnexions sert également les ambitions d’exportations de certains pays, tels que l’Ethiopie, le Rwanda ou la Tanzanie. 

 

Si les réalisations effectives sont en retard par rapport aux plans initiaux, plusieurs projets ont été lancés et certains réalisés. Le plus notable est la ligne Éthiopie – Kenya achevée en 2022, elle permet de transporter 500 kV (sous-stations de 2000 MW) sur plus de 600 km grâce à un transport par courant continu HVDC. L’Éthiopie a signé un PPA avec le Kenya pour l’achat d’électricité sur 25 ans à faible prix (0,065 USD/kWh) fin 2022, suite à cette mise en service. D’autres interconnexions entre l’Ethiopie et ses voisins sont envisagées ou en cours de développement, notamment avec Djibouti (financement BAD) ou le Soudan du Sud. En juin dernier, l’Ouganda et le Soudan du Sud ont trouvé un accord-cadre similaire pour la construction d’une ligne de transmission de 308 km entre Olwiyo et Juba (financement reste à securiser).

 

Le soutien des bailleurs reste indispensable pour pallier au manque d’investissements dans le secteur

Le développement des infrastructures électriques (production, transport ou distribution d’électricité), requiert des investissements importants. Le soutien des bailleurs multilatéraux (Banque mondiale, BAD, UE) et bilatéraux (AFD, KfW) reste à cet égard indispensable pour soutenir les secteurs électriques nationaux. A noter toutefois l’exception notable de l’Ethiopie, qui a financé intégralement sur des ressources propres le barrage du GERD.

Les bailleurs sont particulièrement impliqués dans les grands projets de génération régionaux, à l’instar du projet Ruzizi III, projet structurant pour la génération d’électricité au Burundi et de manière plus large pour l’intégration régionale entre les 3 pays parties prenantes, Burundi, Rwanda et RDC. Ce barrage hydroélectrique de 202 MW (650 MEUR estimés au départ) est en développement depuis 2015. Si le closing financier était imaginé pour fin 2022, avec un pool de plusieurs bailleurs dont BAD, BEI, AFD, KfW et une mise en service prévue en 2027, mais les tensions régionales l’ont désormais fortement ralenti.

D’autres projets publics peuvent être financés via des partenariats bilatéraux sur financements liés. Au Burundi par exemple, le projet hydroélectrique de Kaburantwa (20 MW) a été financé par un prêt souverain de l’Exim Bank of India (80 MUSD), dont la construction est en cours par une entreprise indienne. La Chine est aussi active dans la région. En Ouganda, l’Exim Bank of China a financé le projet de méga centrale électrique de Karuma (600 MW) à hauteur de 85 % du montant du projet (1,7 Md USD).

L’AFD est un bailleur important dans le secteur de l’énergie, couvrant l’intégralité de la chaine de valeur de l’électricité. C’est le premier bailleur bilatéral pour le secteur au Kenya par exemple, avec plus de 1 Md EUR de financement depuis 10 ans. Ce montant s’élève à 500 MUSD en Tanzanie. L’AFD soutient également le secteur via de l’assistance technique aux entreprises publiques. En Ethiopie, un projet avec RTE a été approuvé en septembre 2023 et vise à fournir une assistance technique à EEP pour optimiser et améliorer le fonctionnement du réseau existant tandis qu’EDF Hydro soit également accompagné Kengen au Kenya sur l’optimisation de la production hydro-électrique, dans les deux cas sur financement FEXTE.

 

L’AEOI est une région d’intérêt pour les entreprises du secteur de l’électricité, mais de nombreux blocages persistent

La région AEOI a attiré plusieurs producteurs d’électricité indépendants français. Les îles de l’océan indien sont à ce titre porteuses d’opportunités : Qair (Maurice, Seychelles), Innovent (Comores), Akuo (Maurice), Green Yellow (Maurice) y ont développé plusieurs projets d’énergie renouvelable, essentiellement solaires dont la première centrale solaire flottante aux Seychelles par Qair. Mais de nombreux blocages contraignent la concrétisation des projets. Les réseaux électriques sont souvent insuffisants pour intégrer les énergies renouvelables intermittentes. Le cadre règlementaire mouvant peut constituer un obstacle important. Du fait de la fragilité financière des entreprises publiques du secteur (signant les CAE), une garantie souveraine de l’Etat local est souvent indispensable, ce qui peut constituer un frein supplémentaire malgré les instruments de garanties partielles mis à disposition par les bailleurs (AFD, Banque Mondiale, BAD, etc). En 2019, un moratoire sur les contrats d’achat électricité a été mis en place au Kenya, il a finalement été levé en mars 2023, après une renégociation des contrats préalablement signés. Par ailleurs, les exigences de tarifs d’achat bas – 5 ct USD/kWh en Ouganda ou 5-6 ct USD/kWh au Kenya pour le solaire sans stockage – compliquent le développement de projets pour les PEI, dans un contexte politique ou financier loin d’être sans risques ce qui a un impact sur les coûts de financements.

La France est également bien positionnée sur le segment de la fourniture d’équipements spécialisés. En 2012, GE Hydro France a signé avec MetEC, responsable de la fourniture des équipements électromécaniques pour le GERD en Ethiopie, un contrat pour la fourniture des huit premières turbines du barrage. Parallèlement, GE Grid Solutions France exécute un contrat pour la fourniture de 16 disjoncteurs de générateur pour le GERD.

Enfin, les entreprises françaises disposent d’une expertise en matière d’ingénierie, leur permettant de remporter des contrats sur les grands projets de génération notamment. Ainsi Tractebel a remporté en 2011, en consortium avec l’italien Electroconsult le contrat d’ingénierie pour le GERD. Sur les questions de réduction des pertes de réseau, des compétences françaises existent également : des bureaux d’étude ou de conseil et, dans une moindre mesure compte tenu de la concurrence à bas-coût, dans la fourniture d’équipements de type smart meters.