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Zoom sur la situation économique et financière de la Russie

La Russie a traversé une année 2022 atypique au plan macroéconomique, caractérisée par une baisse de son activité économique et de son intégration au système économique et financier mondial. Alors que la réorganisation des chaînes logistiques dans un contexte d’abondance des ressources financières avait été l’enjeu central de l’année passée, la Russie est exposée à des risques macroéconomiques plus classiques en 2023, liés à la question du financement du déficit budgétaire, à la dépréciation du rouble et à la reprise de l’inflation. Si les autorités russes disposent de solutions pour faire face à leur besoin de financement en 2023, leur mise en œuvre pourrait faire courir des risques croissants de monétisation du déficit.

1)  Le ralentissement de l’activité a été limité par la demande extérieure d’hydrocarbures

a) La baisse de la consommation privée explique l’essentiel du recul de l’activité

Le PIB de la Russie a diminué de 2,1% en g.a. en première estimation en 2022. La récession de l’économie russe en 2022 est en majeure partie due à la forte contraction du commerce (-12,7% en g.a.). La production manufacturière a diminué de 2,4%, tandis que les activités extractives ont enregistré une croissance de 0,4% en g.a. Les principaux secteurs ayant contribué à la croissance sont l’agriculture, qui a crû de 6,6%, et la construction, en hausse de 5%. Parmi les autres secteurs d’activité, les « activités régaliennes, défense nationale et politique sociale » ont contribué positivement à la croissance à +0,3 point de PIB.

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Les prévisions d’activité pour 2023, caractérisées par une forte dispersion, anticipent majoritairement un recul limité de l’activité par rapport à l’année précédente. La prévision médiane des analystes sondés par la Banque de Russie (BdR) en février est de -1,1%, avec un éventail de prévisions allant de -5% à +0,8%. La Banque de Russie prévoit pour sa part une croissance comprise entre -1 et 1%, et le FMI de +0,3%. Cette situation de stagnation ou quasi-stagnation devrait se retrouver dans l’industrie. Les principaux déterminants de la croissance seront la consommation intérieure, la capacité des autorités à préserver la stabilité macroéconomique et financière fragilisée par le creusement du déficit public, et le développement de solutions logistiques et financières pérennes en matière de commerce extérieur.  L’économie russe a connu une récession plus modérée en janvier 2023 estimée à -3,2% en g.a., contre -3,9% au 4e trimestre 2022, marquée par une relative amélioration des ventes de détail (-6,6%, contre -9,5% au 4e trimestre). Il apparaît néanmoins que cette dynamique résulte de la très forte hausse de la dépense publique sur les deux premiers mois de l’année bénéficiant à l’industrie militaire. 

Le pouvoir d’achat des ménages a légèrement décliné en 2022 mais affiche des signes de reprise depuis le 4ème trimestre. La baisse des revenus réels disponibles des ménages a été limitée à 1% en g.a. en 2022 avec une légère reprise au 4ème trimestre (+0,9%). Ce recul limité tiendrait, d’une part, aux mesures de soutien budgétaires déployées après le début de la crise pour lisser son impact sur les revenus des ménages (revalorisation des minimas sociaux, versements ponctuels aux familles défavorisées) et, d’autre part, à la dynamique du marché du travail favorable aux demandeurs d’emploi. Dans une approche à plus long terme, cette baisse limitée s’explique aussi par un niveau de vie des ménages déjà faible avant le 24 février 2022, inférieur de 6,5 % en 2022 à celui de 2013.

Le taux de chômage au sens du BIT a atteint le niveau record de 3,6% en janvier 2023. Si ce chiffre a pu résulter dans un premier temps de mesures de préservation de l’emploi, dont la réduction du temps de travail des employés, il traduit désormais le déficit structurel de main d’œuvre induit par le vieillissement démographique et accentué par la mobilisation partielle et les départs à l’étranger. Cette dynamique conduit à une inflation salariale observable depuis le début du 4ème trimestre :  les salaires nominaux ont progressé de 12,6% en g.a. en 2022, et les salaires réels sont également repassés en territoire positif au 4e trimestre, limitant leur baisse à 1% sur l’ensemble de l’année.

b) L’excédent courant record a permis le maintien de la stabilité macroéconomique et la reconstitution de réserves en 2022

Le compte courant de la Russie a enregistré un excédent record de 233 Md USD en 2022. Cela représente près de quatre fois l’excédent courant annuel moyen dégagé par la Russie entre 2012 et 2019 (58,5 Md USD). Ce résultat traduit l’ampleur de l’excédent commercial, à 282,3 Md USD (+66% en g.a.), lié à la fois à la hausse des exportations en valeur, mais aussi à la contraction des importations de biens : elles ont diminué de 11,7% en g.a. en 2022 à 259,1 Md USD, tandis que les exportations ont augmenté de 19,9% à 591,5 Md USD. Selon la Banque de Russie, l’excédent courant devrait fortement diminuer en 2023 à 66 Md USD du fait d’une diminution de 19,3% des exportations totales en valeur à 508 Md USD, tandis que les importations progresseraient de 11% à 384 Md USD. Les sorties nettes totales de capitaux ont atteint 223 Md USD en 2022, dont 116,1 Md USD au titre de la cession d’actifs par les non-résidents, soit un record absolu malgré les mesures restrictives adoptées dans la foulée du 24 février.

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La rentabilité du secteur bancaire a fortement diminué en 2022. Les importantes pertes essuyées par les banques au premier semestre (1500 Md RUB ou 19,6 Md USD) se sont répercutées sur le bénéfice net annuel du secteur bancaire, qui a été divisé par plus de dix en g.a. à 203 Md RUB (3 Md USD) contre 2400 Md RUB en 2021. Selon la Banque de Russie, la situation devrait s’améliorer en 2023 avec un bénéfice net anticipé à 1200-1500 Md RUB (16-20 Md USD). L’assouplissement temporaire du cadre macroprudentiel a permis de préserver les principaux indicateurs de stabilité financière. La qualité du portefeuille de crédits a été maintenue, avec un taux de crédits non performants en baisse de 0,6 p.p. en g.a. à 7% fin 2022. Le ratio d’adéquation des fonds propres s’est établi à 12,8% fin 2022, en hausse de 0,5 p.p. en g.a., au-dessus du seuil minimal défini à 8%. Les actifs totaux du secteur bancaire ont progressé de 14,8% en g.a. à 134 818 Md RUB fin 2022 (1972 Md USD), soit 90% du PIB.

Les activités de crédit et de dépôt ont été soutenues par l’État russe. Le portefeuille de crédits aux ménages s’est établi à 27 438 Md RUB fin 2022 (401 Md USD), en hausse de 9,5% en g.a., soit un net ralentissement de la croissance par rapport à 2021 (+23,2%). Les crédits hypothécaires, largement subventionnés par l’État, ont progressé de 17% au total sur l’année à 14 064 Md RUB (206 Md USD), compensant la croissance limitée à 2,7% du crédit à la consommation à 11 978 Md RUB (175 Md USD). Le portefeuille de crédits aux entreprises a augmenté de 14,3% en 2022 à 59 096 Md RUB (864 Md USD) grâce notamment au soutien apporté par l’État aux grandes entreprises via des crédits subventionnés, dont le montant a dépassé 1500 Md RUB (21 Md USD). Alimentés par la hausse de la dépense publique en décembre, les dépôts des entreprises ont atteint 44 980 Md RUB (639 Md USD) fin 2022, en hausse de 20,6% en g.a., contre 17,9% en 2021, tandis que ceux des ménages ont augmenté de 6,9% en g.a. à 36 619 Md RUB (521 Md USD).

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2) Les dépenses de défense font peser des contraintes grandissantes sur l’économie

a) L’effort militaire conduit à un déséquilibre budgétaire croissant

Le déficit public russe s’est avéré plus important qu’attendu à 2,3% du PIB en 2022 (3306 Md RUB ou 48 Md USD), malgré une mise à contribution exceptionnelle du secteur gazier. Il s’explique principalement par un surcroît de dépenses publiques, qui ont atteint au total 31 131 Md RUB ou 455 Md USD (+25,7% en g.a.), dont près de 23% ont été exécutées au cours du seul mois de décembre (7094 Md RUB ou 101 Md USD, +47,1% en g.a.). Les recettes ont enregistré une progression plus lente à 27 825 Md RUB ou 407 Md USD (+10% en g.a.), provenant à 42% des recettes pétrogazières (11 586 Md RUB ou 170 Md USD) et à 58% des autres recettes (16 239 Md RUB ou 238 Md USD). L’essentiel du surplus de recettes budgétaires s’explique par l’augmentation de 27,9% des revenus pétrogaziers en g.a., alors que les autres revenus ont stagné (+0,1%).

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Le financement du déficit a été assuré conjointement par les actifs liquides du Fonds souverain et l’émission d’obligations fédérales (OFZ) sur le marché intérieur. En janvier, le ministère des Finances a annoncé avoir puisé à hauteur de 2412 Md RUB ou 34 Md USD dans les réserves liquides du FBEN au titre du financement du déficit fédéral (voir annexe 1, graphique 4), contribuant à une réduction des avoirs totaux du Fonds souverain à 7,4% du PIB au 1er mars 2023 (11 106 Md RUB), soit une baisse de 2,3 points de PIB et de 14,1% en g.a. Les émissions d’OFZ ont totalisé 3281 Md RUB ou 48 Md USD (2,2% du PIB) en 2022. Au total, la dette publique interne russe a augmenté de 13,9% en g.a. fin 2022 pour s’établir à 18 780 Md RUB ou 237 Md USD, mais reste stable et très contenue en proportion à 12,9% du PIB fin 2022 (contre 12,6% fin 2021).

Le solde public est ressorti en très fort déficit à 2581 Md RUB (36,4 Md USD) sur les deux premiers mois de l’année 2023, soit 88% du déficit prévu sur l’année et 1,7% du PIB. L’ampleur du déficit est due en premier lieu à un niveau inhabituellement élevé des dépenses, qui ont connu une augmentation de 51,5% en g.a. à 5744 Md RUB (81 Md USD), soit environ 20% des dépenses annuelles prévues dans la loi budgétaire pour l’année 2023. La diminution des recettes, de 24,8% à 3163 Md RUB (44,6 Md USD), est également notable et principalement imputable à la baisse des revenus pétrogaziers (-46,4% en g.a. à 947 Md RUB ou 13,3 Md USD).

L’accélération de la dépense publique vise très clairement à financer la montée en puissance du complexe militaro-industriel, avec un doublement des fonds consacrés à la commande publique par rapport à l’année passée. L’objectif de dépenses publiques défini à environ 29 000 Md RUB (413 Md USD) en 2023 apparaît difficilement tenable, ce que reflètent les dernières prévisions budgétaires des analystes : le consensus porte actuellement sur un déficit avoisinant 3% du PIB en 2023 (contre 2% selon la loi budgétaire).

Les autorités russes multiplient depuis quelques mois les initiatives pour renflouer les caisses de l’État. Après avoir lourdement taxé les profits du secteur des hydrocarbures en 2022, le ministère des Finances a annoncé la mise en place d’une contribution « volontaire » au budget, et augmenté l’imposition du secteur extractif afin de limiter l’impact sur les finances publiques des difficultés liées à l’indétermination actuelle du prix du baril.

b) La transformation de l’économie russe s’accompagne d’une hausse des risques inflationnistes

L’inflation s’est établie à 14,5% en moyenne annuelle en 2022, bien au-dessus de la cible d’inflation définie à 4%. Pour mémoire, le choc d’inflation observé entre février et avril 2022 (17,8% en avril en g.a.) avait été initialement endigué par une très forte remontée du taux directeur de 9,5% à 20% fin février et des mesures drastiques de contrôle des flux de capitaux. Par la suite, l’appréciation du rouble induite par l’excédent commercial record a exercé une pression désinflationniste durable permettant à la Banque centrale d’assouplir sa politique monétaire sans risque de reprise de la hausse des prix, avec cinq baisses de taux directeur pour un total de 1250 points de base (7,5%). Ces évolutions ont ramené le taux d’inflation annuelle à 11,9% en décembre 2022, tandis que les anticipations d’inflation des ménages se sont maintenues à un niveau élevé à 11,6% en décembre, en baisse de 0,5 p.p. en g.m.

Les risques de reprise inflationniste sont plus élevés en 2023. Le premier facteur susceptible de stimuler durablement la hausse des prix est la reprise de la demande des ménages, soutenue par la hausse des salaires réels observée depuis la fin de l’année 2022, qui, selon la Banque de Russie, pourrait devenir inflationniste en progressant plus rapidement que la productivité. Deuxièmement, la poursuite d’une politique budgétaire expansive conduit à un gonflement de la masse monétaire et à une hausse de l’inflation : une hausse du déficit budgétaire de 1% du PIB sur un trimestre conduirait à une élévation de l’inflation de 1 à 1,2 p.p. Ainsi, au 1er mars 2023, la masse monétaire M2 était en hausse de 26% en g.a., contre une augmentation mensuelle moyenne de 14,6% en g.a. au cours des deux dernières années. Enfin, la dépréciation du rouble observée depuis le mois de décembre (-18,7% par rapport au 1er mars) pourrait également contribuer à une reprise de l’inflation.  En janvier 2023, l’inflation en mesure annualisée et corrigée des variations saisonnières s’est établie à 4,8% (contre 3,6% en décembre), soit plus que la cible d’inflation définie à 4% et le plus haut niveau relevé depuis avril 2022. L’inflation mesurée en glissement annuel a néanmoins ralenti à 11,8% en janvier, et 11% en février du fait de l’effet de base, parallèlement aux anticipations d’inflation des ménages à 12 mois, en baisse à 10,7% en mars.

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Dans ce contexte, la politique monétaire de la Banque centrale est soumise à des contraintes croissantes. Cette évolution transparaît dans le sondage macroéconomique publié en janvier, qui a vu les analystes relever de 0,5 p.p. à 6% le taux directeur dit « neutre », qui indique une hausse du niveau d’incertitude économique et une marge de manœuvre plus réduite de la BdR pour des baisses de taux ultérieures. Lors de ses deux dernières décisions de politique monétaire, la Banque de Russie a maintenu son taux directeur à 7,5%, mais a affermi son message quant à de potentielles hausses de taux futurs. Sa prévision d’inflation pour 2023 a été maintenue à 5-7%, mais celle de taux directeur a été relevée de 0,5 p.p. à 7-9%.

Sources des graphiques : Service fédéral de statistiques de Russie (Rosstat), Banque de Russie, ministère russe des Finances, ministère russe du Développement économique, calcul des auteurs.