Une croissance démographique en AEOI porteuse de risques

La population en AEOI a été multipliée par 7,5 entre 1950 et 2022 passant de 50 à 410 millions d’habitants, soit un taux d’accroissement annuel moyen de 2,8 %. Le PIB par habitant a globalement cru dans la zone (hormis à Madagascar) permettant à des pays comme Maurice et les Seychelles de passer dans la catégorie des PRITS, et au Kenya, à Djibouti, et à la Tanzanie de devenir PRITI. La population d’AEOI devrait atteindre 1,15 Md à horizon 2100 selon les estimations des Nations Unies. Une croissance démographique significative dont le potentiel en matière de croissance économique n’a d’égal que les risques (pauvrété et insécurité alimentaire, conflits,…) qu’elle fait courir aux pays de la région. Pour capter le dividende de leur transition démographique, ces derniers doivent rélever un double défi : développer leur capital humain tout en favorisant l’émerge d’emplois qualifiés.

Dynamiques démographiques et PIB par habitant

La transition démographique de la région AEOI s’est amorcée dans la première partie du siècle dernier. Entre 1950 et 2022, le taux de mortalité a ainsi chuté de manière significative de 25,4 ‰ à 6,7 ‰. A horizon 2035, ce dernier devrait tendre vers 5,8 ‰ avant de remonter légèrement à 9,1 ‰ en 2100 en raison du vieillissement de la population. En parallèle, le taux de natalité a atteint son pic en 1970 à 49,4 ‰ avant de diminuer de manière constante et significative pour atteindre 32,2 ‰ en 2022[1]. A horizon 2100, ce dernier devrait tendre vers 13,0 ‰ et se rapprocher ainsi du taux de mortalité (9,0 ‰). Conséquence de ces deux dynamiques concomitantes, la population en AEOI a été multipliée par 7,5 entre 1950 et 2022 passant de 50 à 410 millions d’habitants, soit un taux d’accroissement annuel moyen de 2,8 %. Selon les estimations des Nations Unies, la région AEOI devrait achever sa transition démographique au début du siècle prochain avec une population avoisinant 1,15 Md. Certains pays seront ainsi les plus peuplés du continent, avec l’Ethiopie en tête qui serait le 7ème pays le plus peuplé au monde et le troisième d’Afrique derrière le Nigéria et la République Démocratique du Congo, et la Tanzanie, juste derrière l’Ethiopie en tant que quatrième pays le plus peuplé du continent.

Derrière les chiffres agrégés se cachent néanmoins des situations très hétérogènes et pour lesquels les recensements sont parfois anciens voire inexistants (Erythrée). Tandis que certains pays de la région sont sur le point d’achever leur transition démographique (Maurice, Seychelles, Djibouti), d’autres en sont encore à un stade relativement précoce (Somalie, Burundi). La grande majorité de ces derniers se situent néanmoins au 3ème stade[2] de leur transition (Kenya, Rwanda, Tanzanie, Erythrée, Madagascar, Ethiopie, Ouganda, Soudan du Sud, Comores). En effet, les taux de fécondité restent extrêment hétérogènes d’un pays à l’autre. Par exemple, le nombre d’enfants par femme était de 1,4 à Maurice en 2022, contre 6,2 en Somalie, pour une moyenne de 4,6 en Afrique Subsaharienne (Tableau 1). De plus, la transition démographique de certains pays présente des spécificités. C’est notamment le cas du Rwanda, dont la croissance démographique a été interrompue par le génocide, de Djibouti, significativement affecté par les flux migratoires imputables aux situations d’instabilité récurrentes dans les pays voisins (Somalie, Ethiopie, Erythrée), ou encore de Maurice, qui a recours à l’immigration pour compenser la contraction de sa population active. Autre cas particulier, l’Erythrée, qui observe depuis 1962 une baisse de son taux de natalité non accompagnée d’une amélioration notable des conditions de vie de la population locale, condition d’ordinaire préalable à la baisse des natalités.

A l’échelle régionale, malgré une démographie en pleine expansion, le PIB par habitant moyen a cru de manière significative entre 1980 et 2022, passant de 606,3 USD/pers à 3 799,3 USD/pers[3]. Cette croissance a été portée par le développement économique des pays de la région, dont le PIB réel a augmenté de 5,3 % par an en moyenne. Les plus fortes croissances du PIB par habitant[4] ont été enregistrées à Maurice (+3,7 % de croissance par an en moyenne), en Ethiopie (+3,2 %), et aux Seychelles (+2,7 %). Toutefois, les disparités se sont fortement creusées au sein de la région, avec des reculs du PIB par habitant de 35,4 % à Madagascar et de 19,3 % au Burundi entre 1980 et 2022 (Graphique 2).

A cela s’ajoute la volonté de certaines gouvernements de contenir la croissance de leur population. À cette fin, de nombreux pays ont mis en place des politiques publiques visant à promouvoir l’éducation (notamment celle des filles), l’accès aux soins et le planning familial. Des initiatives néanmoins freinées dans certains pays par des situations politiques instables. C’est notamment le cas en Ethiopie où le récent conflit dans le Tigré semble avoir ralenti les ambitions gouvernementales en termes d’éducation et de santé dans les régions touchées.

Une transition démographique qui s’est accompagnée par un accroissement de l’éducation mais continue de faire peser des risques

La transition démographique est une source d’opportunité pour les économies de la région : le PIB de la zone, qui était de 264,8 Mds USD (0,4 % du PIB mondial) en 2011 atteindra 2 028 Mds USD en 2028 (0,6 % du PIB mondial), augmentant ainsi la part des économies d’AEOI dans le PIB mondial de 0,2 point de PIB. Cependant, les pays ne pourront tirer profit du dividende démographique qu’avec un investissement suffisant dans l’éducation et une capacité accrue des économies à fournir des emplois stables et rémunérateurs aux nouveaux entrants sur le marché du travail.

En effet, les taux de scolarisation se sont largement améliorés avec d’importants efforts consentis par de nombreux pays pour développer leur capital humain (gratuité de l’éducation, construction d’écoles, etc.). Cela s’est traduit par un taux de scolarisation net de 84,6 % en Ethiopie en 2015 (x2,5 depuis 1998) et de 94 % en 2020 à Maurice. Ces améliorations restent toutefois à nuancer, le taux d’alphabétisation n’atteignant que 52 % en Ethiopie et 34 % au Soudan du Sud en 2017, et 40 % en Somalie, contre 92 % à Maurice en 2022.

Par ailleurs, le secteur informel reste le premier pourvoyeur d’emplois en AEOI et capte la majorité des nouveaux arrivants sur le marché du travail. Le secteur formel représente ainsi 95 % de l’emploi à Madagascar et 80 % en Tanzanie. Au Kenya, l’emploi informel a cru à un rythme moyen de 11 % par an depuis 1985, contre 2,5 % pour l’emploi formel. Alors que de nombreux pays n’en sont qu’à mi-chemin de leur transition démographique, nombre d’entre eux peinent à absorber dans le secteur formel la cohorte de nouveaux entrants sur le marché du travail. C’est notamment le cas de l’Ethiopie où le taux de participation décroît (de 81,2 % en 2013 à 68,3 % en 2021) et le taux de chômage augmente (de 5 % en 2005 à 8 % en 2021). Des dynamiques qui contrastent avec la croissance significative du PIB sur la période récente et qui témoignent du caractère peu inclusif de la croissance en AEOI. En outre, la prévalence de l’emploi informel ne permet pas de mettre en place un système de cotisations retraite alors que le ratio de dépendance serait favorable (hormis Maurice et Seychelles).

Parmi les risques accrus par la croissance démographique figure l’insécurité alimentaire : les pays devront être en mesure de nourrir leur population dans un contexte où le changement climatique pèse sur la production agricole, avec l’intensification de la fréquence et de la sévérité des sécheresses et des événements climatiques extrêmes. Par ailleurs, l’accroissement des populations urbaines devrait se poursuivre, et constitue une source de préoccupation dans la zone, notamment en termes d’urbanisation. A titre d’illustration, la population de Dar Es Salaam en Tanzanie devrait doubler pour atteindre plus de 10 millions d'ici 2050 selon les Nations Unies. De même, selon la Banque mondiale, la majorité de la population malgache (à 61 % rurale en 2021) pourrait vivre dans des zones urbaines d’ici 2036 en raison de l’exode rural massif. Au Burundi et au Rwanda - pays les plus densément peuplés du monde avec des ratio respectifs de 476 et 503 habitants/km2 en 2020 – la croissance de la population urbaine diminue les surfaces cultivables et exerce une pression à la hausse sur le rendement et le prix des terres. Cette croissance significative des populations urbaines en AEOI pose deux risques majeurs : (i) Un risque sanitaire avec des conditions propices au développement et à la prolifération de maladies et (ii) un risque d’instabilité politique, si les populations jeunes sont en manque d’opportunités économiques.

 



[1] A titre de comparaison, dans l’Union Européenne, les taux de natalité et de mortalité ont avoisinné respectivement 9,7 ‰ et 10,3 ‰ sur la décénnie passée.

[2] Le stade 3 se caractérise par un taux de mortalité faible, proche de son niveau minimal, et un taux de natalité en forte décroissance. Voir glossaire.

[3] Moyenne pondérée AEOI hors Djibouti, Erythrée, Somalie, et Soudan du Sud, du PIB par habitant en prix courants (USD).

[4] PIB par habitant à prix constants en USD 2017 Parité Pouvoir d’Achat.