En déclin démographique depuis une trentaine d’année, les pays d’Europe du Sud-Est sont confrontés à un « double déficit de population » (solde naturel et solde migratoire déficitaires). Avec des impacts majeurs sur le marché du travail et les finances publiques, cette situation est dramatique en termes de perspectives de croissance de long terme. Les mesures de soutien sont à ce stade insuffisantes pour renverser cette tendance bien installée aux causes multiples.

 

  • L’Europe du Sud-Est est confrontée à un déclin démographique inquiétant

En déclin démographique, la Bulgarie, la Roumanie et la Grèce ont connu une forte baisse de leur population depuis 30 ans. Ainsi, entre 1990 et 2021, la Bulgarie a perdu environ un quart de sa population quand la Roumanie a vu le nombre de ses habitants diminuer de 18% en trente ans. Quant à la Grèce, la perte est plus limitée, avec une baisse de 4,6% de la population en vingt ans. Plus inquiétant, les projections de long terme indiquent que ce déclin devrait perdurer. La population roumaine devrait diminuer de 6,5 % à l’horizon 2030 et de près d’un tiers à la fin du siècle. La population bulgare pourrait diminuer de 6 % d’ici 2030 et de 31,8 % à l’horizon 2100. La Grèce quant à elle pourrait compter 8,1 M d’habitants en 2100, soit une baisse de 24% par rapport à 2021, contre une baisse de 4,2% par pour l'ensemble de la zone euro.

Les pays de l’Europe du Sud-Est sont en premier lieu confrontés à un solde naturel déficitaire. Avec un nombre de décès supérieur au nombre de naissances[1] et des taux de fécondité relativement bas, le renouvellement des générations n’est pas assuré. La Bulgarie affiche le taux de mortalité le plus élevé (2,17% en 2021) et l’espérance de vie (71,4 ans) la plus faible de l’UE. De même, pour la Grèce l’indicateur de fécondité est en baisse de plus de 6% au cours de la dernière décennie (s’élevant à 1,39 contre 1,5 pour l’UE) et le pays présente un des taux bruts de natalité les plus faibles d’Europe (0,8%)[2] et un taux brut de mortalité (1,35% en 2021) supérieur à la moyenne UE (11,9), en hausse de 17% par rapport à 2011. Par contraste, la situation de la Roumanie apparait moins inquiétante en raison du taux de fécondité relativement (mais insuffisant) élevé[3] du pays.

De plus, une émigration importante a pénalisé le tissu productif au cours des dernières décennies sans que les flux d’immigration n’aient compensé cette saignée démographique. La Roumanie et la Bulgarie ont connu un flux massif et régulier d’émigration depuis trente ans. Le nombre total d’émigrés bulgares[4] depuis la chute du régime communiste est évalué à environ 1 M de personnes quand les autorités roumaines évaluent à 4M le nombre de Roumains de la diaspora. En Grèce, une vague massive d’émigration plus récente (environ 500 000 Grecs ont quitté le pays au cours de la crise[5]), qualifiée de « brain drain », a touché principalement les personnes jeunes et hautement qualifiées. Une partie substantielle des travailleurs étrangers a elle-même quitté le pays (à la différence de la Roumaine et de la Bulgarie, la Grèce a accueilli d’importants flux d’immigration, notamment d’Albanais).

 

  • Ce déclin démographique a des conséquences majeures sur le marché du travail, les finances publiques et les perspectives de croissance à long terme

Le déclin démographique accentue les tensions sur le marché du travail. En Roumanie et en Bulgarie, la baisse de population accroit les problèmes de disponibilité de la main d’œuvre[6]. En Roumanie, le coût horaire du travail a doublé en 10 ans alors que le salaire net moyen a triplé, ce qui conduit à élever les prix à la production (+124,4 % depuis 2015, soit la plus forte hausse enregistrée en Union européenne). De même en Bulgarie, ces tensions démographiques[7] se répercutent sur un marché du travail tendu avec un taux de chômage faible (5 %) et des salaires qui croissent plus vite que la productivité. La situation de la Grèce est différente avec un taux de chômage qui demeure élevé (autour de 12%, soit le taux le plus élevé de la zone euro après l’Espagne) et un taux d’emploi faible[8] malgré le nombre élevé d’emplois (400 000) qui seraient à pourvoir.

L’impact sur les finances publiques et les dépenses sociales est majeur. Le vieillissement de la population, qui entraine une diminution du nombre d’actifs par rapport au nombre de retraités, a un impact négatif sur les systèmes de retraite des pays. Ainsi, en Roumanie, les dépenses de retraites[9] pourraient notamment s’élever à 10,3 % du PIB en 2030 et atteindre 12,8 % en 2050. En Bulgarie, la population âgée de plus de 64 ans pourrait passer de 22% en 2021 à 30 % en 2050, posant le problème du financement du régime de retraite[10]. En Grèce, toutes choses égales par ailleurs, le taux de remplacement brut des pensions de vieillesse devrait diminuer à 56% en 2060 contre 69% en 2019 pour tenir du vieillissement de la population. Par ailleurs, le vieillissement de la population devrait conduire à une baisse des recettes fiscales - en raison de la baisse de la population active - et d’une hausse des dépenses de santé.

Les effets de la démographie sur la croissance de long terme sont dramatiques. Alors que la contribution du facteur travail à la croissance du PIB potentiel est aujourd’hui limitée (apport nul du facteur travail à la croissance potentielle bulgare en 2021), les tendances de long terme sont particulièrement préoccupantes. Pour illustration, la Grèce de 2100 verrait son PIB baisser de 31% par rapport en 2019 avec une baisse de 48% du nombre d’emplois et de 19% des recettes fiscales. Au final, le PIB par habitant diminuerait de 10%.

 

  • Les solutions esquissées ne sont à ce stade pas à la hauteur pour renverser ces tendances de long terme

Les mesures de soutien à la natalité sont trop modestes pour permettre de renverser cette tendance au déclin démographique. Alors que les effets d’une relance de la natalité pourraient être théoriquement importants et que les questions démographiques ont pu être identifiées comme des priorités nationales[11], les mesures prises[12] ont pour le moment échoué à relancer la natalité dans la perspective d’assurer le renouvellement des générations.

 Un recours incertain à l’immigration. Alors que l’ouverture à l’immigration des pays d’Europe du Sud-Est pourraient permettre d’enrayer en partie leur déclin démographique[13], des réticences rendent à ce stade cette option difficilement envisageable. La Roumanie commence néanmoins à s’ouvrir à l’immigration de travail extra-européenne en augmentant les quotas de permis de travail[14]. Les autorités visent plutôt à encourager le retour des diasporas, avec des résultats pour le moment limités. Ainsi, le gouvernement roumain a élargi progressivement le recours à l’immigration auprès des enfants de la diaspora et des communautés roumanophones de Moldavie et d’Ukraine, qui peuvent obtenir la nationalité. En Bulgarie, en dépit des mesures prises, le retour envisagé des émigrés bulgares ne s’est pas concrétisé ni le recours à une immigration qualifiée[15].

Au final, les pays de la région sont confrontés à des obstacles structurels dont la levée exigerait une remise à plat de certains choix stratégiques. Afin d’enrayer leur déclin démographique, les pays devront réformer des secteurs clés (santé, éducation) et développer des services jusqu’ici embryonnaires (crèches) via des investissements majeurs. La mise en œuvre d’un tel programme d’investissement se heurte toutefois à des freins tels que la réticence à l’emprunt et à l’impôt (Bulgarie et Roumanie) ou inversement à un endettement déjà très élevé (Grèce).



[1] En 2022, la Roumanie a enregistré 196 858 naissances pour 336 063 décès. En 2021, la Roumanie a enregistré 9,3 naissances et 17,5 décès pour 1 000 habitants.

[2] Contre 0,91% pour l’ensemble de l’UE, en baisse de 16,7% par rapport à la décennie précédente.

[3] Après être passé sous le seuil de renouvellement des générations en 1990 et avoir atteint un point bas de 1,27 en 2001, le nombre moyen d’enfants par femme s’est progressivement redressé pour atteindre 1,8 en 2021.

[4] Si le solde net migratoire s’améliore globalement depuis 2019, il reste négatif pour les tranches d’âge 15-19 ans, 20-24 ans et 25-29 ans

[5] Le flux annuel d’émigration est passé de 28 301 personnes en 2010 à 65 264 en 2012, avant de reculer juste au-dessous des 50 000 pour la première fois en 2018, pour ensuite graduellement diminuer (33 529 en 2020).

[6] Le taux d’emploi de la population active roumaine est passé de 53,9 % en 2009, à 67,1 % en 2021.

[7] Le taux de remplacement démographique - rapport entre les 15-19 ans et les 60-64 ans- est passé de 123 en 2002 à 69 en 2021.

[8] La participation des femmes au marché du travail demeure limitée (52,7% de la population totale âgée de 20 à 64 ans, contre 72,5% pour les hommes). A noter le manque de services de garde d'enfants et de soins aux personnes âgées abordables et de qualité ainsi que la réticence des employeurs à embaucher des femmes en âge de procréer (30-39 ans).

[9] Une réforme des retraites est comprise dans le PNRR afin de stabiliser ces dépenses sous la barre des 9,4 % du PIB, notamment en remettant en cause les pensions spéciales dont profitent, entre autres, les militaires et policiers. Cependant, cette réforme se heurte à des oppositions. 

[10] Ce dernier est composé de trois piliers et combine les deux grands principes de répartition et de capitalisation.

[11] Il existe par exemple depuis 2014 en Bulgarie un Conseil national pour la politique démographique placé auprès du Conseil des ministres

[12] En Bulgarie, le montant de la réduction d’impôt sur le revenu a été augmenté de 20 BGN par enfant/an en 2020 à 450 BGN en 2021 et à 600 BGN en 2022. Les crèches et les écoles maternelles publiques sont gratuites pour tous les enfants depuis le 1er avril 2022.

[13] L'effet positif correspondant d'une immigration plus élevée est estimé à 7% du PIB en Grèce d’ici 2100.

[14] Alors qu’ils étaient limités à 25 000 en 2020, le pays en a accordé 140 000 en 2022 et accroit ses relations bilatérales afin de favoriser l’immigration des travailleurs en provenance d’Asie du Sud-Est.

[15] Le 19 janvier 2023, le parlement a adopté des modifications de la Loi sur la migration et la mobilité de la main d’œuvre afin de faciliter l'accès au marché de spécialistes hautement qualifiés citoyens de pays hors UE.