Publications des Services économiques

Zoom : Géographie de la croissance russe

La reprise de l’activité économique en Russie est hétérogène en termes territoriaux. Ces disparités sont accrues par l’effort militaire et l’adaptation contrainte de l’économie.

1. La croissance industrielle est polarisée selon les spécialisations régionales

En hausse de 1,8% en janvier-mai 2023 en moyenne annuelle, l’activité industrielle reprend inégalement et se concentre dans les régions disposant d’une forte industrie militaire. De manière non-exhaustive, plusieurs oblasts situés dans le district fédéral du Centre (Toula, Riazan, Tver, etc.), et, dans l’Oural, les oblasts de Sverdlovsk et Tcheliabinsk[1] affichaient des taux de croissance compris entre 9 et 23% en glissement annuel dans l’industrie manufacturière (plus de 40% en mai), à rapporter à une moyenne nationale de 4,8% en janvier-mai 2023. Le kraï de Krasnodar, situé à l’extrême-sud du pays, affichait également une croissance de 14% sur cette période grâce au poids de son industrie agro-alimentaire.

A l’inverse, les sujets de la Fédération dont les industries dépendent d’activités affectées directement ou indirectement par les sanctions et/ou mesures de rétorsion russes rencontrent des difficultés non négligeables. Sont touchées en priorité les régions productrices de gaz et de pétrole, dont la Iamalie, 1ère région gazière de Russie, avec une baisse des activités extractives de 8,6% en g.a. sur les cinq premiers mois de l’année, et la région autonome des Khantys-Mansis (-0,5%), qui est la principale zone d’extraction pétrolière du pays. Ces deux régions représentent à elles seules plus 40% de l’industrie extractive russe. Trois autres types d’industrie ont significativement marqué le pas : la filière du bois, particulièrement représentée au Nord-Ouest du pays (ex : -2,6% en Carélie), touchée par la fermeture du marché européen ; les régions spécialisées dans les engrais minéraux, dont l’oblast de Mourmansk (-13,6%) et de Novgorod (-3,7%) ; et les zones d’implantation de l’industrie automobile, en particulier à Kaliningrad (-12,8%) et Kalouga (-12%).

Figure 1. Répartition de la production manufacturière et extractive en janvier-mai 2023, %

GraphiqueGraphique

Figure 2. Évolution de l’activité industrielle totale en janvier-mai 2023, %, g.a.

Carte

 

2. L’effort d’investissement est contraint par les priorités géopolitiques

La croissance de l’investissement en capital fixe a ralenti à 0,7% en g.a. au 1er trimestre 2023 (contre 4,6% en 2022) et se concentre pour l’essentiel dans le Sud et l’Extrême-Orient. La géographie des investissements reflète les dynamiques géopolitiques à l’œuvre depuis 2022, liées à la conduite des opérations militaires et à la réorientation des flux commerciaux vers l’Est : les plus forts taux de croissance sont enregistrés dans le district fédéral du Sud (+26,1%), en particulier dans l’oblast de Rostov attenant à l’Ukraine (+74%). Dans cette région, les fonds budgétaires publics ont financé 28% de l’investissement (contre 13% en moyenne nationale), leur part atteignant 49% dans l’oblast de Rostov, et 54% en Crimée[2]. Les investissements ont également fortement progressé en Extrême-Orient (+27%), et affichent un taux de croissance à deux chiffres dans toutes les régions de ce district (à l’exception de Sakhaline), en lien avec le pivot vers l’Est et le développement des infrastructures de transport, notamment ferroviaires via le projet « Vostochniy poligon ». La part de l’investissement des administrations a été limitée à 5,7%, tandis que celle financée par des crédits bancaires a atteint 14,6%, contre 9,8% à l’échelle nationale. Cette particularité statistique pourrait indiquer un report de l’effort d’investissement sur les grandes entreprises publiques et privées, qui auraient bénéficié en contrepartie d’un accès facilité au financement par les banques publiques[3].

Ces tendances sont également reflétées par les statistiques de la construction. En croissance de 8,1% en moyenne annuelle en janvier-mai 2023, la construction a significativement progressé dans le district fédéral du Sud (+21,3%), notamment dans l’oblast de Rostov (+26,9%), et dans une moindre mesure en Crimée (+14,6%). Plusieurs régions frontalières de la Chine situées le long du Transsibérien ont aussi enregistré de très fortes croissances, dont le kraï de Khabarovsk (+59%) et la Transbaïkalie (+35%).

La dynamique de l’investissement est plus contrastée dans le reste du pays, avec une diminution de 10,5% dans le district fédéral du Centre, qui pèse pour 28% de l’investissement total, dont une baisse de 11,9% à Moscou (16% de l’investissement total). L’investissement a aussi diminué de 8,2% dans l’Oural (14% de l’investissement total), ce qui traduit en premier lieu les difficultés de l’industrie gazière avec une baisse de l’investissement de 25% en Iamalie, tandis que l’oblast manufacturier de Sverdlovsk a vu l’investissement augmenter de 5,4%. Les districts fédéraux de Sibérie, du Nord-Ouest de la Volga ont enregistré une hausse de l’investissement modérée à 5%, 4,5% et 1,3% respectivement.

Figure 3. Évolution de l’investissement en capital fixe au 1er trimestre 2023, %, g.a.

Carte


 




[1] Ces deux oblasts sont notamment spécialisés dans la production de chars d’assauts via le groupe Ouralvagonzavod.

[2] Territoire ukrainien revendiqué par la Russie depuis 2014. La communauté internationale ne reconnaît pas l’appartenance de la Crimée à la Russie.

[3] Zoubarévitch N. (2023), « Экономическая география эпохи СВО : как изменилась российская экономика в разрезе регионов » (« La géographie économique à l’époque de « l’opération militaire spéciale » : comment l’économie russe a changé à l’échelle des régions »), Re : Russia.