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Zoom sur la situation économique et financière du Tadjikistan en 2022

Pays le plus pauvre d’Europe et d’Asie centrale, avec un PIB par habitant estimé à 1064 USD, et un PIB nominal de 10,5 Md USD en 2022, le Tadjikistan a connu une croissance rapide au cours de la dernière décennie atteignant 7,1% en moyenne. L’économie tadjike a bien résisté en 2022 et affiché une croissance de 8%, en légère baisse par rapport à l’année précédente, déjouant les prévisions initialement pessimistes des institutions financières internationales. L’augmentation des envois de fonds depuis la Russie et de la demande de services ont largement contribué au maintien d’un niveau élevé d’activité en 2022. Les perspectives à moyen terme du pays restent affectées par les limites du modèle de développement actuel, fondé sur l’exportation de ressources naturelles et la dépendance aux envois de fonds depuis la Russie. Le climat des affaires délabré, le manque de réformes structurelles, d’investissement en capital humain et d’opportunités d’emploi pour une population jeune et en croissance sont autant de facteurs limitant le développement du pays.

1. Les transferts financiers ont soutenu l’activité en 2022

Malgré une croissance économique rapide atteignant 7,1% en moyenne au cours de la dernière décennie (2013-2022), le Tadjikistan reste le pays le plus pauvre d’Europe et d’Asie Centrale. Les bénéfices de la croissance enregistrée sur la période sont limités par une forte croissance démographique se traduisant par une hausse de la population de 23% entre 2013 et 2022 à 10 M d’habitants. Ainsi, alors que le PIB réel a crû de 84,6% entre 2013 et 2022, le PIB réel par habitant comptabilisé en monnaie nationale n’a augmenté que de 53% sur cette même période, et de seulement 2,3% en dollars courants. Le taux de pauvreté[1] a néanmoins été pratiquement divisé par deux entre 2015 et 2022, de 25,7% à 13,4%.

Figure 1. Croissance économique entre 2000 et 2024

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Source : FMI

En dépit des prévisions pessimistes des institutions financières internationales (IFI), le Tadjikistan a affiché une croissance de 8% en 2022. Pour mémoire, la croissance avait fléchi en 2020 à 4,4% du fait de la pandémie, mais avait repris de plus belle à 9,4% en 2021. Les IFI anticipaient une dégradation significative de l’activité en 2022 dans leurs prévisions d’avril 2022 (+2,5% pour le FMI, -1,8% pour la Banque mondiale) en se fondant sur une lourde récession en Russie et une chute des transferts de revenus vers le Tadjikistan, qui représentent près du tiers du revenu national annuel en moyenne. Ce scénario ne s’est pas réalisé, et la majorité des secteurs d’activité ont poursuivi leur croissance en 2022, à un rythme toutefois moins soutenu que celui de l’année précédente : la production industrielle a ainsi augmenté de 15,4% en g.a. (contre 22% en 2021), et a diminué de 2,3% dans l’industrie extractive ; la production agricole a crû de 8% (contre 8,8% en 2021), et la construction de 11,4% (contre 23,3% en 2021), ce ralentissement reflétant la fin des investissements en infrastructures liés à la célébration des 30 ans de l’indépendance tadjike. Gonflée par les flux financiers entrants, la croissance des services a fortement accéléré à 16% en g.a., contre 7,9% en 2021.

La hausse des transferts depuis l’étranger (en particulier depuis la Russie) explique en grande partie la résilience de la demande en 2021. Selon le FMI, ces flux ont augmenté de 43% à 3,9 Md USD en 2022, atteignant ainsi 37% du PIB contre 31% l’année précédente. Cette tendance résulte à la fois d’une hausse des migrations de travail depuis le Tadjikistan vers la Russie (+51,8% selon la Banque asiatique de développement) et de l’impact de l’appréciation du rouble russe par rapport au dollar américain sur la valeur nominale des revenus transférés. Ces envois de fonds ont contribué à une hausse de la consommation privée de 14,5% en g.a. en 2022 (dont une hausse de 11,2% pour les ventes de détail), sur fond de hausse des revenus réels disponibles des ménages de 15%. L’investissement a également progressé de 11,4%.

Figure 2. Envois de fonds et PIB (Md USD)

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Source : FMI

Les perspectives de croissance sont plus incertaines en 2023. L’effet des facteurs temporaires ayant contribué à la croissance de l’activité en 2022, dont un niveau inhabituellement élevé d’envois de fonds, devrait se tarir et peser sur la demande interne, tandis que la baisse de la demande mondiale pourrait se répercuter sur les exportations tadjikes de matières premières. La Banque mondiale et le FMI anticipent ainsi une croissance de 5% en 2023.

2. La croissance a permis une consolidation du cadre macrofinancier

La balance courante est largement ressortie en excédent à 6,2% du PIB grâce au surplus du compte de revenus. Ce dernier a compensé une balance commerciale (biens et services) fortement déficitaire à hauteur de 3,3 Md USD selon le FMI, en hausse de 57% en g.a (données de la balance des paiements). Selon les douanes tadjikes, les exportations de biens ont augmenté de 30% à 2,3 Md USD, tandis que les importations ont progressé de 23% à 5,2 Md USD. Les exportations de minerais ont progressé de 113% en g.a. à 731 M USD (31% des exportations totales), suivies des exportations d’or et de métaux précieux (+7,7% à 717 M USD, 31% du total) et d’aluminium (+20% à 173 M USD, 7% du total). Les exportations de coton ont reculé de 2,6% à 250 M USD (11% du total). Les réserves de change ont progressé de 2,5 Md USD fin 2021 à 3,8 Md USD fin 2022, couvrant près de 8 mois d’importations[2], grâce aux transferts financiers et aux IDE entrants du secteur extractif (4,1% du PIB).

Figure 3. Principaux postes d’exportation en valeur (M USD)

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Source : Douanes tadjikes

Le déficit budgétaire a doublé à 1,4% de PIB en 2022, conséquence de la hausse des dépenses sociales, des dépenses consacrées à la défense et des investissements destinés à la construction du barrage de Rogoun. Les dépenses ont ainsi progressé de 1,2 points en g.a. à 28,9% de PIB selon le FMI. Les revenus se sont pratiquement maintenus au niveau de 2021 (27,5% du PIB), malgré les allègements fiscaux prévus par le nouveau code des impôts. Le déficit a été principalement financé par des ressources externes. La dette publique totale du Tadjikistan est estimée à 34,6% de PIB en 2022, contre 42,5% en 2021. La dette externe directe et garantie s’élèverait à 30,6% de PIB, contre 37,5% en 2021, reflétant la hausse de PIB et l’appréciation du somoni. Le risque sur la dette est jugé élevé par le FMI, mais soutenable au regard du niveau des réserves de change et de la nature essentiellement concessionnelle de la dette externe.

Le somoni s’est apprécié de 10% par rapport au dollar américain en 2022, une évolution qui reflète en grande partie les mouvements de change du rouble russe. Le renforcement de la devise tadjike, combinée à la bonne tenue de la production agricole et au déblocage des réserves alimentaires par les autorités[3] a contribué à atténuer la hausse des prix alimentaires[4] et énergétiques et à contenir l’inflation. Ces facteurs se sont surajoutés à une politique monétaire déjà restrictive en début d’année 2022 avec un taux directeur à 13,25%, supérieur de 250 points de base à son niveau de début 2021. Il a été relevé de 25 pdb supplémentaires en août 2022, puis abaissé de 50 pdb en novembre. L’inflation annuelle, relativement élevée début 2022 (7,8%), a atteint un pic en juin et juillet (8,3%) avant de décroître à 4,2% en décembre 2022. En mars 2023, elle s’est établie à 3,6%, en deçà de la cible définie largement par la Banque nationale du Tadjikistan tadjik à 6% (+/-2%). Dans ce contexte, le taux directeur a été abaissé de 200 pdb en février 2023 à 11%. Au terme de l’année 2023, l’inflation pourrait connaître une augmentation à 6/7% sous l’effet d’une dépréciation du somoni corrélée à celle du rouble, d’une revalorisation des salaires et des retraites et d’une hausse des tarifs de l’électricité en novembre.

Figure 4. Politique monétaire et inflation

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Source : Banque nationale du Tadjikistan

L’assainissement du secteur financier s’est poursuivi en 2022, dans la foulée de la liquidation en 2021 des deux banques à l’origine de la dernière crise bancaire (Tadjiksodirotbank et Agroinvestbank). La part des crédits non performants dans le portefeuille de crédits total[5] a continué de diminuer et s’est établie à 12% fin 2022, en baisse de 1,4 p.p. en g.a. Elle avait déjà diminué de 10 p.p. en 2021. La capitalisation du secteur bancaire est satisfaisante, avec un ratio d’adéquation des fonds propres atteignant 25,3% fin 2022. La hausse des transferts de revenus et de la demande de services bancaires par des ressortissants russes a conduit à une augmentation des dépôts de 53% en g.a. fin 2022. L’activité de crédit a augmenté plus modestement de 13,4% en g.a. Les actifs du secteur bancaire ont augmenté de 34% en g.a. Les profits nets du secteur bancaire ont augmenté à 1 180 M TJS (116 M USD) en 2022, soit plus de 10 fois le résultat de l’année précédente (108,3 M TJS).


[1] Mesuré à 3,65 USD/jour, dollars de 2017 en parité de pouvoir d’achat.

[2] Source : FMI

[3] Dans le contexte des sanctions introduites contre la Russie et la Biélorussie, le gouvernement tadjik a créé des réserves alimentaires stratégiques pour certains produits (farine, sucre, l’huile) afin d’éviter des pénuries et la hausse des prix.

[4] 60% des produits du panier de l’indice des prix à la consommation sont importés.

[5] La BNT considère comme non performants les crédits ayant expiré depuis plus de 30 jours (contre 90 jours dans la plupart des pays).