Confrontés à une crise démographique qui n’épargne pas le monde agricole, le Japon et la Corée mettent en œuvre des politiques volontaristes d’aide à l’installation et d’attractivité pour assurer le renouvellement des générations. Les réflexions sur le modèle de l’agriculture semblent moins porter sur les défis environnementaux que sur le moyen de rajeunir l’image de métiers largement pratiqués par des retraités au sein de petites exploitations et encourager le recours à l’innovation.

Confrontés à une crise démographique qui n’épargne pas le monde agricole, le Japon et la Corée mettent en œuvre des politiques volontaristes d’aide à l’installation et d’attractivité pour assurer le renouvellement des générations. Les réflexions sur le modèle de l’agriculture face aux enjeux et transitions en cours semblent moins porter sur les défis environnementaux que sur le moyen de rajeunir l’image de métiers largement pratiqués par des retraités au sein de petites exploitations. Le recours à l’innovation et aux technologies fait office de réponse principale à la plupart des difficultés de secteurs confrontés à une dualité croissante entre une agriculture professionnalisée et productive, coexistant avec des petites exploitations dont le maintien est une nécessité pour limiter la déprise des territoires ruraux et la perte de potentiel de production.

1 – Des populations agricoles confrontées à un déclin démographique avancé

Le Japon comme la Corée sont confrontés à un vieillissement de leur population particulièrement marqué et rapide. Au Japon, le taux de fécondité s’est stabilisé à un niveau faible, entre 1,2 et 1,4 enfants par femme dès les années 1990, et l’arrivée à l’âge adulte de générations moins nombreuses a conduit à une forte baisse du nombre de naissances dès 2010. En Corée, la fécondité a chuté de façon beaucoup plus tardive, mais aussi plus rapide et est aujourd’hui la plus faible de l’OCDE (0,8 enfants par femme en 2021). La population coréenne entame à présent sa décroissance, qui sera brutale.     

Ce mouvement s’accompagne d’un vieillissement marqué de la population agricole dans les deux pays, en progression constante depuis deux décennies (cf. annexe 1). Le Japon compte 1,4 million d’agriculteurs (2% de la population active), avec un âge moyen de 68 ans (à comparer à l’âge moyen de 51 ans en France en 2022) et 70% de personnes de plus de 60 ans. La nombre d’agriculteurs en Corée est supérieur à celui du Japon (1 million de foyers agricoles, soit 5% de la population active) et en diminution (-43 % par rapport à 2000), avec un âge moyen de 66 ans pour les chefs d’exploitation et une part des 65 ans et plus s’élevant à 42 % en 2021. En Corée, seuls 1,2% des agriculteurs ont moins de 40 ans (4% au Japon, 12% en France) et la transmission familiale n’est fréquemment plus assurée (seul un tiers des nouveaux installés au Japon provient d’un milieu agricole).

Le vieillissement avancé dans les deux pays tient également à leur modèle agricole : dans les deux cas, la structure foncière très morcelée (exploitations d’1 ha en moyenne en Corée, 3 ha au Japon) et les besoins de main-d’œuvre dans l’industrie après la seconde guerre mondiale ont favorisé un modèle de doubles actifs reprenant fréquemment à temps plein leur activité agricole après la retraite. Au Japon, 50% des agriculteurs le sont à temps partiel, pour 40 % en Corée. Ce modèle pèse sur les rendements (diffusion limitée de l’innovation, résistance des organisations agricoles à la réorientation des aides publiques pour encourager la productivité) et menace, à terme, de diminuer encore le potentiel productif (abandon de terres agricoles faute de transmission familiale, accélération de la déprise rurale) alors même que les risques croissants sur les approvisionnements liés aux perturbations du commerce international appellent les deux pays à diminuer leur dépendance aux importations, parmi la plus élevée de l’OCDE (taux d’approvisionnement de 47% pour le Japon et 45% pour la Corée en 2021). 

2 - Des politiques d’aide à l’installation aux effets peu perceptibles

Au Japon, la perspective de déclin démographique est identifiée comme un enjeu majeur depuis deux décennies et figure dans les plans de base définissant tous les 5 ans les orientations de la politique agricole japonaise. Alors que les précédentes versions visaient à favoriser une professionnalisation et le développement d’une industrie compétitive et plus tournée vers l’export, le plan de 2020 met un accent spécifique sur le renouvellement des agriculteurs et la revitalisation des zones rurales. Les aides mises en place sont co-financées par l’Etat et les autorités locales, ces dernières assurant l’instruction des demandes. 

L’ensemble des mesures de soutien aux nouveaux agriculteurs (cf. annexe) représente environ 150 M€ par an. Les aides aux nouveaux agriculteurs de moins de 50 ans se composent d’aides à l’investissement et de complément de revenu mensuel (environ 825 € pendant un maximum de 5 ans), conditionnées à l’obtention d’une certification « nouvel agriculteur ». Le nombre de bénéficiaires de ces aides (10 558 unités agricoles depuis le début du programme) paraît toutefois limité au regard du nombre d‘installés de moins de 50 ans (stable depuis 2018 à environ 18 000 par an). Le MAFF propose également une aide pour les employeurs de salariés agricoles de moins de 50 ans et des prêts sans intérêts pour les investissements en matériels initiaux. Le dispositif comprend enfin des mesures de formation des agriculteurs, par le soutien aux opérateurs (lycées agricoles, exploitations pédagogiques, organismes locaux de conseil agricole, formation par les pairs).  

En Corée, si l’urgence d’une action dédiée à l’installation agricole n’est apparue que récemment - un plan de soutien aux jeunes agriculteurs n’a été formulé qu’en 2022 - la stratégie agricole nationale intègre désormais cette thématique dans plusieurs axes structurants. L’accompagnement des jeunes agriculteurs est effectué par un opérateur unique qui assure à la fois l’accompagnement des jeunes agriculteurs, la formation professionnelle et la diffusion des nouvelles technologies dans les zones rurales.

Le 1er plan de base de soutien aux jeunes agriculteurs (2023-2027), vise un objectif de 26 000 nouvelles installations d’agriculteurs de moins de 40 ans d’ici 2027 et ambitionne de porter à 10% la proportion de jeunes agriculteurs en 2040, contre 1,2% aujourd’hui. Le plan, doté de moyens importants (650 M€ en 2024) prévoit un soutien financier aux jeunes agriculteurs, avec une aide mensuelle d’environ 750 € pendant 3 ans et des prêts bonifiés. L’accès au foncier est facilité via des prêts à taux réduit pour l’accession aux terres (dont la location avec option d’achat, permettant un « droit à l’erreur »). Le plan porte également sur la formation par les pairs et la recherche sur le terrain. Le développement de communautés rurales « agréables et attractives » est enfin recherché, via le financement de services adaptés aux jeunes actifs (garde d’enfants, …).

3 – Un enjeu de renouvellement de l’image des métiers agricoles

Si la diminution de la population peut à long terme permettre un renforcement de l’autonomie alimentaire, l’âge particulièrement avancé des agriculteurs impose néanmoins, à court terme, un élargissement de la base de recrutement, qui peut être recherché dans trois directions : le soutien aux femmes en agriculture, très minoritaires au sein de la population agricole des deux pays, sous la forme d’actions d’accompagnement et d’amélioration des conditions de travail ; le recours à la main-d’œuvre étrangère, pour laquelle on observe une concurrence croissante entre employeurs en Asie ; l’incitation à la reconversion d’actifs urbains, avec notamment un programme coréen d’accueil de courte durée d’actifs urbains voulant expérimenter la vie rurale, proposant hébergement, formations et stages, en partenariat avec une centaine de collectivités rurales.

Le Japon comme la Corée mettent en avant l’innovation technologique comme principal levier pour faire face aux enjeux de leur secteur agricole. Ces technologies visent avant tout la réduction de l’empreinte environnementale et des intrants mais sont aussi présentées comme un moyen de réduire la pénibilité et de pallier le manque de main-d’œuvre. La Corée, en particulier, ambitionne de devenir un leader mondial du « smart farming » (numérique, agriculture de précision, drones etc.) et un exportateur de matériel agricole, alors même que ces technologies sont encore peu développées au sein des exploitations coréennes (seules 10% les mettaient en œuvre en 2020). A rebours de la mise en valeur en France de la naturalité (industries « du vivant »), les deux pays entendent ainsi donner de l’agriculture l’image d’une industrie technologique, afin d’attirer des populations de jeunes urbains. 

Raphaël KELLER / Adeline-Lise KHOV