L’Afrique du Sud dispose d’infrastructures ferroviaires parmi les plus développées du continent, stratégiques pour l’économie et notamment l’industrie minière. Toutefois, le secteur connaît un déclin depuis la fin des années 1990, qui s’est nettement accentué ces dix dernières années. En cause, un sous-investissement chronique, exacerbé par les difficultés opérationnelles et financières des entreprises publiques Prasa (en charge du transport de passagers) et Transnet (fret ferroviaire), qui ont notamment pâti de la « capture de l’Etat » sous la Présidence Zuma (2008-2018). Par ailleurs, la multiplication des actes de vandalisme et des vols de câbles, accentuée depuis la pandémie de Covid-19, ont entrainé une dégradation notable de l’état du réseau ferroviaire qui a atteint un état critique. Ces difficultés se traduisent par une très nette détérioration de la qualité des services. Malgré les ambitieux programmes d’investissements pour relancer la filière, les résultats peinent à se matérialiser. Le gouvernement doit concrétiser sa réforme du secteur pour mettre en place une stratégie nationale cohérente et intégrée, et sa stratégie d’ouverture au secteur privé. Le secteur pourrait également bénéficier de plusieurs projets d’ampleur comme le développement des lignes à grandes vitesses ou des trains à hydrogène, toutefois encore hypothétiques. A noter que les entreprises françaises sont particulièrement bien implantées dans le secteur en Afrique du Sud, notamment le groupe Alstom.

I - Un secteur développé et stratégique pour l’économie sud-africaine …
Un réseau ferré stratégique pour l’économie et géré par les entreprises publiques

Le réseau ferré sud-africain est particulièrement vaste et dense : il couvre l’ensemble du pays avec plus de 30 400 kilomètres de ligne. En 2021, il était de loin le plus étendu sur le continent africain (représentant près de 80% du total des lignes) et le onzième le plus important au niveau mondial. Il s’est notamment développé autour des métropoles des villes de Johannesburg, Prétoria, Durban et le Cap (cf Annexe 1).

Le secteur est stratégique pour l’économie, en raison de la place centrale du fret ferroviaire dans la chaîne logistique sud-africaine, notamment pour le secteur minier. Ainsi, l’industrie minière, qui compte pour près de 7% du PIB sud-africain, et est en grande partie tournée vers l’export, repose sur plusieurs lignes ferroviaires qui permettent d’acheminer les minerais (charbon, manganèse, chrome et fer principalement) des centres de production vers les principaux terminaux portuaires (Durban, Richard’s Bay, Ngqura, le Cap et Saldanha). En 2022, 58 M de tonnes de charbon ont transité par la voie ferroviaire (plus du quart de la production domestique) et 54,4 M de tonnes de fer (plus de 70%). De plus, d’autres secteurs comme l’agriculture, l’automobile et plus largement l’industrie manufacturière (transport de containers) ont recours à ces lignes de fret qui relient les centres urbains du pays. Le transport ferroviaire est par ailleurs particulièrement compétitif en termes de coût.

Les deux principaux opérateurs ferroviaires sud-africains sont des entreprises publiques : Transnet est l’opérateur logistique public (ferroviaire, portuaire), en charge de l’exploitation, via sa filiale Freight Rail, de l’infrastructure du réseau ferroviaire et des opérations de fret (gestion, maintenance, etc.), organisées autour de 6 corridors – cf Annexe 2. La filiale Freight Rail opérait plus de 1 800 locomotives et près de 65 000 wagons en 2022. Prasa (Passenger Rail Agency of South African) est l’agence ferroviaire de transports de passagers. Elle exploite les services suburbains dans les principales métropoles du pays (Johannesburg, Pretoria, le Cap, Durban, Port Elizabeth), le Métrorail (avec un total de 40 lignes et 270 trains pour 17 M de passagers transportés en 2022).

D’un point de vue institutionnel, le secteur est placé sous l’égide du Ministère des transports (Department of Transport) qui exerce une tutelle directe sur l’entreprise Prasa. Il est chargé de définir et coordonner la régulation et la politique des transports ferroviaires en Afrique du Sud. A noter toutefois que l’entreprise Transnet est placée sous la tutelle du ministère des Entreprises Publiques (DPE).

D’autres acteurs privés sont également présents dans le secteur. Ainsi, près de 250 petits opérateurs sont implantés en Afrique du Sud, notamment pour l’exploitation de certains trains spéciaux pour les entreprises minières. Le projet le plus emblématique est certainement le réseau du Gautrain (train régional reliant Johannesburg, Pretoria et l’aéroport international Or Tambo), porté par la province du Gauteng et construit au moment de la Coupe du Monde de football de 2010, sur le modèle d’un Partenariat Public Privé (Cf Annexe 3). Il se démarque par sa performance, le très bon état de l’infrastructure comme du matériel roulant, et de la sécurité assurée pour les passagers à bord.

Une présence stratégique des acteurs français

De nombreux autres acteurs français sont présents dans le pays et prennent part à des projets emblématiques. Alstom, arrivé en Afrique du Sud en 2012, s’inscrit comme un des acteurs industriels les plus importants, suite à la signature d’un contrat avec Prasa en 2013 pour la fourniture de 600 trains sur 10 ans (renouvèlement de la flotte de Metrorail), la formation de plus de 10 000 techniciens et le support technique pendant 19 ans. Dans son usine de Gibela, inaugurée en 2018, le groupe produit aujourd’hui plus de 60 trains par ans (Cf Annexe 4). Alstom est aussi actif dans le pays via sa filiale Bombardier, fournisseur du Gautrain, de Prasa (signalisation) et de Transnet (contrat de 240 locomotives électriques jusqu’en 2024, dont 100 livrées en mars 2022 – assemblées localement sur un site de Transnet à Durban dans la province du Kwazulu Natal). Par ailleurs, la construction du Gautrain a été octroyée à un consortium d’entreprises françaises (Ratp Dev, Bouygues Thales et matériel Bombardier). Ratp Dev est désormais chargée de mettre en service, d’exploiter et d’assurer la maintenance de la ligne ferroviaire, à travers sa nouvelle filiale Bombela Operating Company. A noter que la concession pour l’exploitation du train rapide arrive à échéance en mars 2026 et un appel d’offres pour son renouvellement devrait être lancé d’ici février 2024 – RATP Dev devrait dans ce cadre déposer une offre pour poursuivre l’exploitation. Enfin, Thales détient plusieurs contrats de signalisation dans la Province du Cap-occidental – mais devrait prochainement céder ces activités au groupe japonais Hiatchi Rail

... mais qui fait face à de grandes difficultés. 
L’activité du secteur connait un déclin face au manque d’investissement …

L’activité du secteur ferroviaire sud-africain a enregistré un déclin préoccupant, depuis les années 1990, qui s’est nettement accentué ces dernières années, à la fois sur le segment du transport de passagers et le fret ferroviaire. Le nombre de passagers de Prasa (réseau suburbain) s’est ainsi effondré, avec une chute de près de 90% en dix ans : de 500 M de passagers transportés en 2014/2015 à 65 M en 2021/2022 (cf Annexe 5). Les performances du réseau de fret se sont également fortement détériorées, notamment depuis 2018 (Cf Annexe 6 et 7). Le volume de marchandises transportées a ainsi diminué de près de 25% entre 2018 et 2022 (soit en moyenne 6,5% par an) pour atteindre 173 Mt, alors qu’il avait progressé de 22% (3,5% en moyenne par an) entre 2010 et 2018.

Le déclin du secteur ferroviaire s’explique d’abord par un sous-investissement chronique et un manque de maintenance. Le secteur n’a en effet bénéficié d’aucun plan de développement ces trente dernières années. Les infrastructures ferroviaires reposent donc aujourd’hui sur des technologies dépassées (matériel roulant, signalisation, etc.), multipliant les risques d’accidents et d’erreurs de gestion humaines, et affectant directement la fiabilité du secteur et son activité. Par ailleurs, les pannes répétées du matériel roulant vieillissant (datant pour la plupart des années 1970/80) et mal entretenu pèsent fortement sur les performances opérationnelles des opérateurs. Plus de 150 locomotives de Transnet étaient ainsi hors service en 2022, un chiffre en hausse de 23% par rapport à l’année précédente, en raison notamment des difficultés d’obtention des pièces de rechange et d’un manque de compétence pour la réparation du matériel.

Dans ces conditions, le réseau ferré sud-africain, également frappé par une recrudescence des actes de vandalisme et vols de câbles et rails, s’est progressivement détérioré, jusqu’à atteindre un état de déliquescence. Une part conséquente des infrastructures a donc été laissée à l’abandon et jusqu’à 75% du réseau de Transnet serait aujourd’hui hors service[1]. La situation s’est à nouveau dégradée en 2020 avec la mise en place d’un confinement strict pour faire face à la pandémie de Covid-19, qui a poussé une partie de la population, notamment dans les townships, à voler et revendre les câbles en cuivre pour obtenir un revenu de subsistance, voire à construire des logements informels sur les voies et dans les gares. D’après Transnet, près de 1 500 kilomètres de câble ont été volés sur le réseau, avec un coût estimé à 4,1 Mds ZAR (210 MEUR), forçant l’entreprise à régulièrement arrêter les opérations sur ces corridors logistiques. Les difficultés logistiques sont donc aujourd’hui vu comme l’un des principaux freins au développement des secteurs minier et manufacturier – avec un coût estimé de 400 Mds ZAR (19 Mds EUR soit près de 6% du PIB sur l’économie en 2022).[2]

… causés par les difficultés croissantes des opérateurs et l’absence d’une stratégie nationale pour le secteur.

Ces difficultés se sont renforcées ces dernières années, dans un contexte général de crise des entreprises publiques, directement impliquées dans les scandales de « capture de l’Etat » sous la Présidence Zuma (2008 – 2018). Le deuxième rapport de la commission judiciaire Zondo[3], publié en janvier 2022, se concentre sur l’impact au sein de Transnet. Il pointe notamment les nombreuses irrégularités du processus d’appel d’offres d’un contrat majeur de renouvellement du matériel roulant[4] : il est avéré que la corruption a été massive du côté du consortium chinois CRRC, qui a remporté la moitié du contrat (jusqu’à 20% du montant versés en pots-de-vin), impliquant notamment de nombreuses entreprises liées à la famille Gupta. Plus globalement, les nombreuses erreurs de gestion dues au manque de compétence et à l’instabilité des instances dirigeantes, ont renforcé les difficultés opérationnelles et durablement affectés les performances de l’entreprise. Il est estimé que la capture de l’Etat a directement coûté 41 Mds ZAR (2,1 Mds EUR) à Transnet[5].

Les opérateurs publics continuent de faire face à des problèmes majeurs de gouvernance, d’instabilité de leur direction et de manque d’organisation. De nombreux directeurs ont ainsi été suspendus ces dernières années pour des accusations de malversations et en raison du rôle actif joué dans la « capture de l’Etat » et les entreprises publiques peinent à trouver des équipes dirigeantes stable et compétente. De surcroît, les opérateurs ferroviaires font désormais face à une corruption rampante, ancrée à des niveaux intermédiaires de décisions : les détournements de biens sociaux et dépenses non justifiées continuent de paralyser leur bon fonctionnement. Ainsi, sur l’exercice 2021/2022, Prasa a présenté des dépenses jugées irrégulières de 12 Mds ZAR (500 MEUR) et l’unité en charge de la lutte anti-corruption (Special Investigation Unit) a lancé 33 procédures d’enquête.

De facto, la situation financière des entreprises publiques s’est donc nettement dégradée, ce qui limite aujourd’hui leur capacité d’investissement. Prasa a ainsi généré des pertes de 500 M ZAR sur l’exercice financier clos au 31 mars 2022 et fait donc face à une dépendance croissance vis-à-vis des subventions publiques pour pouvoir financer les investissements requis – 20 Mds ZAR alloués par le National Treasury dans le budget national 2023/2024 pour la réhabilitation des 10 lignes ferroviaires. Sur l’exercice clos au 31 mars 2022, le rapport financier conclut que l’entreprise peine à redresser la situation, avec moins de 20% de ses objectifs réalisés. Si les résultats financiers de Transnet sont meilleurs (profit de 8 Mds ZAR sur l’exercice 2022/2023), sa situation financière reste fragile, au regard notamment de son endettement significatif (127 Mds ZAR, 6,4 Mds EUR).

Enfin, le secteur souffre d’un manque de coordination et de mise en place d’une stratégie nationale cohérente. Il n’existe pas à ce jour d’instance de coordination des différents acteurs publics (gouvernement, provinces, municipalités, opérateurs).

Des projets de réforme nécessaires pour un secteur à grand potentiel
De nombreux projets de réforme sont en cours mais peinent à se concrétiser

Les entreprises publiques ont mis en place des stratégies ambitieuses pour faire face au déclin du secteur. Dès 2014, Prasa a ainsi lancé un vaste plan d’investissements (172 Mds ZAR soit 8,2 Mds EUR sur 20 ans), le premier depuis la fin des années 1990. Alors que la réalisation du plan a été entravée par les difficultés de Prasa, le Ministère des transports a nommé en 2020 un conseil d’administration spécial (Board of control), chargé de redresser l’entreprise et de mettre en place un plan de remise en service du réseau passagers (Service Recovery Plan) : plusieurs lignes ferroviaires identifiées comme prioritaires sont ainsi progressivement remises en service (10 en 2022 et 16 prévues en 2023). Transnet a annoncé en janvier 2023 un vaste plan d’investissement de 6 Mds USD, financé par des obligations internationales et dont une partie sera dédiée à l’achat de nouvelles locomotives.

Le Ministère des Transport cherche également à relancer durablement le secteur pour le remettre au centre de la stratégie national de transport. Il a ainsi publié en 2021 un livre blanc pour le secteur ferroviaire. Il insiste sur la nécessité de relancer un vaste programme d’investissements, couvrant des domaines aussi variés que les lignes longues distance, le fret, les trains régionaux et suburbains, le développement de corridors internationaux, etc. ; à la fois pour remettre à niveau les infrastructures, mais également pour développer de nouveaux projets. Le document appelle aussi à revoir en profondeur le cadre institutionnel, via notamment la mise en place d’un régulateur indépendant du secteur (Transport Economic Regulator). Ce nouveau cadre sera nécessaire pour permettre l’intégration d’acteurs du secteur privé (opérateurs qui se verront octroyer l’accès au réseau de Transnet sous forme de concession) et donc le développement d’un environnement davantage compétitif. Le Ministère des Transports sera par ailleurs chargé de la mise en place d’une planification ferroviaire.

La politique d’ouverture du réseau ferroviaire aux acteurs du secteur privé est vue comme un axe prioritaire par le gouvernement. Lors des discours sur l’état de la nation (SONA) en 2022 et 2023, le Président sud-africain a ainsi annoncé vouloir réduire le réseau ferroviaire de Transnet de 35%, via l’externalisation de certaines lignes à des opérateurs privés et l’arrêt de certaines liaisons. A noter que, dans le cadre de cette politique de privatisation partielle du secteur, Transnet a entamé une séparation de ses activités de gestion du réseau et de fret ferroviaire – opération en cours qui devrait être complétée à l’horizon fin 2023. A ce stade, une procédure d’appel d’offres « test » a été complétée en août 2022, pour la ligne de Kroonstad (East London, dans la Province de l’Eastern Cape). A ce stade, aucun plan concret ou calendrier pour la mise en place de cette politique n’a été dévoilé.

Le secteur offre également d’importantes perspectives de développement, toutefois encore hypothétiques

La Gautrain Management Agency, agence en charge de la gestion du train régional Gautrain a annoncé en 2016 un ambitieux plan d’extension de l’infrastructure - 150 km de lignes complémentaires et 19 nouvelles stations, pour mieux desservir les banlieues éloignées. Ce projet, qui devait initialement débuter en 2024, doit cependant toujours faire l’objet d’une validation de la part du Trésor sud-africain. Il semble aujourd’hui à l’arrêt et l’investissement n’est pas vu comme une priorité politique à l’approche des élections générales en 2024. Le Gautrain peine en effet à se défaire de son image de « train des riches » et se retrouve de surcroît dans une situation financière délicate, avec une difficulté à retrouver les clients perdus pendant la crise de la Covid-19.

Prasa se montre par ailleurs intéressé par le développement des trains à hydrogène – conversion de certains des nouveaux trains livrés pour le réseau Metrorail par exemple (technologie allemande). Les trains à hydrogène semblent offrir de nombreux avantages au-delà des aspects de transition de l’économie, notamment dans leur capacité d’adaptation à l’ensemble du réseau ferré sud-africain (alors que le réseau électrique ferré est réglé sur un voltage différent dans certaines provinces sud-africaines comme l’Eastern Cape). Alstom dispose d’une expérience dans le secteur (trains à hydrogène en circulation au Canada et en Allemagne) et serait, à moyen terme, en capacité de pivoter vers la production de train à hydrogène en Afrique du Sud.

Le gouvernement étudie également le déploiement d’un réseau de lignes à grandes vitesses pour relier certaines agglomérations du pays.  Dès 2020, le Ministère des Transports a ainsi fait savoir qu’un cadre pour le déploiement des LGV était à l’étude, et, en août 2021, que des études de faisabilité pour une ligne Johannesburg-Pretoria- Durban était en cours d’exécution. Dans ce contexte, plusieurs acteurs internationaux du secteur semblent progressivement se positionner. Le gouvernement chinois a notamment annoncé, en avril 2022, qu’il était prêt à soutenir l’industrie ferroviaire sud-africaine dans ses ambitions de LGV[6].De très nombreuses entraves au développement des LGV persistent toutefois (besoin de financements, difficultés de sécurisation des lignes, etc.).



[3] Organisme indépendant chargé d’enquêter sur l’ampleur du phénomène de corruption généralisée instaurée sous la présidence Zuma de 2010 à 2018.

[4] Contrat signé en 2014 pour 1 064 locomotives attribué à parité entre 4 entreprises : 2 chinoises (CNR et CSR, qui ont depuis fusionné en une entité, CRRC), General Electric et Bombardier

[5] Sources – Shadow Investigation Report on Transnet :  SWI-Zondo-Extracts-Transnet.pdf (shadowworldinvestigations.org).

[6] Declaration de l’Ambassadeur de la République Populaire de Chine en Afrique du Sud, Chen Xiaodong, lors de la JobFairSA 2022