Lettre économique d'AEOI - L’industrie agroalimentaire en AEOI

Alors que l’agriculture représente l’un des piliers de l’économie des pays de la région, comptant pour 26 % du PIB, le développement du secteur agroalimentaire fait l’objet d’une grande disparité. Des pays comme le Kenya et la Tanzanie disposent d’ores et déjà d’industries dynamiques et d’entreprises qui s’exportent, tandis que d’autres souffrent avant tout de difficultés pour atteindre une production agricole suffisante qui permettrait un développement de ce secteur industriel. Les filières de transformation des céréales (blé, maïs, sorgho, …) et du lait (vache, chèvre, …) sont majoritairement privilégiées afin d’assurer la sécurité alimentaire des populations. Dans le même temps, les produits destinés le plus souvent à l’export (thé, café, sucre, fruits et légumes) sont encore peu transformés mais représentent une réelle opportunité de valeur ajoutée.

Une grande disparité de développement du secteur agroalimentaire selon les pays

L’agriculture tient une place centrale dans l’économie des pays de l’AEOI. Avec un PIB de 107 239 MUSD en 2021, l’agriculture représentait 26 % du PIB des pays de l’AEOI. Pour la Somalie, ce secteur représenterait même plus de la moitié du PIB national.

L’industrie agroalimentaire représente la première industrie manufacturière pour une grande partie des pays de la zone. Le secteur est mené par le Kenya (3 061 MUSD) et la Tanzanie (2 897 MUSD), représentant respectivement 4 et 5 % du PIB des pays. Le secteur est en progression depuis une dizaine d’années, dominé en volume par la transformation de céréales (85 887 Mt), et de canne à sucre (32 361 Mt).

Une production de farine en constante augmentation. Celle-ci a ainsi été multiplié par 1,8 en 10 ans, s’établissant à 71 Mt, principalement de la farine de maïs (30 %) et de blé (25 %). La région produit près de 71 % de la farine de blé en Afrique Subsaharienne, le Kenya étant le principal transformateur en AEOI, avec près de 0,7 Mt de farine de blé produite en 2020. Concernant la transformation de maïs, celle-ci représente 35 % de la transformation en Afrique subsaharienne, le Kenya et la Tanzanie étant les deux principaux transformateurs avec une production de près de 3,7 Mt. Au total, 72 % du maïs grain produit ou importé était transformé en AEOI en 2020, principalement sous forme de farine.

Poids lourd de la production de lait, la région Afrique de l’Est et Océan Indien représente plus de la moitié de la transformation de lait en Afrique subsaharienne. En 2020, près de 2,7 Mt de lait ont ainsi été transformés, représentant 55 % de la transformation de lait en Afrique subsaharienne, 30 % en Afrique. La grande majorité de la production de produits laitiers concerne le lait écrémé (84 %), et plus faiblement le beurre (2 %), la crème fraîche (1 %), les yaourts (1 %) et le fromage (1 %). Selon la FAO, la Tanzanie serait le plus grand transformateur de lait en AEOI, avec près de 1,3 Mt de lait transformé en 2020, soit près de 49 % de la transformation totale en AEOI, et cela malgré le fait que la production de lait soit 1,4 fois plus importante au Kenya, avec près de 4 Mt produites en 2020 contre 2,8 Mt pour la Tanzanie, beaucoup de lait étant consommé à l’état brut au Kenya. Les pays de la Corne de l’Afrique transforment encore peu (6 % de la production), alors même que la production de lait en Ethiopie, qui s’élevait à 4,3 Mt en 2020, est la plus importante de toute la région AEOI.

Une transformation de viande qui reste encore faible : 100 tonnes de viande de poulet (Tanzanie), 14 000 tonnes de viande de porc (Kenya) et 22 300 tonnes de viande bovine (AEOI) transformées en 2020. L’AEOI représenterait ainsi seulement 1 % de la transformation de viande de poulet en Afrique subsaharienne, 18 % de la viande de porc et 22 % de la viande bovine. La grande majorité de la transformation se fait au sein des pays de la CAE, excepté pour la viande bovine où l’Ethiopie serait le deuxième transformateur avec 7 200 tonnes de viande transformée en 2020, soit 32 % de la production de la région, juste derrière la Tanzanie (35 %).

La transformation de fruits & légumes se développe, mais reste sous-développée par rapport au potentiel de transformation des pays. Celle-ci a ainsi augmenté de 134 % en 10 ans, passant de 0,6 à 0,8 Mt. Les légumes surgelés représentent 14 % des légumes transformés, mais sont majoritairement voués à l’export. 74 % de la production de légumes surgelés est réalisée par les pays de la CAE, la Tanzanie produisant à elle seule 60 % de la production en AEOI. D’après les données FAO, l’ensemble de la production de jus et de concentré de tomate serait réalisé par le Kenya, mais de petites entreprises artisanales se développent également dans d’autres pays comme au Burundi et au Rwanda.

Les habitudes de consommation divergent selon les pays, mais la consommation de produits bruts reste majoritaire. La consommation de produits transformés à partir de farine de blé comme le pain, les pâtes ou les biscuits reste encore marginale, excepté pour le Kenya où 45 % de la farine de blé serait consommée avec au moins une étape de transformation supplémentaire. Concernant la farine de maïs, qui reste à la base de l’alimentation pour de nombreux pays de la zone, celle-ci n’est pas ou peu (Tanzanie) transformée. La Tanzanie, premier transformateur de lait en AEOI, est également le pays pour lequel la consommation de produits laitiers est la plus importante à l’état transformée, avec près de 1,3 Mt tonnes de lait consommées sous forme transformée en 2020, soit 46 % de la consommation de lait totale du pays.

Malgré un développement du secteur agroalimentaire, les pays de la zone restent dépendants des importations, que ce soit en produits agroalimentaires transformés ou en matière première brute. De nombreux pays de la zone sont en effet contraints d’avoir recourt aux importations de produits bruts afin de compléter la production nationale. Si les pays sont globalement peu dépendants des importations en farine de blé, considérée comme un aliment de sécurité alimentaire, la production nationale en blé ne répond globalement pas aux capacités de transformation des usines. Les pays de l’Océan Indien sont les plus dépendants pour ces importations, Maurice important ainsi 140 000 tonnes de blé en 2020, transformé à 79 % sur place en farine de blé. Alors même que la consommation de farine de blé est majoritairement sous forme brute, près des trois-quarts des pays de la zone sont dépendants à 100 % des importations en pâtes pour satisfaire la demande nationale, et de la même façon pour d’autres produits transformés comme les jus de fruits et le lait en poudre. Il convient cependant de relativiser ces chiffres, les quantités importées restent parfois faibles, mais traduisent un déficit de transformation locale alors que la production de certains produits de base (fruits et tomate notamment) se fait localement. Le Burundi a ainsi importé 800 tonnes de jus de fruits en 2020, le Soudan 2 400 tonnes et la Tanzanie 2 300 tonnes. La production de jus de fruits représente toutefois un fort potentiel de développement au sein des différents pays de la zone, la transformation des fruits permettrait en effet de réduire les pertes post-récoltes et d’apporter une plus-value à la production.

Principaux acteurs

Les grandes entreprises agroalimentaires conquièrent de nouveaux marchés et s’implantent dans plusieurs pays de la région. L’entreprise East African Breweries est la première entreprise agroalimentaire d’Afrique de l’Est et Océan Indien avec un chiffre d’affaires de près de 682 MUSD en 2020. Elle se place ainsi à 168e place dans le palmarès 2022 des 500 premières entreprises africaines. L’entreprise appartient au groupe Diageo, multinationale britannique principalement spécialisée dans les spiritueux et la bière. EAB possède cinq sites de production à travers la région, et est présent dans plus de 10 pays africains, ses principaux marchés restant le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie. De nombreux groupes agroalimentaires kenyans investissent également à l’étranger : les groupes Unga et Pembe Mills en Ouganda et en Tanzanie ; Bidco Oil au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda, où se trouvent déjà des usines, mais qui commercialise également en Ethiopie, au Rwanda et au Mozambique ; African Poultry Development qui comprend Kenchic Kenya, Interchic et Tanbred en Tanzanie ; Brookside au Kenya, Tanzanie et en Ouganda.

Structuration des filières et infrastructures rurales comme principaux enjeux

La structuration des filières, tout d’abord, pour sécuriser l’approvisionnement des unités de transformation, développer et renforcer le secteur agroalimentaire. Cela passe notamment par le regroupement de producteurs en groupements de producteurs ou en coopératives pour agréger la production agricole. Cela passe également par une meilleure articulation entre les producteurs et les transformateurs afin de sécuriser tant les besoins de l’aval que de l’amont (prix, quantité, qualité, à travers notamment la contractualisation et un plus grand investissement de l’aval dans l’amont) mais aussi entre les transformateurs et les distributeurs afin d’éviter toute rupture de la chaîne du froid, optimiser la chaîne logistique et mieux satisfaire les attentes des consommateurs, y compris en période de plus forte demande. Lié à cet enjeu, la question du financement des TPE et PME, et de leur mise en relation, est souvent problématique et représente un enjeu complémentaire au développement de ce secteur.

Le développement des infrastructures, ensuite, comme préalable au développement du secteur agroalimentaire. Plusieurs pays manquent encore d’infrastructures en zone rurale (accès à l’électricité et à l’eau, capacités de stockage, chaînes du froid, voiries), mais il est important de noter que des pays comme le Kenya, la Tanzanie, ou l’Ile Maurice bénéficient d’ores et déjà d’infrastructures fonctionnelles et développées, bénéfique au développement du secteur agro-alimentaire. Le développement de ces infrastructures reste un préalable important à la transformation du paysage agroalimentaire en AEOI, permettant l’obtention d’une chaîne de production et de distribution fiable et efficace.

Politiques régionales et soutien au secteur agroalimentaire

Près de 70 % des industries de la CAE sont agroalimentaires et dépendent de l’agriculture pour leurs apports en matière première. Le secteur de l’agroalimentaire est ainsi le premier employeur du secteur manufacturier en Afrique de l’Est, et est également un très gros employeur indirect. De nombreuses chaînes de valeur agroalimentaires représentent un fort potentiel de création d’emploi comme la filière de transformation des fruits et légumes, sans compter l’effet bénéfique pour l’économie du pays et la sécurité alimentaire.

Un objectif de production de 270 millions de tonnes de nourriture au sein de la CAE avec la création de zones industrielles. L’industrie agroalimentaire est l’un des six piliers promus dans le programme de développement East African Community Industrialisation Policy prévu sur 20 ans (2012-2032). « Les abondantes ressources agricoles de la région constituent une base stratégique pour la croissance socio-économique et la sécurité alimentaire grâce à la promotion des industries agro-alimentaires. Toutefois, l'industrie produit principalement des denrées alimentaires de base et des cultures de rente qui sont commercialisées avec peu ou pas de transformation. » Aujourd’hui, près de 60 % des marchandises échangées au sein de la CAE sont des produits agricoles. Le développement de zones agroindustrielles est également encouragé par la Banque Africaine de Développement (BAD), sous le nom de SAPZ (Special Agro-Industrial Processing Zones).

L’ensemble des pays de la zone AEOI se munissent de plans nationaux de développement du secteur agroalimentaire, afin de renforcer leur sécurité alimentaire. Le Kenya souhaite ainsi, à travers le programme BETA, renforcer la chaîne de transformation de la viande afin d’augmenter de 130 % la production de viande de bœuf d’ici 2027. Toutefois, faute de moyens étatiques, certains pays, comme les Comores, comptent principalement sur les investissements de bailleurs comme le FIDA. Les gouvernements comptent également fortement sur les investisseurs privés pour développer le secteur, notamment de grands groupes étrangers.

Les produits agricoles et transformés sont au cœur de nombreuses relations commerciales entre pays. Pour la France, par exemple, ces échanges agri/agro représentent environ 80 % des importations françaises depuis les pays d’AEOI. L’Océan Indien et le Kenya arrivent en tête. Les pays de l’Océan Indien fournissent principalement la France en produits préparés issus de la pêche, comme les conserves de poissons, tandis que Madagascar est le 1er fournisseur de vanille de la France. Madagascar et le Kenya sont les 1er et 2ème fournisseurs de la France en haricots, frais mais également transformés. La France est par ailleurs la première destination pour les haricots, essentiellement transformés, produits au Kenya.

Les produits voués à l’export, source importante de devises étrangères. Afin de mieux valoriser les exportations de thé, café et viande notamment, les gouvernements souhaitent mettre l’accent sur le développement des chaînes de valeur de ces filières. Cependant, il semble important de prendre en considération la demande des pays importateurs qui ne recherchent pas forcément de produits transformés, comme c’est le cas du Pakistan qui importe le thé brut afin de le transformer localement. De la même façon, l’Ouganda, premier exportateur de café en Afrique, exporte la majorité de sa production sous forme brute. Le développement de la transformation des productions vouées à l’export reste un objectif important pour l’ensemble des pays de la zone.