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Zoom sur la situation économique et financière du Kirghizstan

Après une année 2022 meilleure qu’espéré, le Kirghizstan – pays appartenant à la tranche inférieure des pays à revenu intermédiaire avec un PIB par habitant de 1627 USD et un PIB nominal de 11,1 Md USD en 2022) – voit la progression de son activité ralentir en 2023 du fait de l’affaissement des piliers de croissance de son économie, fondée sur la production de métaux précieux et les transferts de revenus depuis l’étranger. La hausse de l’investissement public permise par une amélioration de la collecte fiscale a toutefois contenu l’impact de ces facteurs sur la croissance. La stabilité macroéconomique du pays demeure globalement précaire et est particulièrement vulnérable aux aléas régionaux, qui se manifestent par une inflation persistante et une élévation notable du déficit courant. Le système financier a paradoxalement tiré profit des flux de population en provenance de la Russie, mais reste sous-dimensionné.

I. La reprise économique ralentit en 2023 sur fond de baisse de la production d’or

A. Le ralentissement structurel de l’industrie aurifère pèse sur la croissance à moyen terme

Après une reprise plus importante qu’attendu en 2022, la croissance a nettement ralenti en 2023. L’économie kirghize avait crû de 7% en 2022 – le meilleur résultat depuis 2013, dépassant les attentes des prévisionnistes internationaux – dans un contexte de rétablissement de l’activité post-Covid[1] et de reprise de la production d’or, qui avait été perturbée par le contentieux lié à la mine de Kumtor. La demande intérieure avait également été soutenue par les retombées indirectes de la guerre en Ukraine, qui se sont manifestées par un gonflement des transferts de revenus et une hausse de la demande de services, notamment bancaires[2]. Sur les huit premiers mois de l’année 2023, la croissance de l’activité s’est établie à 3,3% en g.a., soit un rythme plus de deux fois inférieur à celui de la même période de l’année passée (6,8%).

La croissance à court et moyen terme resterait autour de 4% par an. Les institutions financières internationales (IFI) prévoient une croissance comprise entre 3,5% et 4,2% en 2023, et 3,8% et 4,1% en 2024[3]. La Banque nationale du Kirghizstan (BNK) anticipe pour sa part une croissance proche de 4% en 2023 (5% sans la mine de Kumtor) et 3,5% en 2024.

 

Figure 1. Variation du PIB kirghiz, %, g.a.

graphique

Source : FMI

 

L’essoufflement de la production industrielle pèse sur la performance globale de l’économie kirghize. L’activité industrielle a pratiquement stagné en janvier-août 2023 (+0,3% en g.a.), grevée par les difficultés de l’industrie manufacturière (-2,2%). La production de métaux - qui recouvre essentiellement l’or et les pierres précieuses et représente 45% de la valeur ajoutée totale de l’industrie kirghize – a ainsi chuté de 12,4% en g.a. sur les huit premiers mois de l’année. Les activités extractives, en hausse de 5,4% en g.a. ont un peu mieux résisté au cours de cette période. Affecté par des conditions climatiques défavorables, le secteur agricole a vu sa production diminuer de 1,5% en g.a. Les autres secteurs se montrent relativement résilients, dont la construction (+11,3%), les services d’hôtellerie et de restauration (+16,3%) ou encore le commerce (+11,3%).

B. Le renforcement de l’investissement public a été le principal moteur de la croissance

L’investissement a néanmoins été soutenu par une politique budgétaire expansionniste. Les dépenses publiques nominales se sont établies à 202,5 Md KGS (2,3 Md USD) en janvier-août 2023, soit une hausse de 30,6% en g.a., et l’équivalent de 36% du PIB (+2,5 points de PIB par rapport à 2022). Ces dépenses ont notamment servi au financement de dépenses d’infrastructures publiques et de projets dans le secteur de l’énergie et de l’adduction d’eau. L’investissement public explique en partie le dynamisme de la formation brute de capital fixe, en hausse de 11,9% sur les huit premiers mois de l’année[4]. Les investissements privés se sont concentrés dans le secteur extractif, dont la part dans les investissements totaux a progressé de 18,7% en 2022 à 24,4% en 2023.

La demande privée a également été préservée grâce à une hausse des dépenses sociales : les ventes de détail ont enregistré une hausse de 7,2% en g.a. en janvier-août 2023, malgré une nette diminution des envois de fonds entrants depuis l’étranger à 1,1 Md USD sur les sept premiers mois de l’année (-32% en g.a.). Sur cette période, les dépenses publiques consacrées à la protection sociale ont progressé de 1 point de PIB en g.a. en janvier-juillet 2023 à 6,6% du PIB. Les salaires de la fonction publique ont été revalorisés et représentaient 38,3% des dépenses publiques totales sur cette période. Ces investissements sont reflétés par la dynamique des salaires, en hausse de 27,2% en janvier-juillet 2023 en g.a. en termes nominaux, et de 13,2% en termes réels (après +15,7% en 2022).

La hausse des dépenses publiques a été permise par le niveau élevé des recettes publiques. Elles ont progressé de 32,7% à 209,4 Md KGS (2,4 Md USD), soit 37,2% du PIB et une augmentation de 3,1 points de PIB par rapport à la même période de l’année précédente. Les revenus liés aux impôts ont progressé de 1,5 point de PIB, grâce notamment à la hausse de la collecte de la TVA à l’importation (+42,3%) pesant pour un peu moins d’un tiers des recettes totales et plus de 11% du PIB. Cette bonne performance a permis de dégager un excédent budgétaire de 1,2% en janvier-juillet 2023. La dette publique s’établissait à 5,7 Md USD fin juin 2023 (54% du PIB) et était à 78% extérieure (4,5 Md USD)[5].

II. Les équilibres extérieurs demeurent précaires malgré une relative stabilisation

A. La Banque nationale maintient une posture prudente face à la persistance des risques liés à l’inflation et au taux de change

L’inflation a diminué en 2023, mais les risques inflationnistes demeurent présents. En mesure annuelle, elle s’établissait à 9,5% en août 2023, contre 15,3% en début d’année et 13,9% en moyenne en 2022. Ce ralentissement a été favorisé par la stabilisation des prix alimentaires sur les marchés mondiaux ainsi que l’effet de base statistique à partir de mars 2023. La Banque nationale du Kirghizstan a néanmoins maintenu son taux directeur inchangé à 13% depuis fin novembre 2022 en raison de la prévalence de risques inflationnistes liés à la politique budgétaire, au relèvement des tarifs administrés de l’électricité, au dynamisme de la demande intérieure et à des anticipations d’inflation toujours élevées. Les IFI et la BNK prévoient ainsi un maintien de l’inflation dans une fourchette de 10-12% en fin d’année 2023, avant une diminution à 6-8% en 2024. Le retour à la cible (5-7%) ne se ferait qu’en 2025 selon la BNK.

Figure 2. Politique monétaire et inflation

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Source : Banque nationale du Kirghizstan

 

La dépréciation du som a été limitée par d’importantes interventions de la Banque centrale. La devise nationale kirghize s’est dépréciée de 4,4% par rapport au dollar américain depuis le début de l’année 2023 (au 26 septembre), et de 9,6% depuis le début du 4e trimestre 2022. Depuis le début de l’année 2023, la BNK a amplifié ses ventes de devises sur le marché intérieur en puisant dans ses réserves de change à hauteur de 584 M USD afin de stabiliser le cours du som face à la dépréciation continue du rouble russe[6]. A titre de comparaison, les ventes nettes de devises (déduites des achats) avaient été plus de deux fois inférieures en 2022 à 229 M USD. Au total, les réserves de change s’établissaient à 2537 M USD au 1er septembre 2023, en baisse de 1,2% en g.a. et de 8% depuis le début de l’année, et leur ratio de couverture était relativement faible à 2,7 mois d’importations. Le taux de change moyen USD/KGS était de 87,4 depuis le début de l’année, et s’établirait à 88,8 en moyenne en 2024 selon la Banque eurasiatique de développement (87,1 en 2023).

B. Les comptes extérieurs sont déséquilibrés par la reprise des importations

Le déficit du compte courant s’est creusé au 1er trimestre 2023. Le solde courant affiche un déficit de 1476 M USD, soit 12% du PIB annuel ou 48% du PIB sur le seul premier trimestre, en hausse de 35% par rapport à l’année passée, principalement en raison d’une aggravation du déficit commercial à 1732 M USD (+26% en g.a.). La Banque nationale du Kirghizstan prévoit un déficit courant à hauteur de 47% du PIB en 2023 dû à la dégradation du solde commercial[7]. Son financement serait principalement assuré via les investissements étrangers, dont les flux entrants se sont établis à 3,4 Md USD sur les 7 premiers mois de l’année. Parmi ces flux, les flux d’IDE entrants ne représentaient que 429,8 M USD (env. 4% du PIB), et provenaient en majorité de Chine (102 M USD) et de Russie (87 M USD). La dette extérieure totale du pays s’établissait à 9,8 Md USD au 1er trimestre 2023, soit environ 82% du PIB.

Figure 3. Compte courant, Md USD

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Source : Banque nationale du Kirghizstan

 

Les échanges commerciaux avec l’extérieur ont connu une forte reprise par rapport à l’année passée. Sur les sept premiers mois de l’année, le déficit commercial – structurellement déséquilibré par le poids des importations – a atteint 4,9 Md USD, en hausse de 25% en g.a. La reprise des livraisons d’or vers la Suisse a contribué à l’essentiel de la croissance des exportations : elles se sont établies à 1,6 Md USD en valeur sur les sept premiers mois de l’année, dont 464 M USD d’exportations de métaux précieux, soit une hausse de 46% en g.a, mais de seulement 4% hors métaux précieux. Les trois premiers clients du Kirghizstan sur cette période était la Russie (26% des exportations totales), la Suisse (23%) et le Kazakhstan (17%). A noter que si les exportations vers la Russie avaient augmenté de près de 240% en 2022 par rapport à 2021 à 963 M USD, elles semblaient en voie de stabilisation en janvier-juillet 2023 par rapport à l’année passée à 423 M USD (-3,1% en g.a.).

Les importations ont également enregistré une progression significative à 6,5 Md USD en janvier-juillet (+29% en g.a.), en lien avec le redémarrage de l’activité en Chine : les importations depuis ce pays ont également progressé de 29%, lui permettant de maintenir sa position de premier fournisseur du Kirghizstan (part de marché de 41%). La Russie s’est maintenue en deuxième position – suivie du Kazakhstan –, mais avec un net déclin de sa part de marché (17%, contre 28% l’an dernier) et de ses exportations en valeur (1,1 Md USD, -20,8% en g.a.). Autre tendance notable, les importations depuis les pays occidentaux ont très fortement crû, notamment depuis l’Allemagne (+390% à 48 M USD), le Canada (+946% à 71 M USD), la Corée du sud (+497% à 49 M USD) ou encore le Japon (+329% à 145 M USD), certainement en lien avec la mise en place de réseaux d’importations parallèles par la Russie[8]. Au total, les pays hors CEI représentaient 71% des importations kirghizes en janvier-juillet 2023 (contre 63% sur l’ensemble de l’année 2022 et 45% en 2021).

Figure 4. Partenaires commerciaux du Kirghizstan en janvier-juillet, % total

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Source : Comité de statistiques du Kirghizstan

 

III. L’utilisation du Kirghizstan comme plateforme bancaire par les résidents russes s’est traduite par des effets ambivalents sur son secteur financier

Malgré une forte croissance des dépôts liée à la Russie, le secteur bancaire joue insuffisamment son rôle d’intermédiation financière. En août 2023, les actifs totaux du secteur ont atteint 572,6 Md KGS (6,5 Md USD) en août 2023, en progression de 36,2% en g.a. Cette évolution a été portée essentiellement par celle des dépôts, qui ont augmenté de 50% en un an à 399 Md KGS (4,5 Md USD) sous l’effet d’une très importante hausse des dépôts des non-résidents à 55,5 Md KGS (+137% en g.a.), constitué à 90% de dépôts en devises[9]. Les dépôts des personnes physiques résidentes (148,2 Md KGS ou 1,7 Md USD) ont augmenté à un rythme comparable à celui des crédits à l’ensemble de l’économie (239,9 Md KGS ou 2,7 Md USD) à +24% en g.a. Au total, le poids des actifs bancaires dans l’économie a crû à 54% du PIB, contre environ 45% les années précédentes, mais ne s’est pas répercuté sur le niveau de financement de l’économie : le portefeuille total des crédits rapporté au PIB s’est établi à 23%, soit un niveau équivalent à celui de 2019, alors que les dépôts totaux représentent désormais 37% du PIB, contre 22% en 2019.

Les indicateurs de santé financière sont globalement satisfaisants en dépit de fragilités persistantes. Le taux de créances douteuses a diminué à 10,1% début septembre 2023, soit une baisse de 2,9 p.p. en g.a., mais se maintient durablement au-dessus de son niveau d’avant 2020 (7,8% en moyenne en 2018-2019). La dédollarisation du secteur bancaire s’est poursuivie pour les crédits, dont 21,4% du portefeuille était libellé en devises début septembre 2023 (-3,3 en g.a.), mais a été contrariée par l’afflux de devises depuis l’étranger pour les dépôts, qui affichaient un taux de dollarisation en hausse de 4,5 p.p. en g.a. à 50,3% à cette même date. Les indicateurs prudentiels et de rentabilité se sont légèrement dégradés tout en se maintenant à un niveau convenable : le ratio d’adéquation des fonds propres a diminué de manière négligeable à 23,9% (-0,1 p.p. en g.a.), tandis que les indicateurs de rentabilité des actifs et des fonds propres ont respectivement diminué de 1,1 p.p. et 6,7 p.p. à 4,6% et 33,2% début septembre 2023. Le secteur bancaire dans son ensemble a dégagé un bénéfice net de 16,3 Md KGS (187 Md USD) entre janvier et août 2023, en progression de 17,2% par rapport à la même période de l’année passée.



[1] L’économie kirghize avait enregistré une des pires récessions dans la zone eurasiatique en 2020 (-8,6%), suivie d’une reprise relativement faible l’année suivante (+3,7%) ne suffisant pas à retrouver le niveau d’activité pré-crise.

[2] La forte appréciation du rouble au 1er semestre 2022 couplée aux arrivées d’émigrants russes a contribué à massifier les flux de revenus provenant de Russie. Les agents économiques russes ont également fait une utilisation croissante du système bancaire kirghize pour pouvoir conduire des transactions transfrontalières dans le contexte des restrictions de nature financière imposées à la Russie.

[3] FMI : 3,5%/3,8% ; Banque mondiale : 3,5%/4% ; Banque asiatique de développement : 3,8%/4% ; Banque eurasiatique de développement : 4,2%/4,1%

[4] Les investissements publics ont représenté 11,7% de l’investissement total en janvier-août 2023, contre 6,3% au cours de la même période en 2022.

[5] La dette publique externe est à 99% concessionnelle. 52% de ses encours sont détenus par des bailleurs multilatéraux – principalement la Banque asiatique de développement (705 M USD), la Banque mondiale (666 M USD) et le FMI (468 M USD) –, le reste se répartissant entre bailleurs bilatéraux, au premier rang desquels la Chine (1733 M USD ou 39% de l’encours total).

[6] Pour mémoire, le régime de change est officiellement flottant au Kirghizstan, mais les autorités monétaires procèdent régulièrement à des interventions pour limiter la volatilité de la devise nationale. Ce type d’interventions est fréquent dans des pays caractérisés par une faible transmission de la politique monétaire – du fait de la dollarisation et de la financiarisation limitée de l’économie, ainsi que du manque de crédibilité des autorités financières –, et une forte élasticité des prix aux variations du taux de change, qui demeure le principal indicateur suivi par les agents économiques. Pour plus de détail, voir l’étude du FMI « Strenghtening Monetary Policy Frameworks in the Caucasus and Central Asia », Août 2023.

[7] Ces chiffres doivent être considérés avec précaution en raison de l’imprécision des statistiques kirghizes en la matière. En 2022, la catégorie « erreurs et omissions » de la balance des paiements atteignait 4,3 Md USD, soit un montant quasiment équivalent au solde courant.

[8] Les exportations françaises vers le Kirghizstan ont augmenté de 108% en g.a. à 62,4 M USD, soit une part de marché de 1%. Les importations depuis le Kirghizstan demeurent anecdotiques (326 700 USD).

[9] Cette hausse a été induite par les arrivées de résidents russes au T4 2022, et s’est concentrée quasi-exclusivement sur cette période : les dépôts des non-résidents ont pratiquement stagné depuis le début de l’année (+1,8%).