Malgré les craintes que l’on pouvait nourrir quant à son orientation électoraliste à 18 mois des élections générales de mai 2024, le budget de l’Union est marqué par la volonté du Gouvernement de poursuivre la consolidation budgétaire entamée depuis le précédent budget, tout en finançant un programme d’investissement public d’ampleur exceptionnelle au regard des dix derniers exercices. Ce dernier est financé en partie par une diminution des dépenses de fonctionnement et par un redéploiement des subventions. Le financement du déficit pourrait néanmoins induire des tensions sur les taux à long terme et un effet d’éviction sur l’investissement privé, compte tenu des émissions de bons du Trésor requises pour traiter les besoins de financement de l’Etat.

Une faible marge de manœuvre budgétaire

La marge de manœuvre en matière de finances publiques apparaît très faible au regard des évolutions budgétaires et de dette publique au cours des trois derniers exercices. Le déficit des administrations publiques s’établit à 10% depuis l’exercice 2020/2021, la dette publique consolidée[1] dépassant le niveau de 85% du PIB. En 2022/2023, le déficit de l‘Etat fédéral devrait s’établir à 6,4% du PIB, celui des Etats fédérés s’inscrivant à 3,4% du PIB.  S’agissant de la structure des dépenses et des recettes de l’Etat fédéral, cette faible marge de manœuvre transparaît au travers des dépenses contraintes : la charge d’intérêts est de l’ordre de 3,6% du PIB, ce qui s’explique par le niveau élevé de la dette publique et la dérive des taux (cf. infra). En tout état de cause, elle obère la marge de manœuvre de l’État, en ponctionnant 40% des recettes totales de son budget. Par ailleurs, l’ajustement budgétaire mené au cours de la période récente a porté essentiellement sur les dépenses en capital, qui ont servi de variable d’ajustement, tandis que les dépenses courantes, de l’ordre de 12% du PIB, paraissent difficiles à réduire. Enfin, les recettes fiscales brutes, de l’ordre de 11% du PIB depuis 2021/2022, n’ont guère progressé en 2022/2023, malgré la hausse de 22% des recettes tirées de la taxe sur les biens et services (GST), induite par la dérive des prix pendant l’exercice.

Comment concilier l’orthodoxie et la nécessaire dépense en capital ?

Les hypothèses de croissance nominale sont conservatrices, et prennent la mesure du ralentissement du cycle économique observé depuis juillet 2022. Elles s’établissent à 10,5 % sur 2023/2024, et sont ventilées entre un taux de croissance de 6,5% et un taux d’inflation (déflateur de PIB) de 4%. Réalistes, ces hypothèses apparaissent nettement en retrait par rapport à l’exercice 2022/2023, au cours duquel avait été enregistrée une croissance nominale effective de 15,5%, très favorable aux recettes fiscales, en partie sous l’effet de l’inflation. La dépense d’investissement en infrastructure est portée à un niveau inégalé depuis dix ans, de 2,7% du PIB en 2022/2023 à 3,3% du PIB en 2023/2024 (10000 Mds INR). Deux secteurs devraient en bénéficier principalement : les chemins de fer (1% du PIB, en hausse de 75% par rapport à l’exercice précédent), et les routes et autoroutes (1% également, en hausse de 37% par rapport à l’exercice précédent). La hausse du programme d’investissement est financée par la réduction des dépenses courantes, ramenées de 13,5% en 2021/2022 à 11,6% du PIB en 2023/2024 et la réallocation des recettes supplémentaires induites par la diminution des subventions (engrais, programme alimentaire), de l’ordre de 0,8% du PIB sur l’exercice.

Les orientations retenues suscitent certaines réserves

Si les hypothèses de croissance paraissent réalistes, la réussite du plan de relance par les infrastructures est subordonnée à une étroite coordination entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés, qui dans la pratique assureront une part prépondérante des investissements. Les Etats fédérés ont été dotés d’une enveloppe de financement de l’Etat central de 1000 Mds INR (0,4% du PIB) dans le budget 2022/23, à taux nul et remboursable sur 50 ans, ramenée à 750 Mds INR (0,3% du PIB) en exécution.

Le bilan de ce programme d’investissement en infrastructures demeure mitigé. Fin décembre 2022, les montants budgétés n’avaient été mobilisés par les États qu’à hauteur de 60%, la contrainte d’endettement de ces derniers et les difficultés de mise en œuvre expliquant cette mobilisation limitée. Fin octobre 2022, les dépenses d’investissement des Etats fédérés n’avaient ainsi crû que de 0,9% sur la période, alors que leurs dépenses de fonctionnement augmentaient de 14%. Il est donc à craindre que l’allocation prévue dans le budget 2023-24, de l’ordre de 0,5% du PIB (1300 Mds INR) ne rencontre les mêmes difficultés.

En outre, la disponibilité des ressources sera tributaire de la stabilité des cours du pétrole et des matières premières agricoles, dont la dérive pourrait contraindre le gouvernement à rétablir les subventions aux engrais et la distribution gratuite des produits alimentaires, dont 800 millions d’Indiens ont bénéficié depuis près de trois ans.     

Enfin, le relèvement du seuil d’exemption à l’IRPP, de 500000 INR (6250 USD) à 700000 INR (8750 USD), qui concernera neuf millions de contribuables, n’aura qu’un effet limité sur la consommation des ménages, tout en nuisant à une progressivité déjà limitée de l’impôt sur le revenu.[2] La réduction du taux marginal d’imposition de l’IRPP, ramené de 42,75% à 39% s’apparente à un cadeau fiscal aux assujettis les plus aisés, sans contrepartie attendue autre qu’électorale.      

Des tensions à prévoir sur les taux à long terme      

Le solde budgétaire de l’Etat central est censé être ramené de 6,4% en 2022/2023 à 5,9% du PIB au terme de l’exercice 2023/2024. Son financement devrait induire des tensions sur les taux à long terme, alors que les émissions brutes de l’Etat central devraient s’élever à 15400 Mds INR, contre 14200 Mds INR en 2022/2023, dans un contexte de resserrement de la liquidité. Pour mémoire, les taux à long terme ont fortement rebondi depuis un an, de près de 100 points de base par rapport à fin 2021.

Les banques et les compagnies d’assurance vont devoir absorber le surcroît d’émissions, alors que les encours de crédit ont fortement augmenté depuis un an, impliquant une concurrence entre les crédits à l’économie et les crédits aux administrations publiques.

La RBI, dont le cycle de resserrement monétaire n’est sans doute pas achevé, en raison d’une inflation sous-jacente élevée, pourrait ainsi devoir arbitrer entre des injections de liquidité rendues nécessaires par le montant de titres d’Etat que le marché devra absorber et le maintien d’une orientation restrictive de la politique monétaire.

En tout état de cause, les taux à 10 ans, qui ont nettement dérivé à la hausse depuis l’an dernier, pourraient s’inscrire au-dessus de 7,5% au cours de l’été, contre 6,5-7% il y a un an. Cette dérive risque de peser sur la FBCF privée, alors que la demande externe est en berne. L’effet d’entraînement sur l’investissement privé attendu du plan de relance risque d’être limité, alors qu’il représente les trois quarts de la FBCF du pays, contre un quart pour l’investissement public.

 

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Le budget de l’Union répond aux contraintes de court terme de l’économie indienne, en maintenant la trajectoire de réduction du déficit de l’Etat fédéral et en poursuivant le plan de relance par les infrastructures, dans le sillage de 2022/2023. Il conviendra de voir si le taux d’exécution des dépenses en capital du budget 2022/2023 s’améliore dans les prochains mois, ce qui constituerait un signal encourageant pour le prochain budget. Un effet d’éviction est cependant à craindre en liaison avec la remontée des taux à long terme induite par le programme très élevé d’émissions de titres d’Etat. Enfin, aucune nouvelle réforme de structure ne transparaît dans les grandes masses du budget, ce qui diffère dans le temps le calendrier d’adoption de celles-ci, bien qu’elles soient nécessaires pour permettre à l’Inde de croître à un rythme supérieur à 6% par an.

 



[1] Etat fédéral et Etats fédérés ;

[2] Le nombre de personnes physiques assujetties à l’IRPP ne dépasse pas 70 millions, soit 5% de la population. ;