Alors que le développement de la mobilité bas-carbone s’accélère globalement, le marché automobile sud-africain n’a toujours pas amorcé de véritable transition vers l’électrique, les véhicules électriques (VE) représentant seulement 1,2% des ventes de véhicules neufs en 2022. Au-delà de la décarbonation du secteur des transports, sa transition est un enjeu clé pour l’avenir de l’industrie, qui est principalement tournée vers l’export et dont les principaux clients (UE et Royaume Uni) ont prévu d’interdire la commercialisation de véhicules thermiques à l’horizon 2035 et 2030. Le développement du marché local se heurte ainsi à de nombreuses entraves, d’abord sur le plan de la demande (écart de prix important avec les véhicules thermiques). Il n’existe par ailleurs aucune politique publique ou réglementaire incitative à la transition du secteur, des mesures difficiles à mettre en place dans un pays marqué par un niveau élevé de pauvreté et d’inégalités. Enfin, la crise énergétique sans précédent que traverse le pays semble poser des limites opérationnelles à un déploiement rapide des VE dans le pays. Toutefois, on note une multiplication des initiatives du secteur privé et public et l’émergence de plusieurs projets phare de constructeurs internationaux pour le développement d’une production locale de VE

 

I - L’absence de transition du secteur automobile : un risque pour l’industrie
Les ventes et la production locale de véhicules électriques restent marginales ….

Les ventes de véhicules électriques sur le marché sud-africain demeurent marginales. Selon l’association des constructeurs automobiles Naamsa, les ventes de véhicules hybrides et électriques en 2022 étaient inférieures à 5 000 unités, soit seulement 1,2% du total des ventes de véhicule neuf passagers sur la période – contre plus de 15% au niveau mondial. Le marché reste par ailleurs largement porté par les véhicules hybrides (plus de 85% des ventes), alors que les ventes de véhicules à batterie atteignaient seulement 506 véhicules (6%) (cf Annexe 1). Ainsi, si les véhicules électriques (VE) ont été introduits sur le marché domestique dès 2013, ils ne représentaient que 0,01% du parc automobile dans le pays en 2022.

La production domestique de VE est également très peu développée. Alors que l’Afrique du Sud a construit une industrie automobile forte (plus de 500 000 véhicules neufs produits en 2022), avec la présence de sept constructeurs internationaux de rang mondiaux dans le pays (BMW, Volkswagen, Nissan, Toyota, Ford, Mercedes, Isuzu), seul Mercedes Benz produit localement des véhicules hybrides rechargeables (modèle haut de gamme EQ Power), et Toyota des modèles hybrides (Prius).

… ce qui menace la viabilité du secteur automobile à moyen terme 

L’absence de transition vers l’électrique du secteur fait peser un risque important sur le secteur automobile : certains constructeurs internationaux présents dans le pays pourraient être amenés à revoir leurs investissements. En effet, le secteur, intégré à la chaîne de valeur mondiale et tournée vers l’export (63,3% de la production en 2022), dépend fortement des marchés européens et anglais (respectivement 48% et 10,5% de parts de marché[1]cf Annexe 2). Or l’interdiction de la commercialisation des véhicules thermiques a été fixée à 2030 par le Royaume-Uni et 2035 par l’UE : la perte de ces marchés pour les véhicules thermiques pourrait ainsi fortement peser sur l’industrie automobile sud-africaine, si elle n’arrive pas à pivoter vers la production de VE. A noter que la transition de l’industrie doit également s’accompagner d’un développement du marché local – en effet, pour qu’un constructeur décide de délocaliser la production d’un modèle dans un pays, une part minimale des ventes doit se faire localement (environ un tiers pour le constructeur BMW par exemple).

Les équipementiers automobiles (500 présents dans le pays) sont également menacés. En effet, l’Afrique du Sud est notamment un producteur important de pots catalytiques (produits composés principalement de minerai de platine dont le pays est le premier producteur mondial), une production principalement destinée à l’exportation (représentant plus de la moitié des exportations de pièces détachées du secteur automobile en 2022 soit 33,9 Mds ZAR – 1,8 Md EUR). Or, la demande de ces pièces, exclusivement destinées aux véhicules thermiques, risque de s’effondrer dans les années à venir – et a déjà montré plusieurs signes de ralentissement ces dernières années. Sans un repositionnement de l’industrie, tout un sous-secteur pourrait disparaître.

Sans un développement rapide de l’industrie automobile électrique, l’Afrique du Sud verrait la valeur de ses exportations diminuer de 112 Mds ZAR (5,6 Mds EUR) à l’horizon 2030, avec une perte potentielle de 300 000 emplois[2]. De nombreux pays pourraient ainsi se positionner comme concurrents directs : on peut notamment citer le cas de la Thaïlande, qui a récemment mis en place un cadre incitatif ambitieux pour les EV, à la fois pour attirer les constructeurs (exemptions de droits de douane à l’importation pour les batteries et autres composants des VA) et favoriser l’essor du marché domestique (package de subventions à l’achat)

II - Les entraves au développement du secteur sont nombreuses
La demande est principalement entravée par l’écart important des prix, mais également un niveau trop faible d’infrastructure

Du côté de la demande, la principale barrière au développement du marché domestique des VE est l’écart de prix important par rapport aux véhicules thermiques, sur un marché qui reste caractérisé par une forte élasticité aux prix. L’offre de VE demeure particulièrement limitée dans le pays avec, en 2022, seulement 7 modèles disponibles à l’achat, principalement des modèles haut de gamme, contre 370 au niveau mondial. D’après le think tank TIPS[3], un VE à batterie était ainsi en moyenne 52% plus cher qu’un véhicule thermique sur le marché sud-africain, alors que, d’après Naamsa, un VE ne pourrait être compétitif qu’à partir d’un différentiel de prix de 10%.

Par ailleurs, le niveau encore insuffisant d’infrastructures (bornes de recharge) et les besoins d’investissement importants (installation d’une borne de recharge au domicile) sont également des entraves significatives à l’achat d’un VE. Si le ratio de borne de recharge par VE reste satisfaisant (une borne par moins de 5 véhicules, contre une pour 10 au niveau mondial), les installations se concentrent dans les centres des grandes villes et sont limitées sur les axes stratégiques (N3 reliant Johannesburg à Durban ou la N1 reliant la capitale économique à la ville du Cap). Ainsi, moins de 300 chargeurs publics sont aujourd’hui disponibles dans le pays – alors que près de 300 000 seront nécessaire à terme d’après Naamsa.

De même, les VE demeurent très peu visibles sur le marché et attirent peu l’intérêt des consommateurs (problème d’image et de manque d’information). D’après un sondage réalisé par le cabinet de conseil Deloitte[4] en 2022, 85% des sud-africains interrogés envisagent ainsi l’achat d’un véhicule thermique pour remplacer leur véhicule actuel, et moins de 2% un VE – soit le taux le plus faible des pays étudiés (17% en Chine, 15% en Allemagne et 5% aux Etats-Unis).

Le développement du secteur est limité par l’absence de politiques publiques incitatives

Le gouvernement sud-africain n’a pas développé de mesures pour soutenir le secteur : aucune subvention à l’achat, pour l’installation de chargeurs, ou d’incitation à une production locale ni de cadre réglementaire incitatif n’est envisagée à ce stade (cf Annexe 3). Le Department of Trande Industry and Competition (DTIC) ne devrait pas rendre public sa stratégie pour le développement d’une mobilité électrique avant mars 2024 – alors qu’un premier rapport (Green Paper) avait été publié en mai 2021. Le programme industriel de soutien à l’industrie automobile (Automotive Production Development Programme) ne distingue par ailleurs pas les investissements dans l’électrique ou le thermique, n’incitant pas les constructeurs à pivoter leur production.

Les constructeurs appellent ainsi le gouvernement à mettre en place des incitations à l’achat de VE (subventions, réduction de TVA, etc...) pour rendre les VE plus compétitifs – d’après une étude d’un cabinet spécialisé[5], pour être efficace, les incitations devraient atteindre entre 80 000 ZAR (environ 4 000 EUR) pour les véhicules à batterie et 20 000 ZAR pour les véhicules hybrides. A noter, toutefois, que le gouvernement ne semble pas aujourd’hui enclin à mettre en place ce type de mécanismes, alors que les achats de véhicules neufs ne concernent que la classe la plus aisée de la population, soit une faible minorité de sud-africains.

De plus, les acteurs du secteur demandent plusieurs révisions de l’EPA (EU-SADC Economic Partnership Agreement)[6], qui, à ce jour, n’est pas favorable aux VE, sur deux volets notamment : i) les droits d’importation –les importations de VE sont taxées à 25% (un niveau équivalent aux véhicules thermiques) mais elles ne bénéficient pas du tarif préférentiel pour les véhicules thermiques importés d’Europe (18%), négocié dans le cadre de l’accord ii) les règles de contenu local (Rule of Origins). En effet, afin que les véhicules produits en Afrique du Sud soient exemptés de taxes à l’importation dans l’UE, 60% de la valeur des biens doit être produite localement, une part très difficile à atteindre pour les VE alors que les batteries sont principalement importées de Chine et représentent entre 35% et 45% de la valeur totale du véhicule. Un assouplissement de ces règles pourrait être transitoire, le temps qu’une industrie sud-africaine des batteries se développe.

Globalement, le développement du marché nécessite d’importants investissements pour mettre en place les politiques de soutien et développer les infrastructures. Ils ont été évalués à 128 Mds ZAR (8,5 Mds USD) sur la période 2023-2027 dans le plan d’investissement de la Just Energy Transition présenté par les autorités sud-africaines en août 2022. Selon le plan, 20% des besoins d’investissement devraient être assurés par le secteur public – le rôle du secteur privé sera donc déterminant dans le développement du secteur.

La crise énergétique ralentit la transition du marché

A moyen terme, le développement à grande échelle des véhicules électriques pourrait être également entravé par la crise énergétique inédite que traverse actuellement l’Afrique du Sud[7]. Alors que la majorité des recharges de véhicule se font à domicile et donc sur le réseau, une augmentation rapide du nombre de VE risquerait de se traduire par une hausse notable de la consommation électrique, ce qui pourrait aggraver à nouveau le déficit de capacités. Par ailleurs, les difficultés d’approvisionnement en électricité ont un effet de dissuasion pour certains consommateurs.

Il convient aussi de questionner la pertinence du développement des VE dans un pays où le mix électrique est particulièrement carboné (reposant à plus de 80% sur le charbon). Sans une transition globale de l’économie sud-africaine, un développement trop rapide des VE pourrait ainsi être contreproductif pour la décarbonation et mettre à mal les engagements de l’Afrique du Sud en matière de réduction d’émissions (National Determined Contribution – NDC). Ainsi, selon une étude de la Banque Mondiale, considérant le mix énergétique sud-africain actuel, un mini bus électrique engendrerait des émissions de gaz à effet de serre supérieures à celles d’un véhicule du même type fonctionnant au diesel (environ +16%).

III – Perspectives de développement du secteur  
Les projets pour le développement des VE émergent

Les initiatives publiques et privées pour accélérer la transition du secteur émergent au niveau des gouvernements locaux. Les municipalités du Cap, de Tshwane (Pretoria) et la région du Western Cape ont lancé de vastes programmes de remplacement des flottes de véhicules officiels (actuellement en cours). Concernant les transports publics, la ville du Cap a mené un projet pilote de bus électrique, qui s’est montré concluant et a débouché sur une commande d’une cinquantaine de véhicules. L’université de Stellenbosch étudie la piste de l’électrification des flottes de taxis-minibus – MTB (transformation de la flotte thermique en électrique ou remplacement par de nouveaux véhicules de marque Hero, importés de Chine), premier mode de transport public suburbain (comptant pour 70% des trajets) avec une flotte de 200 000 véhicules dans le pays. Si les investissements nécessaires restent, à ce stade, prohibitifs, l’université étudie désormais la viabilité d’un programme à plus grande échelle et cherche à mettre en place un partenariat avec un OEM pour développer une production locale de minibus électriques. Par ailleurs, le déploiement de petits VE (deux ou trois roues) pour les livraisons du dernier kilomètre est un segment qui semble offrir d’importantes opportunités pour le secteur privé (marché estimé à 15 Mds ZAR soit 750 MEUR) et sur lequel plusieurs acteurs sud-africains se sont positionnés, comme la start-up Green Riders, qui a lancé une production de scooters électriques dédiés aux activités de livraison (600 unités produites en 2022)[8]. Enfin, le développement du réseau de bornes de recharge est porté par le secteur privé (Gridcar – installation de 350 chargeurs en partenariat avec Audi, Rubicon, Zimicharge et plus récemment la chaîne de supermarché Woolworth). Ces bornes fonctionnement pour la plupart sur des technologies de mini-grid, notamment alimentées par l’Energie solaire, et ne sont donc pas dépendantes du réseau d’Eskom (pas d’impact des délestages électriques).

Enfin, plusieurs constructeurs internationaux ont annoncé vouloir développer la production locale de véhicules électriques : Ainsi, BMW et Volkswagen devraient lancer prochainement une ligne de production de VE dans le pays (sans plus de détails à ce jour) et Toyota devrait mettre en place, dans le courant de l’année 2023, la fabrication de ses modèles phares de 4x4 (Hilux et Fortuner) en version hybride.

Un relais de croissance important, porté par les perspectives de développement de la chaîne de valeur

La transition du secteur automobile pourrait représenter d’importantes opportunités pour l’économie sud-africaine (relais de croissance et d’emplois) – dans un contexte économique dégradé (prévision de croissance de 0,1% en 2023) et avec un taux de chômage qui atteint plus de 34% au premier trimestre 2023. Ainsi, un tournant vers la mobilité verte pourrait permettre la création de plus d’un million d’emplois[9], dont plus de 300 000 dans le développement des infrastructures de recharge.

Le pays pourrait également capitaliser sur l’écosystème automobile qu’il a créé pour développer la chaîne de valeur locale des véhicules électriques (trois clusters automobiles du pays – Cf Annexe 4). L’Afrique du Sud dispose également de ressources minières parmi les plus riches au monde, avec une part importante des réserves de plusieurs minerais stratégiques pour la transition énergétique – le pays produit ainsi 91,3% des ressources de métaux du groupe platine et 35% du manganèse et dispose d’importants gisements de cobalt, minerai de fer, nickel et titanium. Le pays détient donc localement des ressources et dispose d’une expérience dans la transformation des minerais requises pour le développement d’une industrie locale des batteries au lithium (utilisation du manganèse, du fer et du nickel pour les cathodes des batteries) et des piles à combustion (utilisation du platine dans les piles Proton Exchange Membrane). Toutefois, ces projets, évoqués par TIPS[10], restent aujourd’hui au stade préliminaire : aucune politique n’a été mise en place, le pays manque toujours de compétences sur le processus de fabrication et le recyclage, ainsi que d’une main d’œuvre qualifiée suffisante, sur un marché compétitif et en plein essor, très largement dominé par la Chine.



[1] Le rapport de l’ONG Green Cap sur les véhicules électriques pour l’année 2022 dresse un panorama de ses nombreuses initiatives : Electric Vehicles MIR 2023

[2] Selon une étude de l’ONG Uyilo, en charge d’un programme national de mobilité électrique – Smart Move : advancing electric mobility in Africa

[6] Barnes et al, 2022

[7] Accord signé en juin 2016 qui vise à simplifier l’accès des produits sud-africains sur le marché européen (suppression des tarifs douanier pour certaines lignes de produits notamment)

[8] Pour rappel, le pays fait face à un déficit de capacité de production électrique de près de 8 000 MW ce qui provoque une recrudescence des délestages électriques qui amènent jusqu’à 10 heures de coupure de courant quotidienne depuis le début de l’année 2023.

[9] Source : Base de données Trade Map, données déclarées par le pays exportateur (Afrique du Sud), pour le secteur automobile au sens large (véhicules léger, commerciaux, bus, poids-lourds , véhicules spéciaux et pièces détachées).

[10] Foreign, Commonwealth and Development Office - Ministère des Affaires Etrangères et du Développement britannique.