Budget 2023 de Singapour : légère baisse des dépenses et retour confirmé à l’équilibre budgétaire
Le Vice-Premier ministre et ministre des Finances, Lawrence Wong, a présenté le budget de Singapour pour l’exercice 2023 au Parlement, le 14 février dernier. Après trois années consécutives de dépenses d’urgence liées à la crise sanitaire, les principaux objectifs du nouveau projet de loi de Finances sont désormais : i) à court terme, d’accroitre les mesures de soutien aux ménages (familles vulnérables particulièrement), dans un contexte de hausse du coût de la vie; ii) de renforcer les capacités de la main-d'œuvre et des entreprises afin de soutenir la reprise économique en anticipation d’un ralentissement mondial ; et iii) de répondre aux défis à venir – la lutte contre les inégalités, le vieillissement de la population – en renforçant le pacte social. Le budget est présenté en léger déficit (-0,1% du PIB, après -0,3% en 2022). Sur le volet de la politique de l’emploi, les dispositions introduites visent à soutenir l’emploi et la montée en compétence des Singapouriens. Sur le plan macroéconomique, le gouvernement anticipe une croissance comprise entre 0,5 à 2,5% en 2023 et des recettes supplémentaires liées aux nouvelles règles fiscales et au relèvement de la taxe à la consommation, tout en conservant des mesures incitatives pour maintenir l’attractivité de la cité-Etat.
I. Un budget proche de l’équilibre, comme en 2022
Le gouvernement a présenté un projet de loi des Finances pour 2023 légèrement moins expansionniste que celui de 2022. Il prévoit une baisse modérée des dépenses publiques, de -2,6% par rapport au budget révisé de 2022, à 104,1 Mds SGD (77,0 Mds USD), soit 15,3% du PIB. Cette baisse des dépenses est principalement illustrée dans les secteurs du commerce et de l’industrie (-22,2%), du transport (-8,7%), du développement national (-4,1%) et de la santé (-1,9%). Elle est également due au niveau des dépenses en 2022 plus important qu’anticipé, à 106,4 Mds SGD, contre 102,4 Mds SGD prévus initialement.
La défense (17% du total) devient le 1er poste de dépenses du budget singapourien, devant la santé (16%) et l’éducation (14%). Les problématiques de long terme - vieillissement de la population (+9% de plus de 65 ans sur les 10 dernières années) - ont poussé le gouvernement à accroitre les dépenses de santé sur la décennie, les multipliant par 11 entre 2002 et 2022. Cependant, en 2023, les dépenses de santé devraient diminuer modérément pour la deuxième année consécutive (-3,7%), après une hausse marquée pendant la crise sanitaire (+53% entre 2019 et 2021).
Le rythme d’accélération des recettes estimé en 2023 devrait être moins soutenu qu’en 2022 : +7,1%, à 96,7 Mds SGD (71,6 Mds USD, soit 14,2% du PIB), contre +9,4% l’année précédente. Elles comprennent 88,3 Mds SGD de recettes fiscales (+7,7%), l’impôt sur les sociétés représentant la plus grande part des recettes (+6,7%, 24% du total), suivi de la taxe sur les biens et services (+20,2%, 17% du total), et de l’impôt sur le revenu (+9,5%, 17%). En tenant compte des transferts spéciaux (-19,6 Mds SGD), du financement de la formation doctorale dispensée par le « Singapore International Graduate Award » (SINGA) (-0,3 Md SGD) des investissements dans certaines infrastructures nationales (+3,5 Mds), et, surtout, des « Net Investment Return Contributions » (NIRC), i.e. des revenus issus des réserves gérées par les fonds souverains et la MAS auxquels l’État singapourien recourt depuis 2009 pour équilibrer le budget (+23,5 Mds), les recettes de l’État s’élèvent en net à 103,7 Mds SGD (77,5 Mds USD, 15,2% du PIB).
Le projet de budget prévoit ainsi un déficit public d’environ 0,4 Md SGD (0,3 Md USD), soit 0,1% du PIB. En excluant les opérations spéciales, notamment les NIRC, le déficit public s’élèverait à 10,2 Mds SGD (7,7 Mds USD), soit 1,5% du PIB. Bien qu’élevée, la dette publique brute (~185% du PIB au T3 2022) de Singapour n’est pas considérée comme un facteur de risque du fait de sa nature purement « domestique » ainsi que du montant nettement supérieur des actifs détenus par l’État : réserves de change et actifs des fonds souverains totaliseraient plus de 1 000 Mds USD.
Alors qu’en 2022, le gouvernement avait puisé 3,1 Mds SGD (2,3 Mds USD) sur ses réserves d’actifs hors NIRC (« past reserves », 40 Mds SGD depuis le début de la pandémie), afin de financer les dépenses de crise (tests Covid, vaccination, traçage, quarantaines etc.), il ne prévoit pas d’y recourir pour l’exercice 2023, estimant la situation sanitaire de Singapour suffisamment stable vis-à-vis du COVID-19, traduisant ainsi une volonté de renforcer la discipline budgétaire.
II. Déploiement de nouvelles aides aux ménages face à l’inflation et la hausse de la TVA (GST)
La présentation du budget intervient dans un contexte économique mondial sensible, caractérisé par une croissance estimée pour 2023 entre 0,5% et 2,5%, soit une progression à un rythme plus lent qu’en 2022 (+3,6%), la demande extérieure portant l’essentiel de la croissance économique, notamment dans l’industrie, étant attendue en ralentissement.
Dans un contexte d’inflation accrue (6,1% en 2022 en moyenne annuelle, et comprise entre 5,5 et 6,5% pour 2023 d’après les estimations de la banque centrale) et de hausse de la taxe sur les produits et services (GST) – reportée pendant la crise sanitaire, le gouvernement prévoit d’augmenter les subventions aux citoyens de 3 Mds SGD au cours de l'année fiscale débutant en avril, afin d'aider à compenser les pressions à court terme sur le coût de la vie. Pour rappel, un relèvement de la taxe à la consommation (GST) était prévu dans le budget 2022, en deux fois, d’abord en janvier 2023 (de 7% à 8%) puis en janvier 2024 (de 8% à 9%).
L’enveloppe dédiée au soutien des citoyens et des ménages (« GSTV scheme » et « Assurance Package ») atteindra 9,6 Mds SGD (7,2 Mds USD), et comprend, entre autres, des bons d’achat pour les commerces de quartier, des réductions de charges, des aides financières pour les soins médicaux, l’éducation, ou encore des prestations familiales.
III. Accentuation des mesures de soutien aux entreprises et aux employés pour soutenir la reprise dans un contexte de ralentissement économique mondial
Côté entreprises, en sus de prolonger les facilitations d’accès au crédit jusqu’à mars 2024 (le risque financier est principalement porté par l’État qui garantit 70% l’encours de crédit dans le cadre de ce programme) et les aides pour financer l’efficacité énergétiques, le gouvernement prévoit d’autres mesures visant à atteindre trois principaux objectifs :
- Soutenir les entreprises locales : +1 Md SGD (0,7 Md USD) pour le « Singapore Global Enterprises » qui fournit aux entreprises ciblées un soutien personnalisé ; +150 M SGD (111,8 M USD) pour le fonds de co-investissement pour soutenir les PME prometteuses.
- Améliorer la productivité et renforcer les compétences des employés : Le Fonds national de productivité (« National Productivity Fund ») sera, pour ce faire, complété de 4 Mds SGD (3 Mds USD), ce qui devrait stimuler la création d'emplois mieux rémunérés pour les Singapouriens, et renforcer, à terme, l’attractivité de la cité-Etat pour les investisseurs.
- Accélérer l’innovation dans les secteurs clés, en introduisant un régime d'innovation pour les entreprises (« Enterprise Innovation Scheme ») leur permettant de bénéficier de déductions fiscales ou d’allocations.
Le projet de budget inclut des dispositifs visant à renforcer le soutien à l’emploi, ce qui devrait permettre de répondre, en partie, à la pénurie de main d’œuvre qui sévit dans certains secteurs. Une enveloppe de 2,4 Mds SGD (1,8 Md USD) soutiendra ainsi le financement de l’épargne salariale des salariés à « bas salaires », et les crédits d’impôt pour l’emploi de personnes âgées ou en situation de handicap seront prolongés. De nouvelles offres d’emploi seront créées, notamment pour dispenser des formations industrielles dans le cadre de la montée en compétences des Singapouriens.
Le gouvernement déclare souhaiter accélérer la transition énergétique pour atteindre ses objectifs de réduction d’émissions carbone (dans la lignée des engagements figurant dans le « Green Plan 2030 » de 2021), sans toutefois mentionner de nouvel investissement notable dans le secteur pour l’exercice 2023. Pour rappel, le budget 2022 prévoyait une hausse de la taxe carbone, de 5 SGD/tonne à 25 SGD/tonne en 2024-25 puis 45 SGD en 2026-27 et 50-80 SGD en 2030, et avait un objectif d’émissions de 35 Mds SGD (26 Mds USD) d’obligations vertes d’ici 2030. En août 2022, une première obligation souveraine verte de 2,4 Mds SGD (1,8 Md USD) sur 50 ans a été émise, à un taux de 3,04%.
IV. Un renforcement du pacte social pour faire face aux défis de long terme
Singapour fait face à un vieillissement croissant de sa population : d'ici 2030, un Singapourien sur quatre sera âgé de 65 ans et plus, contre un sur six aujourd'hui. S’ils vivent plus vieux, beaucoup vivent aussi plus longtemps en mauvaise santé, ce qui, conjugué à la réduction de la taille des ménages, devrait se traduire par une augmentation de la charge des soins pour les familles.
Afin de stimuler la natalité, la cité-Etat prévoit d’augmenter certaines allocations existantes destinées aux familles singapouriennes qui accueillent un nouveau-né : une allocation spéciale de 3 000 SGD (2 235 USD) par enfant sera versée aux familles (« Baby Support Grant »), et le gouvernement accroitra, entre autres, ses contributions au compte de développement de l'enfant (« Child Development Account », CDA). Le congé de paternité indemnisé par le gouvernement passera de deux à quatre semaines, pour les pères actifs, et des fonds supplémentaires seront alloués à l’aide à l’accession à la propriété des familles : une aide pouvant atteindre 30 000 SGD, (22 451 USD) est prévue pour les familles primo-accédantes via leur compte CPF (« CPF Housing Grant ») à partir du mois d’avril.
Les inégalités sociales sont particulièrement marquées au sein de la cité-Etat : l’indice de Gini aurait atteint 78,8 en 2022[1] . Le projet de budget inclut ainsi 300 M SGD (223,5 M USD) supplémentaires au bénéfice des familles à faible revenu, qui seront versés via le ComCare Endowment Fund. Sur la décennie, le budget alloué à la petite enfance aurait été multiplié par six, passant de 320 M SGD en 2013 à environ 1,9 Md SGD (1,4 Md USD) pour l'exercice 2022.
Pour soutenir les dépenses liées à la santé, en particulier chez les seniors, le projet de budget prévoit de compléter le fonds ElderCare, destiné au versement de subventions de soins pour les personnes âgées, de 500 M SGD (372,5 M USD) et le fonds de dotation MediFund de 1,5 Md SGD (1,1 Md USD), pour les citoyens qui ne parviendraient pas à régler leurs factures médicales, même après avoir bénéficié des subventions du gouvernement. Les versements mensuels minimaux du CPF pour les personnes âgées bénéficiant du régime de retraite (« Retirement Sum Scheme ») sera porté à 350 SGD par mois, et les contributions au CPF seront augmentées à partir de 2024.
V. Une poursuite de la refonte de la fiscalité dans le but affiché de réduire les inégalités
Plusieurs ajustements notables de la fiscalité ont été annoncés en vue de compenser la hausse des dépenses de santé dans les années à venir ainsi que limiter la montée des inégalités. Pour mémoire, le Global Wealth Report 2022 du Crédit Suisse rapportait que la part de richesse des 1% les plus riches à Singapour était de 35% en 2021, contre 20% en moyenne dans l’OCDE.
- Une taxe nationale complémentaire (« Domestic Top-up Tax ») à l’impôt sur les sociétés sera mise en place à partir de 2025, et portera le taux d’imposition effectif des multinationales de Singapour à 15%, conformément au 2ème volet de la réforme de la fiscalité internationale de l’OCDE (BEPS 2.0, « Tax Base Erosion and Profit Shifting »), qui entrera, elle, en vigueur en 2024. La mise en œuvre de cette mesure est susceptible d’être reconduite, selon l’évolution des discussions internationales autour de cet accord. Pour rappel, bien que la cité-Etat impose actuellement un taux facial de 17% aux multinationales, de nombreuses entreprises bénéficient d'exonérations et sont en réalité imposées à des taux effectifs nettement inférieurs.
- Une hausse des taux du droit de timbre de l’acheteur (« Buyer's Stamp Duty ») avec effet immédiat pour les biens à forte valeur, qu’ils soient résidentiels - la partie de la valeur de la propriété supérieure à 1,5 M SGD (1,1 M USD) et inférieure ou égale à 3 M SGD (2,2 M USD) sera taxée à 5% - ou non résidentiels - la partie de la valeur de la propriété supérieure à 1 M SGS et inférieure ou égale à 1,5 M SGD sera taxée à 4%. Cette mesure devrait générer 500 M SGD de recettes supplémentaires par an, estimation soumise à l’évolution de l'état du marché immobilier, et contribuer à favoriser l’équité sociale.
- Un relèvement de 15% des droits d'accise sur les produits à base de tabac, qui devrait générer environ 100 M SGD (74,5 M USD) de recettes supplémentaires par an.
- Une hausse de la taxe additionnelle d'immatriculation (ARF) pour les véhicules haut de gamme et de luxe, en particulier les taux ARF pour les véhicules appartenant à la tranche la plus élevée de la valeur de marché, qui seront révisés à 320% contre 220% en 2022. Les recettes supplémentaires générées devraient être de l’ordre de 200 M SGD (149,1 M USD) par an, estimation soumise à l’évolution de l'état du marché automobile.
Le gouvernement a évoqué une volonté de travailler sur le développement de programmes de soutien industriel afin de préserver la compétitivité de Singapour et de conserver/attirer les investisseurs, face aux effets de la hausse de l’imposition des firmes multinationales à 15% à l’horizon 2025. Parallèlement à sa volonté de renforcer le système fiscal, Singapour déploiera (ou poursuivra) des mesures incitatives (« Pioneer Certificate Incentive », « Development and Expansion Incentive » …).
[1] D’après le Global Wealth Report 2022 du Crédit Suisse ; même si le département des statistiques de Singapour (Singtats) déclare un indice moins élevé, à 37,8, après prise en compte des transferts sociaux et des impôts, ce qui reste supérieur à la moyenne de 32 de l’OCDE.
Annexes disponibles en téléchargement au format PDF