Satisfaire la demande croissante d’énergie induite par l’urbanisation et l’industrialisation du pays, tout en amorçant une transition énergétique lui permettant à la fois de desserrer la contrainte de sa dépendance externe aux combustibles fossiles et de répondre à la pression croissante de la communauté internationale sur l’engagement du pays dans la lutte contre le changement climatique, tel est le dilemme auquel est confrontée l’Inde. Pour y répondre, le pays suit une approche pragmatique et prudente, selon son calendrier et à ses conditions, consistant à préserver les atouts du pays et à valoriser ses avantages comparatifs dans les énergies renouvelables, tout en donnant des gages sur ses engagements internationaux en matière de lutte contre le changement climatique. Dans ce contexte, un dialogue bilatéral sur la transition énergétique trouverait son utilité dans la valorisation de l’offre technologique et industrielle française dans ses champs d’excellence (électronucléaire, hydroélectricité, efficacité énergétique, hydrogène).    

Une politique énergétique sous contrainte

Troisième pays consommateur d’énergie et deuxième importateur de combustibles fossiles au monde, l’Inde génère près de 10% de l’augmentation de la demande mondiale d’énergie depuis 2000. La demande d’énergie globale de l’Inde devrait augmenter de 35% d’ici 2030, tandis que la demande d’énergie électrique connaitra une croissance encore supérieure (+55% en 2030 et +150 % en 2040 dans le scénario de référence). La consommation énergétique indienne est carbonée : la demande est aujourd’hui satisfaite à 45% par le charbon - l’électricité générée à partir de ce dernier représentant 75% du total produit en 2021- , 25% par le pétrole et 6% par le gaz naturel, tandis que la part des renouvelables (24%) est assurée majoritairement par les biocarburants. Compte tenu de leur intermittence, la part des énergies renouvelables dans la production électrique est inférieure à 15 %. Le charbon est responsable de la moitié des émissions de CO2 liées aux combustibles et du tiers des émissions totales de l’Inde, tandis que l’intensité carbone du secteur électrique indien est largement supérieure à la moyenne mondiale.

A moyen-terme, la production d’électricité à partir du charbon restera indispensable pour répondre à la demande. L’Inde n’a pas encore atteint son pic de consommation de charbon, qui devrait intervenir en 2040. Les capacités de production d’électricité à partir de charbon devraient atteindre leur pic en 2030 avant de décroitre. L’AIE estime que la demande indienne de charbon devrait continuer à croître au rythme moyen de 1,3 % par an, pour atteindre 540 Mtoe en 2040 contre 410 en 2019.

L’Inde est par ailleurs largement tributaire de ses importations d’hydrocarbures pour la couverture de ses besoins, à hauteur de 85% pour le pétrole et de 54% pour le gaz. L’enjeu pour le pays est de limiter cette dépendance, qui pèse fortement sur sa situation financière externe, par le développement des solutions électriques dans les transports et hydrogène dans l’industrie.

Les énergies nouvelles au service de la stratégie d’influence indienne

La valorisation des avantages comparatifs du pays dans le développement des énergies renouvelables est à mettre à l’actif du gouvernement indien. Lors de l’accord de Paris, l’Inde annonçait vouloir réduire l’intensité des émissions de gaz à effet de serre (GES) de -33 à -35 % par point de PIB d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005. Le plan d’action national climat indien avait fixé pour objectif d’atteindre 15 % d’électricité d’origine renouvelable en 2020. Cet objectif a été dépassé et en 2020 les ENR représentaient 20% du mix électrique. L’Inde a tiré parti de ce succès, pour renforcer ses ambitions en la matière. A la COP26, elle a rehaussé son objectif de capacités non-fossiles installées à 500GW et celui de couverture des besoins électriques par les ENR à 50% d’ici 2030.

Elle développe parallèlement une stratégie d’influence internationale qui vise à promouvoir ses intérêts industriels. La création et l’accueil de l’Alliance Solaire Internationale en constitue l’élément le plus visible. L’ISA est un relais d’influence et de promotion de l’offre indienne, au moyen de programmes ambitieux (hydrogène solaire, réseau électrique mondial interconnecté, recyclage des panneaux solaires photovoltaïques), ou plus modestes (installation de pompes solaires en Afrique), qui concourent à asseoir son image de pays vertueux et solidaire.

Les ambitions affichées dans l’hydrogène procèdent de la même vision. L’hydrogène est identifié comme le vecteur énergétique à promouvoir pour réduire la dépendance externe du pays et diminuer les émissions de CO2. Le Premier ministre a annoncé la création d’une mission nationale de l'hydrogène en août 2021, chargée de définir une politique publique de soutien à la production d’hydrogène au moyen d’incitations financières et réglementaires, avec un objectif affiché de 5 Mt d'hydrogène par an d'ici 2030, et d’aligner les standards indiens sur les meilleures pratiques mondiales sur le plan technologique.

L’objectif sous-jacent est de placer l’Inde parmi les premiers exportateurs d’hydrogène « vert », en tablant sur l’avantage comparatif que lui confère le faible coût de son énergie électrique. Cette ambition est soutenue par certains partenaires (Allemagne, Japon, Pays-Bas) et relayée par les principaux acteurs indiens de l’énergie, publics (Indian Oil, GAIL, NTPC) et privés (Reliance Industries, Adani, ACME Solar, Greenko), qui ont engagé des investissements significatifs, souvent en partenariat avec des entreprises étrangères fournisseuses de technologies. Le passage à l’échelle pour le déploiement de l’hydrogène vert en Inde reste toutefois limité à ce stade, en raison d’obstacles réglementaires et structurels majeurs.

Construire un dialogue bilatéral sur la transition énergétique

Eu égard à sa trajectoire de croissance, l’Inde est un acteur clé pour l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris. Même si elle s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2070 lors de la COP26, avec un objectif intermédiaire de réduction de l’intensité carbone de son PIB de 45% d’ici 2030 par rapport à 2005, repris dans sa stratégie de long terme pour l’atteinte de la neutralité carbone en 2070, elle n’a pas souhaité prendre d’engagements contraignants en matière de sortie du charbon ni même de réduction.

Elle manifeste en outre une réticence certaine à engager un dialogue structuré avec les pays du G7 dans le cadre du JETP sur sa transition énergétique. Peu désireuse de s’inscrire dans une démarche dont elle conteste la légitimité et dénonce une certaine forme d’arrogance, l’Inde n’en reste pas moins ouverte au dialogue sur les enjeux, technologiques notamment, liés à l’atteinte de ses objectifs en matière d’énergies renouvelables et décarbonées. C’est pourquoi, en parallèle à son association au JETP, la France pourrait faire valoir la qualité de son offre dans le champ de la transition énergétique, et travailler dans un cadre bilatéral à la promotion de certains de ses savoir-faire technologiques et industriels :    

- Le nucléaire et l’hydroélectricité. L’enjeu central pour l’Inde est d’opérer la transition de sa génération électrique en base vers un modèle moins carboné, capable de répondre aux mêmes exigences de volume, de disponibilité et de coût acceptable que le charbon. Seules l’énergie nucléaire – peu présente dans la stratégie nationale indienne - et l’hydroélectricité semblent à même de répondre peu ou prou à cette triple exigence. Ni l’une ni l’autre ne figurent parmi les propositions centrales faites à l’Inde dans le cadre du JETP.

- L’accompagnement de l’émergence d’une filière hydrogène bas carbone. La France et l’Inde ont endossé une feuille de route bilatérale sur l’hydrogène vert en octobre dernier[1], qui identifie quatre axes de travail portant sur (i) le cadre réglementaire domestique pour la production et le transport de l’hydrogène en Inde, (ii) la certification du contenu carbone de l’hydrogène, enjeu essentiel pour les visées exportatrices de l’Inde, (iii) le développement de partenariats de recherche et de développement et (iv) le développement de partenariats industriels sur les usages de l’hydrogène dans l’industrie et les transports.

- L’amélioration de l’efficacité énergétique dans les différents secteurs de l’économie indienne (industrie, transports, développement urbain et logement, production d’énergie). La réduction de l’intensité énergétique de l’économie indienne est un axe majeur de l’effort de transition à opérer. Tant au niveau des réseaux de transport et de distribution que de l’efficacité énergétique des installations industrielles, urbaines, du bâtiment et des transports, la France peut partager son expérience et ses savoir-faire avec l’Inde.

- Le développement de solutions de financement durable ainsi que d’outils de planification énergétique et de modélisation de la trajectoire bas carbone, afin de bâtir des scénarios et encourager les arbitrages en faveur des énergies renouvelables, tout en prenant en compte les impacts socio-économiques de la transition.

 

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Les besoins d’investissements nécessaires à la décarbonation du secteur énergétique indien pour atteindre la neutralité carbone en 2070 sont estimés par l’AIE, dans son scénario de référence, à 160 Mds USD par an d'ici 2030, ce qui représente un effort trois supérieur aux investissement réalisés actuellement. Dès lors, sur le modèle du développement des énergies renouvelables, le soutien de la communauté internationale pourrait être orienté vers la mobilisation du secteur privé et prendre la forme d’engagements réciproques comprenant des objectifs atteignables et mesurables.


[1] La feuille de route a été signée à New Delhi le 18 octobre par la Secrétaire d’Etat chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, Mme Chrysoula Zacharopoulou et le Ministre de l'électricité et des énergies nouvelles et renouvelables indien R.K. Singh.