Après la contraction de l’économie indienne de 6,6% au cours de l’exercice 2020/2021, le PIB a fortement rebondi de 8,7% en 2021/2022, à la faveur d’un effet de base important au premier semestre. La reprise a été tirée par l’investissement public et dans une moindre mesure par la consommation privée.

Si l’économie a retrouvé son niveau de prépandémie en septembre 2021, les effets durables du covid ont renforcé son caractère dual, les grandes entreprises ayant vu leur poids relatif se renforcer alors que le secteur informel a subi un choc majeur. Or c’est de l’évolution de ce secteur que dépendent l’essentiel des revenus et de la consommation. Le choc pétrolier consécutif à l’invasion de l’Ukraine renforce encore la dualité de l’économie, tout en exerçant une triple incidence, récessive de 0,7 point de PIB sur le PIB réel, inflationniste à hauteur de 1 point de pourcentage sur l’Indice des Prix à la Consommation (IPC), et négative sur le déficit courant, appelé à se détériorer de 2% à 3% du PIB sur la base d’un cours du pétrole stabilisé à 100 USD le baril. 

Dans ce contexte, la dynamique de croissance s’essouffle, comme le montre le fléchissement de la croissance du PIB, de 13,5% au premier trimestre 2022/23 à 6,3% au deuxième ; ce fléchissement reflète, outre l’incidence statistique de la dissipation des effets de base à l’origine de l’important chiffre de croissance au T1, une demande externe en forte baisse, l’incidence progressive de la transmission de la hausse des taux directeurs à l’économie réelle et la faiblesse de la production manufacturière. Dans ce contexte, les prévisions de croissance pour 2022/2023, supérieures à 8% en début d’année, ont été révisées à moins de 7% désormais, et tablent sur une croissance du PIB de 4% au second semestre 2022/23. Pour l’exercice 2023/2024, le PIB devrait continuer d’enregistrer un net infléchissement, à moins de 6%, en ligne avec les évolutions de l’économie mondiale et de la demande externe adressée à l’Inde.

Une faible marge de manœuvre de la politique budgétaire, dans un contexte de resserrement monétaire

Tout en actant la poursuite d’une politique contracyclique rendue nécessaire par l’affaiblissement des moteurs de la croissance, les budgets 2022/23 et 2023/24 ont intégré la contrainte imposée par l’inertie d’une dette publique proche de 90% du PIB et une charge d’intérêt de 3,6% du PIB, constituant le principal poste de dépenses au budget de l’Etat fédéral. Dans ce contexte, préféré à des mesures de soutien de la consommation des ménages, le plan de relance fondé sur des dépenses d’investissement en infrastructures, censées représenter 3% du PIB, un plus haut depuis deux décennies, n’a pu être mis en œuvre conformément aux prévisions, compte tenu de la dérive d’autres postes de dépenses de l’Etat central (subventions aux engrais, prolongation du programme de dépenses alimentaires, dépenses fiscales pour compenser la hausse des cours du pétrole), et des contraintes d’endettement pesant sur les Etats fédérés. Le budget 2023/2024 poursuit cette orientation, en privilégiant un plan d’investissement en infrastructures porté à 3,3% du PIB, qui bénéficierait prioritairement aux secteurs ferroviaire et routier, avec des enveloppes de 1% du PIB chacune. 

En raison de la recrudescence des tensions inflationnistes, imputables à des effets conjoncturels mais également à des facteurs endogènes, la Banque centrale a été contrainte de modifier le biais accommodant de sa politique monétaire et a fortement relevé son principal taux directeur, de 4% en avril 2022 à 6,50% en février 2023. L’indice des prix à la consommation (IPC) a dépassé en effet pendant la majeure partie de 2022 la borne haute de la cible d’inflation (2%-6%), dans un contexte de hausse de l’inflation sous-jacente, qui contrebalance en fin de période le ralentissement de l’IPC, revenu de 6,8% en octobre à 5,72% en décembre.

Vers un nouveau cycle du crédit, susceptible d’être contraint par des effets d’éviction     

Le canal du crédit, qui avait pâti de l’accumulation des créances douteuses par le secteur bancaire public bien avant la pandémie et de la nécessité d’une recapitalisation de ce dernier, est demeuré médiocrement orienté jusqu’en septembre 2021, les banques préférant stocker leurs excédents de liquidité auprès de la Banque centrale. On constate depuis plusieurs mois une reprise des agrégats de crédit, de l’ordre de 16% en octobre, qui financent essentiellement des opérations de bas de bilan. La dynamique de reprise du crédit risque cependant d’être contrariée par les émissions de titres d’Etat pour financer les dépenses en infrastructures, la répercussion de la hausse des taux d’intérêt directeurs sur les conditions de financement des banques et la diminution des excédents de liquidité.  

Les risques et enjeux macroéconomiques sous-jacents 

Les risques endogènes tiennent tout d’abord à la réussite du plan de relance par les infrastructures et à la faiblesse des mesures de soutien à la consommation, même si théoriquement, le multiplicateur d’investissement paraît plus élevé que celui qui aurait résulté d’une relance par la consommation.  

Outre le faible degré d’absorption des projets et un engagement des Etats fédérés plus faible que prévu parce que bridé par leur niveau déjà élevé d’endettement, la réalisation effective du plan de relance bute sur les marges de manœuvre limitées des finances publiques. Le budget de l’Union pour l’exercice 2023/2024 accuse la même préférence que le précédent pour les infrastructures, alors que leur effet sur l’emploi n’est pas avéré et que la réallocation des ressources, induite par la diminution des subventions (de 0,8 point de PIB) vers les dépenses d’infrastructures est susceptible d’avoir un coût social non négligeable, dans la mesure où ces subventions bénéficiaient aux ménages les plus pauvres (engrais, programme alimentaire).   

Les incertitudes quant à l’évolution de l’inflation au cours des prochains mois, justifient que la RBI ait décidé de relever une nouvelle fois son taux directeur en février 2023, bien que l’IPC soit revenu à l’intérieur de la fourchette-cible. La RBI est confrontée à la rigidité des prix à la baisse, reflétée par un niveau d’inflation sous-jacente encore élevé, alors qu’elle doit intégrer la perspective d’une poursuite du ralentissement de l’économie. En effet, en période de ralentissement conjoncturel, la transmission de la hausse des taux directeurs de la RBI, de 250 points de base depuis mai 2022, à l’économie réelle, risque d’affecter la demande de crédit des ménages et des entreprises, compte tenu du fait que la moitié des crédits sont indexés sur le taux directeur de la Banque centrale.   

Un troisième risque, exogène, est induit par le creusement du déficit courant consécutif à la hausse des cours des matières premières et par les sorties de capitaux induites par le resserrement de la politique monétaire américaine. L’Inde a fait face à un double choc de balance des paiements, tant sur le compte courant, dont le déficit se creuse à quelque 3,5% du PIB en 2022/2023 contre 1,2% en 2021/2022 que sur le compte financier, entraînant des sorties de capitaux. Dans ce contexte, les réserves de change, qui s’élevaient à 640 Mds fin septembre 2021 ont été ramenées à 530 Mds USD fin novembre, avant de remonter à 570 Mds fin janvier 2023, dans un contexte de nette diminution de l’aversion au risque et de pressions baissières sur le dollar, qui pourraient toutefois s’intensifier si la banque centrale américaine était appelée à remonter ses taux directeurs de manière plus forte qu’anticipé actuellement par les intervenants de marché.