L’Afrique du Sud possède les infrastructures portuaires les plus développées du continent africain. Le fret maritime est en effet stratégique pour l’économie, notamment de par son rôle central dans la chaîne logistique, alors que la quasi-totalité du commerce extérieur transite par la mer. Toutefois, le secteur est en proie à des difficultés opérationnelles majeures, qui se sont renforcées ces dernières années, résultant en une nette détérioration de l’efficacité des ports sud-africains – en lien avec un déficit d’investissements et de maintenance, l’impact des inondations d’avril 2021 sur le port de Durban, etc. Le cadre institutionnel est par ailleurs dysfonctionnel, alors que l’entreprise publique Transnet est aujourd’hui en situation de monopole, et assure à la fois les fonctions d’autorité nationale portuaire (TNPA) et de gestionnaire des infrastructures. Plusieurs projets de réformes sont cependant en cours, notamment l’ouverture au secteur privé sous forme de concessions. Directement soutenus par le gouvernement, ils ont montré des signes d’accélération ces dernières années et pourraient prochainement se concrétiser – bien qu’aucun plan concret n’ai été adopté à ce jour. Peu d’acteurs français sont présents dans le secteur, à l’exception de l’armateur CMA CGM qui dispose d’une bonne implantation régionale.

 

I - Etats des lieux du secteur du transport maritime en Afrique du Sud
Un secteur stratégique, opéré et géré par l’entreprise publique Transnet …

Avec un littoral de près de 2 800km, le pays compte huit ports maritimes commerciaux (Richards Bay, Durban, East London, Ngqura, Port Elizabeth, Mossel Bay, Cape Town et Saldanha) et un port non-commercial (Port Notlloth, entièrement exploité par l’entreprise diamantifère De Beers) – Annexe 1. Chaque année, près de 13 000 navires accostent dans le pays. Le port de Durban se distingue comme la première infrastructure portuaire du continent et est principalement tourné vers le transport de container – catalysant 60% des flux transitant dans le pays, soit près de 3M d’unités en 2022, d’automobiles (75% soit 520 000 véhicules) et de vrac liquide (hydrocarbures, huiles, etc.) – 53%. (Annexe 2). L’Afrique du Sud ne dispose toutefois d’aucune compagnie nationale, et ne compte que trois navires de commerce portant son pavillon. Peu d’entreprises proposant des services d’entretien sont par ailleurs implantées. 

L’économie sud-africaine est largement dépendante du transport de fret maritime, alors que plus de 95% de son commerce extérieur transite par la mer. Le secteur est donc particulièrement clé pour les industries minière et manufacturière, qui reposent fortement sur les exportations. Ainsi, en 2022, près de 30% de la production domestique totale de charbon était exportée via le terminal de Richard’s Bay, plus de 70% de la production de minerai de fer via Saldhana Bay et plus des trois de quart du manganèse via Port Elisabeth. Les infrastructures portuaires sont reliées par des corridor ferrés (opéré par Transnet via sa filiale Rail and Freight) aux centres de production miniers et grandes agglomérations – créant une chaine logistique développée (cf note sur le secteur ferroviaire).

L’entreprise publique Transnet, via ses filiales Transnet National Ports Authority (TNPA) et Transnet Port Terminals (TPA), détient et opère les principales infrastructures portuaires logistiques sud-africaines (soit près de 90 postes d’amarrages). L’entreprise publique est donc en situation monopolistique sur le secteur. L’autorité nationale portuaire (TNPA) est chargée du développement et de la maintenance des infrastructures, du contrôle de la navigation, de la supervision des services portuaires, de la coordination du secteur, et de la commercialisation des services (incluant la détermination des frais portuaires). TPA est en charge de la gestion opérationnelle des terminaux portuaires.

…… mais en proie à d’importantes difficultés opérationnelles.

Le secteur fait aujourd’hui face à des difficultés opérationnelles majeures. Un rapport de la Banque mondiale, publié en mai 2021, classe ainsi les ports du Cap, de Ngqura, de Port Elisabeth et de Durban parmi les cinq derniers en termes d'efficacité (Durban étant le dernier des 351 ports listés). Les indicateurs d’efficacité se sont par ailleurs nettement dégradés et demeurent nettement inférieurs aux objectifs fixés par Transnet pour l’ensemble des huit ports : le temps d’attente à l’ancrage a ainsi été multiplié par deux dans le port de Durban (Pier1) entre 2017 et 2022, pour atteindre 76 heures, contre une cible de 30 heures. A Cape Town, l’indicateur a été multiplié par près de cinq sur la période et atteint 117 heures, contre une cible de 40 (Annexe 3). Les infrastructures fonctionnent donc bien en deçà de leurs capacités : ainsi, les exportations du terminal charbonnier de Richards Bay, sur la côte est du pays, sont à leur plus bas niveau en trois décennies en 2022, et n’ont atteint que 65% des capacités théoriques sur l’année. Ces difficultés entraînent des goulots d’étranglement sur les chaînes d’approvisionnement et une véritable « crise logistique » - exacerbée par les difficultés du fret ferroviaire, principale voie d’acheminement des marchandises vers et depuis les ports.

Le déclin du secteur s’explique d’abord par un manque d’investissement et de maintenance. Les infrastructures portuaires reposent donc aujourd’hui sur des technologies dépassées (matériel de déchargement, système informatique de gestion, etc.), multipliant les risques d’erreurs de gestion humaines, les pannes et pénuries d’équipement, ce qui allonge considérablement les durées de déchargement. Les ports sud-africains souffrent également d’importants déséquilibres : les principaux terminaux (Durban, Richards Bay), près de 80 % du tonnage à eux deux, sont insuffisamment spacieux et profonds, alors que les infrastructures plus récentes (Ngqura par exemple), adaptées aux porte-conteneurs volumineux, sont moins bien connectées au tissu économique intérieur.

Les performances ont également été dégradées par la crise qui a touché Transnet, alors que l’entreprise publique a directement été impliquée dans les scandales de « capture de l’Etat » sous la Présidence Zuma (2008 – 2018). Il est ainsi estimé que cette corruption organisée a directement coûté 41 Mds ZAR (2,1 Mds EUR) à l’entreprise publique[1], qui continue aujourd’hui de faire face à des problèmes majeurs de gouvernance, d’instabilité de sa direction et de manque d’organisation. Dirigée depuis 2020 par Mme Portia Derby, l’entreprise publique a aussi connu de nombreux départs de ses cadres dirigeants les plus expérimentés et membres du conseil d’administration (mises à pied pour cause de malversation[2] et départs volontaires) et peine ainsi à trouver une équipe dirigeante stable et compétente. En juillet 2023, le Ministre des entreprises publiques Pravin Gordham a ainsi nommé un nouveau Conseil d’administration, critiqué par les observateurs pour son manque d’expertise technique dans le secteur logistique. De surcroît, Transnet ferait désormais face à une corruption rampante, ancrée à des niveaux intermédiaires de décisions : les détournements de biens sociaux et dépenses non justifiées continuent de paralyser son bon fonctionnement.

Plusieurs chocs conjoncturels ont enfin durablement affecté le secteur ces dernières années. Ainsi, d’une part des inondations sans précédent dans la région de Durban en 2021 ont engendré des dégâts sur les infrastructures portuaires, estimés à près de 6,4 Mds ZAR (300 MEUR). Le port a progressivement repris ses opérations après près de deux semaines d’arrêt, mais les travaux de remise en service total des infrastructures se sont échelonnés jusqu’en avril 2023 – avec un impact durable sur les capacités. D’autre part, une attaque informatique contre TNPA, en juin 2021, a entièrement désorganisé la chaîne logistique pendant plusieurs semaines et engendré des retards record dans l’ensemble des ports sud-africains.

II - Organisation institutionnelle et réforme
Une organisation institutionnelle complexe et défaillante …

D’un point de vue institutionnel, le secteur est d’abord placé sous l’égide du Ministère des Transports (Department of Transport), qui supervise le régulateur national du secteur (Port Regulator South Africa - PRSA), instance mise en place par la législation de 2005 (National Port Act) afin d'exercer une régulation économique du secteur, promouvoir l'égalité d'accès aux infrastructures et contrôler l'autorité portuaire nationale - Transport National Port Autority (TNPA – pour rappel, filiale de Transnet). Toutefois, la tutelle de l’entreprise Transnet est assurée par le Ministère des Entreprises Publiques (Department of Public Entreprises). Par ailleurs, des comités (Port Consultative Comittees) regroupant les différents acteurs du secteur (transporteurs et services logistiques, opérateurs de terminaux, compagnies maritimes) ont également été mis en place dans chaque port, et sont consultés sur les plans d’investissement et de développement, ainsi que sur la performance des infrastructures. La South African Maritime Safety Authority a été établie en 1998 et est chargée d’assurer la sécurité des personnes en mer, de lutter contre la pollution des navires et de promouvoir les intérêts maritimes de l’Afrique du Sud. (Annexe 3)

Ce cadre complexe est aujourd’hui vu comme dysfonctionnel. Le double-rôle exercé par Transnet, à la fois autorité portuaire (TNPA) et opérateur des neuf principaux ports (TPA) représente ainsi des risques importants de conflit d’intérêt et de nombreux observateurs plaident pour une autonomisation de l’autorité portuaire. Toutefois, les revenus de la filiale TNPA sont aujourd’hui clé pour Transnet - 16% des revenus totaux du groupe sur l’exercice clos au 31 mars 2022. Par ailleurs, le régulateur du secteur (Port Regulator) souffre d’un manque de moyens humains et financiers, de compétences et d’un mandat limité (impossibilité de directement superviser les opérateurs de service, une compétence de l’autorité portuaire). Il peine donc à pleinement exercer sa fonction de supervision de la TNPA. Enfin, il n’existe aucune coordination entre le Ministère des Transports et le Ministère des entreprises publiques, tous deux chargés en partie de la supervision du secteur. Ainsi, sans grande stratégie nationale pour le secteur, l’activité de développement reste en grande partie gérée par TNPA.

La fiabilité de la méthode de détermination des frais portuaires pose également question. Si la méthode de fixation des prix adoptée par l’autorité portuaire sud-africaine suit théoriquement les meilleures pratiques internationales en la matière[3], cette dernière ne semble pas être concrètement appliquée.  Alors que les ajustements des tarifs sont proposés annuellement par TNPA au régulateur PRSA (système en place depuis 2009[4]), ce dernier a eu tendance à systématiquement approuver des hausses inférieures aux demandes et a remis en question, à plusieurs reprises, la fiabilité des estimations de TNPA. L’autorité portuaire aurait ainsi profité d’un abus de position dominante pour empêcher ou réduire la concurrence : l’opérateur TPT, filiale de Transnet, aurait ainsi bénéficié d'accords de tarification préférentielle. En effet, alors que les performances des infrastructures portuaires sont bien en deçà des standards internationaux, plusieurs frais apparaissent aujourd’hui comme bien supérieurs à ceux pratiqués globalement. En moyenne, d’après une étude de PRSA basée sur les données de 25 ports internationaux, les frais de manutention au terminal et les droits de douane sur le fret apparaissent respectivement 55% et 166% plus élevés que la moyenne[]. A l’inverse, les tarifs des services portuaires sont significativement inférieurs (-44%), ce qui peut expliquer le faible développement de ces activités dans le pays.

… mais des projets de réformes, d’ouverture au secteurs privé et de relance des investissements.

L’ouverture au secteur privé du secteur (sous forme de Partenariat Public-Privé et mise en place de concessions) a été amorcée par le gouvernement. Dès 2008, TNPA a publié des lignes directrices pour développer un cadre législatif pour l’attribution de concessions. Ces dernières années, les projets ont été relancés, avec une véritable volonté politique. Ainsi, le Président Ramaphosa a annoncé le développement de partenariats avec des grandes entreprises de logistique à Durban et Ngqura, afin de catalyser de nouveaux investissements, lors de son adresse à la nation en 2022 puis en 2023 (State of the Nation Address). Plusieurs avancées sur ce point sont à noter, notamment la sélection, fin juillet 2023, de l’opérateur de terminal portuaire philippin, International Container Terminal Services Incorporated (ICTSI) pour l’agrandissement et la gestion d’un terminal à conteneurs du port de Durban. Ce premier projet d’externalisation à un acteur privé ambitionne d’augmenter les capacités de stockage du terminal de plus de 14%. La TNPA a également lancé deux appels d’offres pour le développement d’infrastructures au port de Richard’s Bay (en mai 2022), et pour une infrastructure de manutention de conteneurs (en juillet 2023). Toutefois il n’existe aucun plan national, ni calendrier clairement identifié.

 Par ailleurs, pour relancer l’investissement dans le secteur, Transnet a annoncé, en janvier 2023, un programme d’émissions d’obligations libellées en dollars, à hauteur de 6 Mds USD. Le 30 juin, la Transnet National Ports Authority (TNPA) a détaillé un plan d’investissement de 13 Mds ZAR (630 MEUR) sur les cinq prochaines années pour le développement des infrastructures portuaires dans le pays, à l’occasion de la présentation du nouveau Port Development Framework Plan. Le rapport présente une ambitieuse stratégie de réaménagement et de développements dans les huit infrastructures du pays. Dans le port de Durban, ces projets consistent notamment en la construction et extension de terminaux et port d’amarrage, ainsi que d’un nouveau terminal passager. Plusieurs projets de construction de terminaux pour le Gaz Naturel Liquéfié sont envisagés, notamment à Richards Bay, Ngqara et Saldanha Bay. A noter en effet que la stratégie énergétique sud-africaine (IRP 2019) prévoit le développement de capacités gazières à hauteur de 3GW, et que le bureau IPP (Independant Power Producer Office) dit travailler avec Transnet pour utiliser les infrastructures portuaires, afin d’approvisionner le pays en Gaz Naturel Liquéfié. Le port de Mossel Bay devrait par ailleurs se développer autour des hydrocarbures, pour soutenir les activités d’explorations gazières en cours dans la région (portés par un consortium mené par Total Energies).

Transnet mise également sur le développement de la filière de l’hydrogène décarbonée dans la région pour catalyser des investissements privés, notamment via le projet de Boegoebaai (dans le Northern Cape) qui prévoit le développement de mégaprojets de production d’hydrogène grâce à un développement de capacités d’énergies renouvelables, d’une usine de dessalement, ainsi que d’un terminal portuaire, relié par un réseau ferré, qui sera spécifiquement dédié à l’exportation du gaz sous forme d’ammoniac, notamment vers l’Europe. Fin juillet 2023, trois consortiums (qui intègrent notamment le port de Rotterdam et Koninklijke Vopak, compagnie pétrolière néerlandaise) ont obtenu le droit de présenter des propositions à Transnet, pour la construction du port de Boegoebaai et des infrastructures connexes, un projet qui devrait mobiliser près de 50 Mds ZAR (2,4 Mds EUR). Une demande de proposition formelle devrait être lancée par Transnet d’ici février 2024. Le projet n’en est ainsi qu’à un stade préliminaire.

III - Présence francaise

Le groupe CMA/CGM, leader mondial du transport maritime et de la logistique, est l’acteur français le mieux implanté du secteur dans la sous-région australe. Il est présent en Afrique du Sud depuis plus de 20 ans, à travers : un bureau régional armateur couvrant l’Afrique australe, l’Afrique de l’Est et l’Océan Indien, basé à Durban, une agence maritime CMA CGM dont le siège est à Durban, avec des agences à Johannesburg, à Port Elizabeth et au Cap ; une filiale logistique CMA CGM LOGISTICS ; et une filiale terrestre CCIA. Le groupe est le quatrième armateur en Afrique du Sud en volume (env. 142 000 EVP en 2021). Il opère cinq lignes maritimes reliant le Moyen Orient, l’Inde, l’Afrique de l’Ouest, l’Asie et l’Océan Indien et se concentre aujourd’hui sur le développement des marchés à forte croissance du Moyen Orient et de l’Asie. La desserte des pays enclavés (Zambie, Zimbabwe, Malawi, RDC) s’effectue via le port de Durban. En janvier 2022, le groupe a inauguré son nouveau dépôt de conteneurs et ses entrepôts dans les environs du port de Durban, qui sont exploités par sa filiale CMA CGM Inland Solutions (CCIS). CMA CGM développe également parallèlement la présence de sa filiale CEVA Logistique.

L’entreprise Bolloré Logistic était également présente en Afrique du Sud via des agences à Durban, Port Elisabeth, East London, Richard’s Bay et dans la ville du Cap. Toutefois, en mai 2023, le groupe a cédé l’intégralité de ses activités logistiques sur le continent africain à Africa Global Logistic (AGL), filiale de l’armateur italo-suisse MSC.



[1] Sources – Shadow Investigation Report on Transnet :  SWI-Zondo-Extracts-Transnet.pdf (shadowworldinvestigations.org).

[2] En 2019 : Mme Nonkululeko Sishi, DRH groupe, Mr Mlamuli Buthelezi, Chef des opération groupe, Mr Ravi Nair, CEO Transnet freight rail et Mr Shulami Qalinge, CEO Transnet National Port Authority.

[3] Méthode basée sur quatre principes :  i) reflétant les coûts (couvrant les coûts de fourniture de l’infrastructure et les services connexes) , ii) paiement par l’utilisateur (chaque utilisateur du port doit contribuer au droit et à l'accès aux installations portuaires qu'il utilise), iii) Revenu Requis (méthodologie tarifaire, en tant que fonction mathématique, qui prend en compte les coûts d'exploitation, l'amortissement, la taxation et un rendement équitable des actifs de la TNPA pour chaque tarif) iv) compétitivité (attentes du marché et meilleurs pratiques prises en compte).

[4] Section 72(1) of the National Port Act, and Chapter 7 of the Directives of 2009

[5] Source: Global Pricing Comparator Study 2020 – PRSA