L’accélération de la croissance économique indienne dépendra fortement de sa capacité à résorber son déficit d’infrastructures. L’Inde devrait y consacrer 4500 Mds USD d’ici 2030[1] pour réaliser son objectif de PIB nominal de 5000 Mds USD. L’Etat tente d’impulser une nouvelle dynamique avec l’élaboration du National Infrastructure Pipeline (NIP) en 2019, une réserve de près de 9000 projets. Mais sa réalisation se heurte aux capacités limitées des collectivités locales et des Etats fédérés et à la capacité du pays à mobiliser des financements. Seule la mobilisation massive de l’épargne intérieure pourra répondre à ce défi.

Un bilan en demi-teinte des politiques indiennes de financement des infrastructures

La croissance forte de ces dernières années couplée à l'urbanisation rapide, ont exercé une forte pression sur les infrastructures qui souffraient déjà d’un déficit substantiel de capacités et d’efficacité. La Banque mondiale estime ainsi que les villes indiennes nécessiteront un investissement en capital de 840 Mds USD dans les infrastructures urbaines et les services municipaux sur les quinze prochaines années (2022-2036), ce qui équivaut à 1,18 % du PIB sur cette période. On estime à 4 à 5 pp le manque à gagner sur la croissance annuelle induit par l’absence d’investissements dans les infrastructures.

Plusieurs politiques ont été conduites depuis la fin des années 90 pour réduire ce déficit dont les résultats varient en fonction des sous-secteurs d’infrastructures concernés. Elles ont permis d’importantes avancées, particulièrement dans les secteurs ayant bénéficié de cadres réglementaires favorables à l’intervention privée et offrant un niveau de rentabilité satisfaisant pour les investisseurs (énergies renouvelables, infrastructures autoroutières, aéroportuaires et portuaires, ou encore télécommunications) qui s’appuient sur une forte demande du marché et présentent ainsi un niveau suffisant de solvabilité[2]. Sur le plan financier, les projets d’infrastructures urbaines restent dans l’ensemble très dépendants des investissements publics. Le risque associé à la majorité des projets est élevé, en raison des retards et des abandons fréquents. Aussi, les villes indiennes présentent encore des capacités d'absorption trop faibles. S’ajoutent également des problèmes de gouvernance et de chevauchements de compétences entre les différents niveaux (Etat central, Etat fédéré, municipalités).

Des innovations en matière de financement qui ne suffiront pas à combler le besoin

En 2019, l’Etat a lancé le National Infrastructure Pipeline (NIP) qui poursuit un objectif ambitieux de développement des infrastructures pour un montant associé de 1 400 Mds USD pour la période 2020 – 2025 (7 à 8 % du PIB). Le NIP est constitué d’environ 9000 projets et représente un effort d’investissement de 2 à 3 points de PIB supplémentaires par rapport à la période 2013-2019. 15 % des financements doivent provenir d’initiatives innovantes, en particulier via la monétisation des actifs[1] et la création d’une nouvelle institution financière de développement, la NaBFID, en 2021. Son statut d’Institution de Financement du Développement devrait lui permettre de lever des fonds à moindre coût (123 Mds USD en dix ans) et de disposer d’une large gamme d’outils de financement et de services de conseil. Créé en 2015, le Fonds national d’investissement et d’infrastructures (NIIF) vise quant à lui à drainer des capitaux étrangers vers les projets nationaux en apportant la sécurité de son intermédiation et la garantie de l’Etat. Parmi ses partenaires figurent le Fonds souverain émirati Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), le Fonds souverain singapourien Temasek ou encore un fonds de pension canadien. L’intervention directe des bailleurs d’aide au développement dans le financement des infrastructures reste très importante en Inde : en moyenne au cours de la décennie 2012-2022, ils ont octroyé 7,2 Mds USD par an à l’Inde, soit la moitié de l’effort budgétaire consacré par l’Etat central aux infrastructures, hors transferts et rétrocessions aux Etats fédérés et municipalités.  

Le rôle de l’Etat reste prépondérant en matière de financement des infrastructures. Mais s’il intensifie ses efforts budgétaires vers le financement d’infrastructures, sa marge de manœuvre reste limitée dans un contexte de consolidation budgétaire et d’endettement élevé.

Une stratégie de mobilisation de l’épargne intérieure doit accompagner l’effort d’investissement dans les infrastructures  

Le taux d’épargne national indien, bien qu’en baisse, demeure élevé, mais son allocation, historiquement concentrée sur les actifs matériels évolue vers les actifs financiers. Les ménages contribuent à environ 65 % de l'épargne brute de l'économie indienne, et restent donc la source de financement la plus durable et la plus autonome du pays.

L’essor des solutions de placement de long terme (fonds de pension publics, fonds de placement, fonds d’assurance-vie) qui par la nature de leur passif dépendent peu des capacités de refinancement sur les marchés de court terme, devrait nourrir la demande sur les marchés de capitaux. Dans ce contexte, les autorités cherchent à dynamiser le marché obligataire. La mise sur le marché de nouveaux produits comme les obligations municipales en sont une illustration. D'ici 2024, cinquante villes devraient pouvoir émettre des obligations municipales, contre une dizaine aujourd’hui.

Deux outils de placement innovants ont par ailleurs vu le jour en 2012 et 2014. Les fonds d’investissement alternatifs (FIA), véhicules d'investissement ciblant des participations plus risquées, et qui lèvent des fonds auprès d’investisseurs privés. Par ailleurs, afin d’inciter les particuliers à mobiliser leur épargne sur des projets d’infrastructure, le gouvernement a créé en 2014 les Infrastructure Investment Trusts (InvIT), véhicules innovants cotés en bourse, qui permettent de monétiser des actifs d’infrastructure rentables, offrant ainsi aux épargnants la possibilité d'investir dans ces derniers sans en être propriétaires.

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Dans un contexte d’insuffisance des ressources budgétaires, le financement des infrastructures doit mobiliser massivement l’épargne domestique. Les efforts déployés pour attirer cette épargne vers le financement des infrastructures devra s’accompagner du renforcement des capacités des maîtrises d’ouvrage publiques territoriales, dont le pilotage des projets est trop souvent marqué encore par des faiblesses dans la préparation et l’exécution.

L’adoption de normes qualitatives, dans le prolongement des travaux du G20 (QII) et leur opérationnalisation par l’adoption d’outils de gestion performants (SOURCE), constituent des conditions impératives au succès de la mobilisation de l’épargne intérieure vers un secteur à haut risques. 



[1] National Infrastructure Pipeline, Report of the Task Force, Department of Economic Affairs, Ministère des Finances, Inde

[2] Au cours de la période 2013-2019, le secteur des ENR a capté 31 % des investissements totaux dans les infrastructures, contre 18 % pour les projets routiers, 15 % pour les projets urbains, 12 % pour le secteur des télécommunications et 10% pour les projets ferroviaires.

[3] Le plan de monétisation, annoncé en août 2021, doit permettre de lever 74 Mds USD en quatre ans (2022-2025) via la mobilisation d’actifs publics – dont l’Etat restera propriétaire – sous la forme de délégations de service confié au privé pour des durées déterminées, ou via les marchés de capitaux, à travers des véhicules d’investissement innovants comme les fonds InvIT.