Portée par un net rebond de ses flux (10,3 Mds EUR), la France renforce sa présence à Singapour en 2022 avec un stock record de 21,6 Mds EUR d’investissements directs à l’étranger (IDE)[1]. Singapour, plateforme incontournable pour la projection des groupes français dans les pays du sud-est asiatique, devient en 2022 la 2ème destination des investissements français dans le monde après les Etats-Unis. A l’inverse, le stock d’IDE singapourien en France, estimé à 1,6 Md EUR, constitue plus de la moitié du stock d’IDE sud-est asiatique en France. Les investissements singapouriens se distinguent par leur nature, essentiellement financière. 

 

I. La majeure partie des IDE français en Asie du Sud-Est est concentrée à Singapour. 

Près de 75% des IDE français en Asie du Sud-Est sont dirigés vers Singapour, représentant un stock de 21,6 Mds EUR d’IDE (cf. Annexes 1 et 4, données Banque de France). Le stock d’IDE français à Singapour surpasse largement ceux observés dans d’autres pays de la région, notamment en Thaïlande (2,5 Mds EUR), en Indonésie (1,6 Md EUR) et en Malaisie (1,3 Md EUR). D’après les statistiques singapouriennes, la France est le 17ème pays investisseur à Singapour et le 5ème investisseur européen[2] (+1 place par rapport à 2020, cf. Annexe 4). Singapour a été particulièrement attractive pour l’investissement français au cours des dernières années, en témoignent plusieurs projets d’envergure, tels que i) le projet de modernisation d’une usine de Soitec à 400 M EUR ; ii) le déploiement du projet de construction d’une usine pharmaceutique innovante de Sanofi pour 400 M EUR ; iii) l’investissement de 370 M USD de STMicroelectronics dans la création d’un système industriel de refroidissement urbain d’ici 2025 ; ou encore iv) les 110 M USD injectés par Schneider Electric dans « Hub Asia », un centre de distribution neutre en carbone. Avec des flux d’IDE records en 2022 (10,3 Mds EUR, +282%), la cité-Etat devient la 2ème destination des investissements français dans le monde après les Etats-Unis.

Alors que le nombre de filiales d’entreprises françaises progresse à Singapour (environ 886 filiales contre 766 en 2019), leurs effectifs (près de 40 000 personnes[3]) et leur chiffre d’affaires cumulé (37 Mds USD) marquent un repli. A titre comparatif, le nombre de filiales allemandes et britanniques est plus modeste dans la cité-Etat, tandis que le CA cumulé des sociétés françaises, supérieur à celui de l’Allemagne à Singapour, reste derrière celui du Royaume-Uni[4]. Singapour continue de tirer profit de sa position au sein de l’ASEAN et de son environnement propice aux entreprises. La cité-Etat dispose d’infrastructures de pointe, d’une fiscalité attractive - accords fiscaux personnalisés négociables par les entreprises étrangères-, d’un cadre légal et politique stable et d’un environnement des affaires classé parmi les meilleurs au monde[5]. Sa situation géographique en fait par ailleurs un point d’ancrage naturel pour les entreprises, qui peuvent ensuite rayonner vers les marchés de la région. Parmi les implantations françaises, on compte de grandes entreprises, des ETI, des PME, des succursales et des bureaux de représentation. La majorité des grands groupes sont représentés, à l’instar de ST Microelectronics (1er employeur avec plus de 5 000 employés), Thales (plus de 2 100 employés), CMA-CGM, Dassault Système, BNP Paribas, Essilor ou AccorHotels. À noter que TotalEnergies a fait de Singapour son hub régional en décembre 2019 (600 employés). Les firmes françaises couvrent ainsi tous les secteurs avec une activité marquée dans les services aux entreprises, la finance[6], et la vente de gros et de détail (cf. Annexe 2). Certaines sociétés s’appuient par ailleurs sur un écosystème propice aux innovations pour développer des centres de R&D (Engie, Airbus, Thales). La cité-Etat compte environ 300 entrepreneurs français et près de 250 chercheurs (French Lab). La communauté French Tech de Singapour est la 1ère en nombre de l’ASEAN, avec environ 5 541 membres Linkedin.

Bien que les restrictions sanitaires et les limitations de voyage liées à la pandémie ont eu pour effet de diminuer la population française vivant à Singapour (-11% par rapport à 2019), la communauté a de nouveau crû, avec un total de 13 130 personnes enregistrées au 1er janvier 2023 (cf. Annexe 3). Avant la pandémie, la croissance des entreprises françaises a été associée à une hausse significative du nombre de résidents français à Singapour, qui a plus que doublé de 2008 à 2019. L’introduction depuis le 1er septembre 2023 du nouveau système de points « COMPASS » pour les demandeurs de visa de travail pourrait freiner cette reprise. Le nombre de volontaires internationaux (VIE)[7] travaillant dans la cité-État - qui avait sensiblement chuté pendant la pandémie – a recommencé à augmenter, sans toutefois rattraper son niveau pré-crise.

 

II. Les investissements singapouriens en France, d’un montant significatif, sont principalement réalisés via des actifs financiers détenus par ses deux fonds souverains, GIC et Temasek. 

En raison de son excédent structurel de compte courant, qui représentait 17% de son PIB en 2022, Singapour accumule chaque année d'importantes réserves en devises, réinvesties principalement par ses fonds souverains. Malgré sa petite taille, Singapour, hub financier, est le 12ème détenteur d’actifs au monde[8]. Selon le classement du Sovereign Wealth Fund Institute (SWFI), les fonds souverains singapouriens, GIC et Temasek, sont respectivement les 7ème et 9ème plus importants fonds souverains au monde en termes d’actifs sous gestion. Ils gèrent l’épargne des Singapouriens, notamment par le biais de l'émission de titres souverains souscrits par la population pour l'épargne contrainte (obligatoire pour accéder au logement et à la retraite), et comptent parmi les principaux investisseurs singapouriens en France, de manière directe ou via les entreprises de leur portefeuille.

Le fonds GIC détiendrait un portefeuille d'investissements en France d'une valeur comprise entre 15 et 20 Mds EUR[9], principalement composé d'actifs financiers (sociétés du CAC 40), de titres souverains et d’investissements immobiliers. En 2019, GIC a créé une joint-venture (détenue à 80%) avec une société américaine pour l’acquisition et le développement de plusieurs datacenters en Europe, dont un à Paris (pour un investissement de 0,9 Md EUR). Fin 2018, GIC avait acquis la tour de bureaux Ariane du quartier de la Défense, pour 465 M EUR et avait fait l’acquisition de 55% des parts d’AccorInvest, la foncière du groupe AccorHotels, avec un groupe d’investisseurs (dont Amundi et Crédit Agricole Assurances) pour un total de 4,4 Mds EUR. GIC détient 32% (près de 800 M EUR) du capital de TIGF, filiale de distribution de gaz de TotalEnergies. Le fonds souverain est par ailleurs un investisseur historique en bons du Trésor, membre du comité stratégique de l’Agence France Trésor.

Les activités de Temasek en France sont portées principalement par sa participation à hauteur de 40% dans le groupe CapitaLand, maison-mère de The Ascott (possédant une trentaine de résidences sous la marque Citadines en France), représentant un investissement de plus de 2,4 Mds EUR en France depuis 2014, soit 30% de leurs investissements en Europe[10]. Temasek a contribué au « scaling up » de certaines entreprises de la French Tech (Alan, Mano Mano, Innovafeed, Fairmat, Pasqal), et soutenu le développement de leaders français (Tikehau dans la gestion d’actifs, Ceva dans la santé animale, Axereal dans les céréales). Temasek est également actionnaire de Safran, Dassault, Airbus, et a investi dans 3 fonds en France : Jeito, Singular et Jolt Capital via Vertex. En s’établissant à Paris en 2023, le fonds affiche sa volonté d’accélérer les investissements en Europe.                                                                  

En 2022, le stock d’IDE singapouriens en France s’est établi à 1,6 Md EUR (+17% par rapport à 2021, cf. Annexe 4)[11], mais près de quatorze fois moins que l’investissement français à Singapour, l’écart s’expliquant par l’absence de vocation d’acquisition de moyens de production en France. Plus de la moitié du stock d’IDE sud-est asiatique en France – qui s’élève à 3,1 Mds EUR (+84%) - est constituée d’investissements de Singapour. Ces investissements se traduisent par une quarantaine d’implantations et plus de 1 500 emplois en France, notamment dans les secteurs de l’hôtellerie et de l’immobilier (CapitaLand, Millennium Hotels, Frasers Centrepoint), les technologies de pointe (ST Engineering), la chimie (Wilmar international) et les services (International SOS). Singapour compte également plusieurs implantations de start-ups innovantes ayant établi leur filiale en France (H3 Dynamics, Novade, Upskills, Obike). En flux, les investissements directs singapouriens en France progressent de 13% à 283 M EUR en 2022.

Selon le rapport 2022 de Business France, Singapour se classe, en nombre de projets, à la 19ème place des principaux investisseurs étrangers en France (1er parmi les pays d’ASEAN et devant Hong-Kong), avec 13 projets permettant la création et/ou le maintien de 278 emplois l’année dernière.



[1] Les données de stocks d’IDE proviennent du rapport annuel 2022 de la Banque de France.

[2] Derrière le Royaume-Uni, la Suisse, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Irlande.

[3] Selon l’enquête européenne OFATS sur l'activité des filiales étrangères des groupes français (INSEE/Eurostat) pour l’année 2020.

[4] 416 et 711 filiales allemandes et britanniques respectivement, pour un CA cumulé de 29,3 Mds USD et 54,2 Mds USD, d’après Eurostat.

[5] En 2023, Singapour se classe par exemple 1er au classement des environnements des affaires de l’EIU et 4ème au classement de la compétitivité de l’IMD.

[6] À noter la décision de cession de la filiale d’AXA à HSBC en août 2021.

[7] ~177 VIE en septembre 2023, contre près de 230 en 2019, mais en augmentation par rapport au nombre de 80 enregistré début 2022. 

[8] Selon les statistiques du FMI sur la position extérieure (Chine et Hong-Kong consolidés).

[9] La zone Euro représentant 8% des positions du portefeuille du fonds (estimé à environ 770 Mds USD par le Sovereign Wealth Fund Institute), la France pourrait raisonnablement représenter entre un quart (14,6 Mds EUR) et un tiers (19,5 Mds EUR) de ces positions. Pour qu’un investissement soit considéré comme un IDE, cela implique généralement une prise de participation significative de l’investisseur (participation de 10% ou plus par exemple) dans une entreprise existante ou dans la création d'une nouvelle entreprise dans le pays hôte, ce qui explique la différence substantielle entre le montant du portefeuille de GIC alloué aux investissements en France et le stock d’IDE singapourien en France, bien plus modeste.

[10] Estimation de Temasek datant du T1-2021, tenant compte des investissements passés et présents depuis l’ouverture du bureau londonien en 2014.

[11] Ventilation géographique établie en prenant en compte le pays d'origine immédiate de l'investissement, et non le pays où est implantée l’entité qui dispose du contrôle ultime sur les stocks d’IDE (investisseur ultime : 1,5 Md EUR en 2022, contre 2,1 Md EUR en 2019).