La ville intelligente en AEOI pourrait permettre de répondre aux enjeux locaux de forte croissance urbaine, de congestion des villes et de l’importance de l’informel. L’utilisation des technologies d’information et de communication au sein de la ville et le concept de smart city en général sont souvent affichés comme une ambition prioritaire par les gouvernements des pays de la zone. Les bailleurs de fonds sont un soutien extrêmement important pour le secteur autant en financement qu’en accompagnement technique. Des starts up proposent également plusieurs solutions répondant aux besoins des usagers, rendant possible le succès d’une stratégie de type bottom up.

 

Les villes intelligentes, quelle(s) définition(s) et quels exemples concrets ?

La Commission économique pour l’Europe et l’Union internationale des télécommunications ont élaboré conjointement une définition des villes intelligentes. « Une ville intelligente est une ville innovante qui utilise les TIC et d'autres moyens pour améliorer la qualité de vie, l'efficacité des opérations et des services urbains et la compétitivité, tout en veillant à répondre aux besoins des générations actuelles et futures en ce qui concerne les aspects économiques, sociaux, environnementaux et culturels. » Singapour est ainsi considéré comme la ville la plus intelligente au monde par le classement IMD Smart Cities Index. L’emploi du numérique concerne plusieurs domaines : déploiement de véhicules autonomes, lampadaires connectés dotés de l’Internet des choses (IoT) pour mesurer des paramètres environnementaux (température, humidité) et planifier le transport et l’urbanisme de la ville en fonction de ces aspects, etc. La ville intelligente peut ainsi permettre d’améliorer de nombreux secteurs (mobilité, santé, gestion des déchets, gouvernance, énergie) en utilisant des TIC.

Dans la région Afrique de l’Est, Océan Indien, des projets de smart cities émergent peu à peu. On peut notamment différencier deux types de projets. Les projets partant de zéro tels que Konza Technopolis ou Kigali Innovation City, qui sont des villes nouvelles ou des quartiers nouveaux intégrés et réfléchis pour être des villes intelligentes ; et les smart cities moins complètes, caractérisées par l’introduction progressive de quelques technologies digitales apportant des réponses aux questions urbanistiques de villes déjà existantes, comme c’est le cas pour l’application Kampala Connect ou encore l’Intelligent Transport System déjà mis en place à Nairobi.

Les villes intelligentes peuvent introduire des solutions et technologies permettant de répondre, au moins partiellement, aux enjeux du développement urbain

Avec un PIB par habitant relativement faible et 25 % de la population mondiale attendue en 2050, l’urbanisation en Afrique fait face à de nombreux obstacles. Tout d’abord, la croissance démographique en Afrique de l’Est, et plus particulièrement la croissance urbaine, fait pression sur le besoin d’infrastructures efficaces et adaptées. En effet, la population urbaine a nettement augmenté ces dernières années. Entre 2010 et 2020, elle a connu une augmentation de près de 48 % au Kenya et 64 % en Ethiopie. Dar Es Salaam, capitale de la Tanzanie, devrait même devenir une mégapole d’ici 2050. Le manque de planification a pour conséquence un étalement urbain qui est très marquant pour le territoire, et entraîne un besoin accru de déplacement (générant de la congestion) pour se rendre des lieux de vie aux centres économiques, des impacts environnementaux majeurs et un renforcement des inégalités socio-économiques via une fragmentation du territoire. À titre illustratif, le coût estimé de la congestion à Nairobi s’élève à 1 Md USD par an, en lien avec les pertes de temps et de productivité. Pour répondre à ces enjeux, le développement de réseau de transport en commun ou la mise en place de carrefours intelligents permettant de fluidifier le trafic (cf. ITS Nairobi) peuvent constituer des moyens efficaces. Le changement climatique entraîne, par ailleurs, sécheresses, inondations et migrations qui font également pression sur l’urbanisation. Des projets comme Green City Kigali qui prévoit le développement de logements abordables construits à partir de matières premières locales pourraient ainsi répondre aux enjeux écologiques actuels des villes de la région. On peut néanmoins se demandes si les solutions innovantes des villes intelligentes sont réellement plus écologiques que les méthodes traditionnelles plus sobre pour ce qui concerne la construction par exemple.

Les emplois et logements informels sont également des marqueurs des villes d’Afrique de l’Est. L’économie informelle représente 55 % du PIB en Afrique subsaharienne avec 9 personnes sur 10 ayant un emploi informel. En Ethiopie, plus de 56 % de la population urbaine vit dans des bidonvilles. Des solutions liées à la ville intelligente pourraient permettre de mieux intégrer ces logements et ces emplois dans l’économie formelle. Certaines startups tentent de formaliser le travail des mototaxis et d’augmenter la sécurité des utilisateurs. C’est le cas notamment de SafeBoda, mis en place en Ouganda. La cartographie de Kibera opéré avec l’aide des habitants par MapKibera, permet, en un sens, de formaliser l’existence de ce quartier au sein de la capitale kenyane.

Par ailleurs, la population est jeune avec environ 50 % de la population âgée de moins de 20 ans ce qui peut permettre une meilleure adoption des nouvelles technologies moyennant un accès aux TIC et une formation à l’alphabétisation numérique. De plus, la connexion grâce aux téléphones portables connait une rapide expansion (122,8 % de taux de pénétration mobile au Kenya par exemple) et l’entreprenariat se basant sur le numérique est en plein essor sur le continent, signe d’un processus de leapfrogging en lien avec les TIC. Malgré tout, les différences entre les pays de la région restent très marquées : le taux de pénétration mobile n’est par exemple que de 51,8 % en Somalie et de 61,7 % au Burundi. Certains pays sont plutôt avancés en matière de technologies d’information et de communication mais n’affichent pas de stratégies officielles utilisant ces solutions innovantes pour améliorer les villes, c’est par exemple le cas de la Tanzanie. D’après la Banque Mondiale et les Nations Unies, l’intelligence d’une ville peut se mesurer par l’importance des abonnés à la téléphonie mobile, des utilisateurs internet, des abonnés à l’internet haut débit fixe et des utilisateurs de lignes téléphoniques fixes.

Des projets de villes intelligentes au cœur de certaines stratégies gouvernementales, progressivement soutenus par les bailleurs

Afin de répondre aux enjeux de l’urbanisation et aux besoins des urbains de plus en plus nombreux, les gouvernements des pays de la région se lancent de plus en plus dans des projets de développement de smart cities. Les projets portés par le gouvernement sont souvent des projets de grandes envergures et qui mobilisent des moyens importants. La plupart des stratégies de développement des pays de la région ne citent pas la ville intelligente comme un objectif mais les projets de smart-city sont néanmoins souvent considérés comme vitrine du pays et de ses ambitions. Ces projets sont vus comme pouvant permettre aux pays d’Afrique de l’Est et d’Océan Indien d’attirer les investisseurs et les partenaires industriels et technologiques dans la région. Les projets de grandes envergures semblent néanmoins souvent manquer de réalisme vis-à-vis des délais de réalisation, des capacités réelles d’opération des systèmes intelligents et de la situation actuelle des villes et des finances publiques.

Pour permettre aux villes émergentes de s’engager sur la voie de la transition numérique, les bailleurs de fonds s’engagent en apportant une aide financière ou technique, une première étape étant régulièrement l’amélioration de l’alphabétisation numérique.La Japan International Cooperation (JICA) et l’Agence Coréenne de Coopération Internationale (KOICA) sont par exemple particulièrement actives sur les projets impliquant les TIC. La JICA et le ministère des TIC rwandais ont par exemple signés un accord de coopération technique pour le projet Digital and Innovation Promotion Project. L’agence française de développement (AFD) a également accompagné 2 villes de la zone à travers le réseau ASToN (African Smart Towns Network) (voir infra).

L’importance du secteur privé

Malgré de grandes ambitions, les gouvernements manquent de moyens humains, techniques ou financiers pour mettre en place des villes intelligentes. Les projets les plus aboutis sont ainsi souvent portés par le secteur privé. C’est par exemple le cas pour Moka Smart City à Maurice, ce projet ayant été porté par un grand groupe sucrier et a permis de développer de nombreuses infrastructures. Des géants internationaux s’intéressent également aux villes intelligentes de la région. Huawei fiance par exemple le data center de Konza Technopolis. Les GAFAM sont aussi présent dans le secteur, Microsoft est ainsi un partenaire de Konza Technopolis.

Afin de répondre aux besoins des usagers des villes, certaines startups apportent des solutions utilisant les TIC dans le domaine du transport, de l’éducation ou du paiement, … Les solutions permettent un accès simplifié à certains services parfois difficiles d’accès physiquement. Contrairement aux projets d’envergures lancés par les gouvernements, ceux des startups nécessitent souvent moins de moyens et sont opérationnels plus rapidement. Bien souvent, ces projets cherchent également plus d’inclusion des populations en partant de leurs besoins et des dynamiques de marché. Le besoin de transport dans la ville de Nairobi est par exemple assuré par les matatus et la cartographie des différentes lignes permet un accès plus facile. Cette solution a été rapidement mise en place nettement plus rapidement que les systèmes de transport intelligent centralisés, encore largement en projet.

Une stratégie Bottom up est ainsi possible et permettrait d’améliorer l’inclusion de l’ensemble de la population dans les projets et la rapidité de réponses via une transformation graduelle des villes vers des solutions plus intelligentes. Cette stratégie pourrait en tout cas permettre de venir compléter les projets de planifications centralisés des villes pour les rendre plus inclusives.

Plusieurs opportunités peuvent se dessiner pour les entreprises françaises.  Dans la région, l’entreprise Tactis cabinet de conseil spécialisé dans l’aménagement numérique du territoire, implanté notamment au Rwanda, développe des solutions visant à faciliter le développement de smart city. L’entreprise a bénéficié d’un FASEP (fond d’étude et d’aide au secteur privé) visant à développer une application citoyenne. Bluspark développe des solutions de smart meters pour la gestion de l’eau, des déchets qui pourraient permettre aux collectivités locales de mieux gérer ces services et les situations de crises qui peuvent y être liés. La plateforme Bluspark permet en effet aux employés des collectivités locales de communiquer à partir de leur smartphone toutes les informations nécessaires à la résolution d’un incident en cours sur le réseau. Elle permet également d’optimiser les inspections et opérations de maintenance en suivant l’état du réseau. Dans le domaine des infrastructures, pour étendre la connexion et donc permettre le développement de villes plus intelligentes, l’entreprise française Sagemcom développe une activité d’installation d’antennes-relais incluant une composante d’électrification rurale. Par ailleurs, la télémédecine pourrait être développée dans la région et permettre l’accès amélioré aux soins à tous avec des solutions médicales mobiles proposées par différentes entreprises, dont certaines françaises.