Washington Wall Street Watch n°2023-23
Réflexions hebdomadaires sur les principaux évènements financiers, institutionnels ou règlementaires, aux Etats-Unis.
Sommaire
Conjoncture
- Le marché du travail demeure résilient en dépit d’une hausse du taux de chômage
- L’activité ralentit dans l’industrie et les services
Politiques macroéconomiques
- Le Treasury procède à la normalisation de sa trésorerie après le vote de la loi suspendant le plafond de la dette
Services financiers
- Les républicains proposent une nouvelle loi pour réguler les crypto-actifs
- La SEC attaque en justice les plateformes de crypto-actifs Binance et Coinbase
- La Chambre adopte des mesures facilitant l’accès au capital-investissement
Situation des marchés
Brèves
Conjoncture
Le marché du travail demeure résilient en dépit d’une hausse du taux de chômage
D’après le rapport du Bureau of Labor Statistics (BLS) sur la situation de l’emploi, publié le 2 juin, les créations d’emplois ont progressé en mai à +339 000 (après +294 000 en avril et +341 000 en moyenne au cours des 12 derniers mois), bien au‑delà des attentes du marché (+190 000). Ces créations d’emplois se sont concentrées dans les services aux entreprises (+64 000), le secteur public (+56 000), la santé (+52 000) ainsi que dans les loisirs et le tourisme (+48 000).
Le taux de chômage a augmenté à 3,7 % en mai (+0,3 point par rapport à avril), soit +0,2 point au‑dessus des attentes du marché. Le taux d’emploi a légèrement diminué à 60,3 % (après 60,4 %) tandis que le taux de participation est resté stable à 62,6 % pour le 3ème mois consécutif. Le salaire horaire moyen a quant à lui ralenti à +0,3 % sur un mois (après +0,5 %) et à +4,3 % sur un an (après +4,4 %).
L’activité ralentit dans l’industrie et les services
D’après un rapport de l’Institute for Supply Management (ISM), l’indice PMI manufacturier (Purchasing Manager Index) a poursuivi son recul en mai, s’établissant à 46,9 (après 47,1) soit légèrement en-dessous des attentes du marché (47,0). L’indice évolue en zone de contraction pour le 7ème mois consécutif, tiré à la baisse par les nouvelles commandes (42,6 après 45,7), les livraisons (43,5 après 44,6) et les stocks (45,8 après 46,3). Les prix enregistrent également une forte baisse (44,2 après 53,2). La production et l’emploi ont quant à eux progressé (à 51,1 et 51,4 respectivement), évoluant tous deux en zone d’expansion.
Par ailleurs, l’ISM rapporte que l’indice PMI du secteur des services a nettement diminué en mai à 50,3 (après 51,9 en avril), bien en‑dessous des attentes du marché (52,3) et à son niveau le plus bas depuis décembre 2022 (49,2). Il continue toutefois d’évoluer en zone d’expansion pour le 5ème mois consécutif. En dehors des stocks qui ont fortement augmenté (58,3 après 47,2), toutes les composantes de l’indice ont diminué sur un mois, en particulier les nouvelles commandes (52,9 après 56,1) et l’emploi (49,2 après 50,8) qui évolue désormais en zone de contraction. L’indice des prix a quant à lui baissé de -3,4 points en mai (à 56,2).
Politiques macroéconomiques
Le Treasury procède à la normalisation de sa trésorerie après le vote de la loi suspendant le plafond de la dette
Le Fiscal Responsibility Act issu de l’accord bipartisan a été adopté (63-36) le 1er juin au Sénat, puis signé par le Président Biden et promulgué le 3 juin. La loi prévoit la suspension du plafond de la dette jusqu’au 1er janvier 2025 et le plafonnement de la progression des dépenses militaires et non-militaires.
Le Treasury a annoncé le 7 juin augmenter l’émission de Treasury bills, obligations d’État dont la maturité est inférieure à 1 an, afin de rétablir le niveau de trésorerie habituel. Selon le Tresaury, de nouvelles émissions d’un montant de 131 Md USD de T-bills sont prévues entre le 2 et le 13 juin et les rentrées fiscales du 15 juin pourraient accélérer la reconstitution de sa trésorerie. Le Treasury a également indiqué surveiller attentivement l’évolution des conditions de marché de sorte à ajuster éventuellement le rythme des émissions. En effet, certains professionnels du secteur financier ont exprimé leurs inquiétudes liées à la hausse trop importante des émissions dans un contexte de demande plus faible due à la réduction du bilan de la Fed et à de moindres achats par la Chine, ce qui pourrait conduire à des pressions haussières sur les rendements obligataires et augmenter le coût de financement de l’Etat.
Services Financiers
Les Républicains proposent une nouvelle loi pour réguler les crypto-actifs
Patrick McHenry (R-Caroline du Nord), président de la commission des services financiers de la Chambre des représentants, et Glenn Thompson (R-Pennsylvanie), président de la commission de l’agriculture, ont présenté vendredi une proposition de loi visant à encadrer les marchés de crypto-actifs. La proposition distingue deux catégories de crypto-actifs : (i) les digital commodities, dont le marché serait régulé par la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), régulateur des marchés de dérivés ; (ii) les autres crypto-actifs, assimilés à des titres financiers (securities), qui seraient régulés par la Securities and Exchange Commission (SEC), autorité des marchés financiers. Le principal critère d’identification des digital commodities serait le caractère décentralisé de leur réseau, qui serait apprécié par la SEC au regard de l’absence de contrôle du réseau ou de son accès ou de l’absence d’entité détenant au moins 20 % des droits de vote.
Le texte imposerait aux places de marchés, aux courtiers et aux teneurs de marché une procédure d’enregistrement auprès de leur autorité de supervision (SEC ou CFTC), qui serait chargée de publier des règles d’encadrement de ces intermédiaires (exigences de fonds propres, reporting, etc.). Plusieurs mesures visent à renforcer la transparence et la protection des consommateurs. La proposition encadre également les modalités d’émission de crypto-actifs auprès des investisseurs.
La SEC attaque en justice les plateformes de crypto-actifs Binance et Coinbase
La SEC a annoncé le 5 juin qu’elle engageait des poursuites contre Binance et son fondateur Changpeng Zhao. La SEC leur reproche : (i) la conduite d’activités de courtage, d‘échange et de compensation de crypto-actifs sans enregistrement auprès de la SEC ; (ii) la sollicitation de clients américains en vue de l’émission de crypto-actifs assimilables à des titres financiers, sans enregistrement ni fourniture d’informations adéquates ; (iii) la mise en place de montages visant à échapper à la régulation américaine ; (iv) la protection insuffisante des actifs des clients de la plateforme. La SEC fonde son action sur le non-respect de la réglementation applicable aux titres financiers (securities), considérant que certains actifs échangés sur Binance relèvent de cette catégorie, notamment le stablecoin Binance USD. La SEC a également demandé au juge de procéder au gel des avoirs des clients américains de Binance et de rapatrier ceux-ci au sein de l’entité Binance US afin d’assurer leur protection pendant la durée du litige.
Le 6 juin, la SEC a annoncé des poursuites contre Coinbase, première plateforme américaine de crypto-actifs. Comme dans le cas de Binance, la SEC considère que Coinbase opère des activités de courtage, d’échange et de compensation de crypto-actifs assimilables à des titres financiers sans enregistrement, donc de manière illégale. La plainte de la SEC mentionne 13 crypto-actifs qu’elle considère comme relevant de la catégorie des titres financiers, dont Cardano, Solana et Polygon (entre 7 et 12 Md USD de capitalisation chacun). La SEC fonde son analyse sur les critères dégagés par l’arrêt de la Cour suprême SEC vs. Howey de 1946, notamment l’existence d’un contrat d’investissement laissant espérer un profit pour l’investisseur résultant des efforts d’autres personnes. La SEC considère également que les offres de « staking » (immobilisation de crypto-actifs auprès d’un prestataire contre rémunération) de Coinbase s’apparentent à des offres de titres financiers. Elle pointe à cet égard le manque d’information fournie aux investisseurs, la protection insuffisante de leurs avoirs et le cumul, par Coinbase, de fonctions séparées dans la finance traditionnelle (courtage, échange, compensation).
La Chambre adopte des mesures facilitant l’accès au capital-investissement
La Chambre des représentants, à majorité républicaine, a adopté le 5 juin des propositions de loi visant à faciliter l’accès des particuliers au capital-investissement. La première (Fair Investment Opportunities for Professional Experts Act) élargit le champ des investisseurs habilités à investir en capital-investissement (accredited investors) pour y inclure les personnes ayant acquis des compétences financières à travers leur formation ou leur profession. La seconde (Accredited Investor Definition Review Act) demande à la SEC d’identifier, de manière suffisamment large, les formations éligibles et de réviser cette liste au moins tous les 5 ans.
La Chambre a également adopté des mesures visant à faciliter le financement des entreprises, en réduisant les exigences de reporting des jeunes entreprises (H.R. 2608 et 2610), en autorisant toutes les sociétés, y compris les sociétés cotées, à recourir à des modalités d’émission dérogatoires réservées aux jeunes entreprises (H.R. 2793) et en demandant à la SEC de mener une étude sur les coûts liés à l’introduction en bourse (H.R. 2812).
Ces textes devront désormais être discutés au Sénat, à majorité démocrate.
Situation des marchés
Au cours de la semaine écoulée (de vendredi à jeudi), l'indice S&P 500 a progressé de +1,25 %, à 4 294 points porté par une levée de l’incertitude sur le plafond de dette, en dépit du recul des indices PMI et de la hausse surprise du taux directeur par la Banque du Canada.
Le rendement des obligations souveraines (Treasuries) à 2 ans et à 10 ans ont tous deux augmenté de +0,1 point, à 4,5 % et à 3,7 % respectivement. Les taux sont remontés à la suite d’une hausse surprise par la banque centrale du Canada de son taux directeur après deux pauses successives, alimentant la crainte d’une poursuite de hausses des taux directeur par la Fed en raison d’une économie plus résiliente que prévu.
Brèves
- Le 7 juin, le Président Biden a exercé son droit de véto à la loi votée par le Congrès visant à bloquer l’annulation de certaines dettes étudiantes jusqu’à 20 000 USD décidée par le Président. La loi a été adoptée à la Chambre des représentants sur une ligne partisane (218-203) le 24 mai et au Sénat (52-46) le 1er juin avec l’appui de deux sénateurs démocrates centristes, Joe Manchin (D-Virginie Occidentale) et Kyrsten Sinema (I-Arizona). La Cour suprême doit rendre une décision d’ici la fin du mois sur la capacité du Président à décider d’une telle annulation de dettes sans l’accord du Congrès.
- La CFTC a publié le 7 juin une proposition de règle renforçant les exigences applicables aux plans de résolution des organismes de compensation d’importance systémique (derivatives clearing organizations – DCO). La règle étendrait par ailleurs l’obligation d’établir de tels plans à certains DCO non systémiques. La CFTC a également finalisé une règle sur la gouvernance des DCO.
- La CFTC a ouvert le 7 juin une consultation sur une requête de la Securities Industry and Financial Market Association (SIFMA) et de l’International Swap and Derivatives Association (ISDA). La SIFMA et l’ISDA demandent à la CFTC de considérer que les exigences de capital et de reporting applicables aux entités opérant en France et en Allemagne sont comparables à celles imposées aux États-Unis afin de bénéficier, sous certaines conditions, d’un régime d’équivalence.
- Les régulateurs bancaires (Fed, FDIC et OCC) ont finalisé le 6 juin une recommandation (guidance) imposant aux banques de mettre en place un dispositif de gestion des risques relatifs à leurs prestataires externes. Le dispositif couvre les différentes étapes de la relation aux prestataires (sélection, négociation du contrat, contrôles, etc.).
- La SEC a finalisé le 7 juin une règle visant à prévenir les fraudes et les manipulations sur le marché des swaps liés à des titres financiers (security-based swaps).
- Le Public Company Accounting Board (PCAOB), autorité de supervision des auditeurs, a publié le 6 juin une proposition de règle qui imposerait aux auditeurs d’identifier, d’évaluer et de communiquer aux organes de gouvernance tous les risques de non-conformité qui pourraient avoir un impact matériel direct ou indirect sur les comptes de l’entreprise. Il s’agit d’une exigence plus importante que le cadre actuel, qui se limite aux risques ayant un impact matériel direct sur les comptes.
- Dans une interview du 7 juin, Gary Gensler, président de la SEC, a indiqué qu’il ne prévoyait pas de prolonger l’exonération permettant aux entités fournissant de la recherche à des clients européens de ne pas s’enregistrer en tant que conseillers en investissement auprès de la SEC. Cette exonération, qui doit prendre fin le 3 juillet 2023 avait été accordée en 2017 à la suite de l’interdiction, par la directive européenne MiFID II, de facturer conjointement des services de recherche et de courtage (unbundling).