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Zoom sur la situation économique et financière de la Biélorussie en 2022

Appartenant à la tranche supérieure des pays à revenu intermédiaire (PIB par habitant de 8 567 USD en 2022 selon le FMI), la Biélorussie connaissait un ralentissement de son activité avant 2020 du fait en particulier d’un modèle économique fragilisé par la « manœuvre fiscale » de la Russie. Le pays a connu un recul de l’activité limité malgré la pandémie en 2020, et un rebond en 2021 malgré les sanctions. En 2022, la Biélorussie a enregistré le plus fort recul du PIB parmi les pays de l’Union économique eurasiatique. Les perspectives de croissance du pays sont compromises en raison de son isolement international, de la persistance de profondes vulnérabilités macroéconomiques et de la dépendance de plus en plus forte vis-à-vis de la Russie.

1. L’activité économique a chuté en 2022 et devrait rester déprimée à moyen terme

Figure 1. Évolution du PIB (g.a., en %)

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Source : Comité des statistiques de la Biélorussie

L’économie de la Biélorussie est tendanciellement en ralentissement (Figure 1). Après une année 2020 marquée par une récession modérée malgré la pandémie (PIB en recul de 0,7%), et une légère reprise en 2021 (2,4%), les sanctions internationales et la récession du partenaire russe en 2022 ont provoqué en Biélorussie le plus fort recul du PIB parmi les pays de l’Union économique eurasiatique, avec une baisse de 4,7% en glissement annuel (g.a.). Ce recul s’est toutefois avéré inférieur aux prévisions de la Banque mondiale (-6,2%) et du FMI (-7%)[1]. Les principaux secteurs de l’économie ont vu leur activité diminuer : la production industrielle a baissé de 5,4% en g.a. (contre une hausse de 6,5% en 2021), dont un recul de 6,1% pour l’industrie manufacturière, premier secteur par son poids dans le PIB (24%) ; les ventes de gros et de détail (9,5% du PIB) ont baissé de 12,4% ; la construction (4,9% du PIB) a diminué de 11,4%, et les activités de transport et stockage (5% du PIB) de 16,8%. Seule l’agriculture (7,7% du PIB) s’est maintenue en territoire positif avec une hausse de la production de 4,4% en g.a.

La baisse de l’activité s’est répercutée sur la demande interne et l’investissement, déjà atones en 2021. Les ventes de détail ont diminué de 3,7% en g.a. en 2022 (contre une hausse de 1,9% en 2021), soit une baisse comparable à l’érosion du pouvoir d’achat des ménages, les revenus réels disponibles ayant diminué de 3,6% en g.a. en 2022 sur fond de baisse des salaires réels (-1,8% en 2022, contre une hausse de 5,1% en 2021). L’investissement en capital fixe a diminué de 19,1% en g.a., reflétant les perspectives très incertaines de l’économie, la baisse de production et les difficultés logistiques apparues après le 24 février 2022.

Début 2023, l’économie est toujours en récession : le PIB a diminué de 3,6% en g.a. en janvier-février 2023, alors que la baisse de la production industrielle s’est élevée à 1,8%, et celle des ventes de détail à 3,5%. Les perspectives économiques pour 2023 restent maussades dans les conditions actuelles. La Banque mondiale et le FMI prévoient respectivement un recul du PIB de 0,6%/0,7% en 2023 et une reprise de 1,4%/1,2% en 2024. L’économie devrait se contracter de 1% selon la BERD en 2023 et croître de 1,3% en 2024. 

2. La stabilité financière du pays demeure précaire    

Les problèmes logistiques, la hausse des anticipations d’inflation et la dépréciation du rouble biélorusse ont conduit à une forte hausse de l'inflation en 2022. Elle a atteint son pic en juillet (18,1% en g.a. pour un objectif de la Banque centrale défini à 5%) et a baissé depuis lors, tout en se maintenant à un niveau néanmoins élevé à 12,8% en g.a. en décembre 2022, contre 10% en décembre 2021. Toutefois, la Banque centrale n’a augmenté qu’une fois son taux directeur en 2022 : de 275 pdb à 12%. La bonne récolte, la faible demande interne et le nouveau système de régulation des prix[2] ont également contribué à la baisse de l’inflation. En outre, les anticipations d’inflation à 12 mois se sont améliorées, passant de 14% en septembre 2022 à 12,6% en décembre 2022. Prenant acte du ralentissement de l’inflation, la Banque centrale a baissé trois fois son taux directeur en 2023, de 150 points de base au total à 10,5%. L’inflation a poursuivi sa décrue et s’est établie à 11,7% en g.a en février 2023.

Figure 2. Taux de change du rouble biélorusse (BYR/USD)

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Source : Banque centrale de la Biélorussie

Le rouble biélorusse s’est fortement déprécié depuis 2020 et a connu une forte phase d’instabilité après le 24 février 2022 (Figure 2). En 2022, il s’est déprécié en moyenne de 2,7% par rapport au dollar américain. En 2023, cette tendance se prolonge et la monnaie locale a déjà perdu 8,8% de sa valeur au 1er trimestre 2023 en g.t.

Malgré les sanctions, la stabilité financière est pour le moment préservée, mais le secteur bancaire présente néanmoins des risques importants. Le portefeuille de crédits est significativement supérieur aux dépôts : le ratio crédits/dépôts de l’économie réelle a atteint 133% au 1er février 2023 et se situe actuellement très au-dessus de sa moyenne de moyen terme (123% entre 2017 et 2021), malgré un ralentissement sur la deuxième moitié de 2022 (128% en moyenne). La distribution de crédits est atone : au 1er février 2023, les crédits bancaires au secteur réel ont augmenté de 1% en g.a en termes nominaux. Les dépôts du secteur réel ont progressé de 9% en g.a. au 1er février 2023, grâce notamment à ceux des entreprises privées qui ont connu une hausse de 14% en g.a. Au 1er janvier 2023, les crédits non-performants représentaient 4,9% du portefeuille total, soit une baisse de 0,4 p.p. en g.a. Le ratio d’adéquation des fonds propres demeure satisfaisant et atteint 21% au 1er janvier 2023.       

En 2022, l’excédent courant s’est élevé à 2,7 Md USD (3,7% du PIB), contre 2,2 Md USD en 2021. Il est lié à l’excédent des biens et services qui s’est élevé à 4,3 Md USD (5,9% du PIB), soit en hausse de 9% en g.a. La baisse des exportations en g.a. (-5,4%) a été moins élevée que celle des importations (-6,7%). Les exportations ont également été soutenues par la dépréciation du rouble biélorusse par rapport au rouble russe (-9,3% en 2022). Le déficit de la balance des revenus s’est en revanche élevé à 1,7 Md USD, soit en hausse de 8,3% en g.a.  

Le niveau des réserves de change est préoccupant : au 1er mars elles s’élevaient à 7,8 Md USD (-6% en g.a.) et ne couvrent actuellement que 2,2 mois d’importations. La baisse des réserves est liée à des effets de valorisation, dont la baisse de prix mondiaux de l’or et la dépréciation des DTS (droits de tirage spéciaux) par rapport au dollar américain, ainsi qu’à leur utilisation probable pour financer le déficit et la dette publics. Les statistiques relatives aux finances publiques ne sont néanmoins plus publiées depuis juillet 2022. Au 1er janvier 2023, la dette externe totale de la Biélorussie s’est élevée à 39,7 Md USD, soit 43,2% du PIB, en baisse de 5,3% en g.a.

3. La dépendance à la Russie s’est beaucoup renforcée en 2022

Pour mémoire, la Biélorussie a trouvé en septembre 2021 un accord avec la Russie en matière d’approfondissement de l’intégration économique, commerciale et financière à horizon 2023. A l’issue d’un processus de négociations de 3 ans, les deux pays ont signé un programme commun portant sur 28 feuilles de routes, dont les plus concrètes concernent essentiellement les échanges financiers et commerciaux. Début 2023, les autorités biélorusses ont annoncé que près de 70% des actions prévues dans le cadre de ces programmes ont été mises en place. En outre, dans le contexte des sanctions, la Russie et la Biélorussie ont décidé de réaliser des projets de substitution aux importations. Dans ce cadre, en novembre 2022, les deux pays ont signé un accord selon lequel la Russie prêtera à la Biélorussie 105 Md RUB (près de 1,7 Md USD). Puis, en février 2023, les deux pays ont paraphé un accord sur la politique industrielle commune. La mise en œuvre de ces accords renforce l’emprise financière et commerciale, déjà très forte, de la Russie sur la Biélorussie.

Dans le contexte actuel, la dépendance économique à la Russie s’accroît. La Russie renforce d’autant plus sa position commerciale déjà dominante – elle absorbait 41% des exportations et fournissait 57% des importations biélorusses en 2021 – que les liens avec les autres partenaires (UE, Ukraine) se sont considérablement distendus. La Russie devient également quasiment la seule source de financement externe de la Biélorussie[3].



[1] Prévisions datant de janvier 2023 et octobre 2022 respectivement.

[2] Le 6 octobre 2022, le président A. Loukachenko a interdit d’augmenter les prix. Ensuite, le 19 octobre, un système de régulation des prix a été introduit. Selon ce système, les prix de tous les produits du panier de la ménagère (plus de 90% des produits achetés par les Biélorusses) ne peuvent être augmentés sans une autorisation des autorités locales. Ces mesures ont pu engendrer des difficultés temporaires d’approvisionnement, qui semblent cependant avoir été désormais circonscrites.

[3] Le 7 avril dernier, le ministère des Finances biélorusse a annoncé l’émission de 10 Md RUB (122 M USD) d’obligations sur le marché russe.