Si le Canada émerge progressivement comme un « hub fintech », avec notamment 4 des 20 principales places mondiales, le secteur pâtit toujours de sa vulnérabilité aux enjeux de cybersécurité et, comme d’autres secteurs de la tech dans ce pays, de la « guerre des talents » avec les Etats-Unis. Le cadre règlementaire fragmenté, avec une myriade d’institutions compétentes au niveau fédéral et provincial, bride par ailleurs le développement de l’industrie, alors que le gouvernement fédéral tarde à adopter une stratégie globale de nature à réaliser le plein potentiel du secteur.

 

Le Canada, porté par l’Ontario, émerge progressivement comme un centre d’innovation financière majeur

Le Canada émerge comme un centre d’innovation financière majeur, avec une offre diversifiée de services. Selon Fathom4sight, cabinet d’étude canadien spécialisé dans les fintechs, 2 417 entreprises « fintech » opèrent au Canada employant environ 200 000 personnes. (Annexe I, Fig. 1 & Fig. 2). Les fintechs de modernisation des moyens de paiement dominent le secteur (25% de l’industrie), suivi des fintechs de prêts (11%), d’assurance (9%), de cryptomonnaie et de blockchain (9%) et de conception de logiciels pour les banques (9%). Les néo-banques (6%) et les fintechs fondées sur l’intelligence artificielle et les données financières (open banking, 6%) complètent la diversité de l’écosystème des fintechs canadiennes (Annexe I, Fig. 3).

Si Toronto s’affirme comme le principal hub du pays, plusieurs villes canadiennes présentent des écosystèmes prometteurs. Selon Accenture, le Canada compte 4 des 20 principaux hubs de fintech dans le monde et est, avec les Etats-Unis, l’un des deux seuls pays à avoir autant de pôles fintech[1] : Toronto (8ème), Vancouver (12ème), Montréal (14ème), et Calgary (16ème) (Annexe II). Le corridor technologique Toronto-Waterloo en Ontario héberge plus de la moitié des fintechs canadiennes ; le Québec et la Colombie-Britannique suivent avec chacune 15% tandis que les provinces atlantiques et l’Alberta représentent respectivement 9% et 6% des fintechs du pays. 5ème hub fintech d’Amérique du Nord, Toronto a vu les volumes d’investissements dans ses fintechs croître, entre 2010 et 2020, au rythme le plus élevé au monde, derrière Tokyo et Séoul, notamment grâce à l’importance de sa bourse, deuxième centre financier d’Amérique du Nord, et au dynamisme de son écosystème Tech, 3ème centre d’innovation du continent après San Francisco et New York. Avec un taux de croissance annuel moyen des investissements dans les fintechs de 130% entre 2010 et 2020, Toronto est ainsi le centre d’innovation financière qui a crû le plus fortement sur la période relativement à sa taille. Le hub de Montréal, qui jouissait de volumes d’investissements moins élevés par rapport à Toronto ou Vancouver, affiche quant à lui une croissance moyenne annuelle d’investissement de 200%, le taux le plus élevé au monde.

Signe de leur développement récent, les fintechs canadiennes sont en moyenne jeunes, de taille réduite et encore peu introduites en Bourse. Près des deux tiers des fintechs canadiennes ont été fondées il y a 10 ans ou moins, ce qui explique que 70% d’entre elles sont encore composées de moins de 100 employés (52% en compte entre 5 et 99, 18% entre 1 et 4). Une vaste majorité (86%) d’entre elles ne sont pas encore entrées en Bourse et sont détenues par des investisseurs privés ; trois-quarts d’entre elles sont détenues par des Canadiens et 20% sont sous pavillon américain (Annexe I, Fig. 2). Selon Fathom4sight, les fintechs canadiennes sont encore majoritairement dans leur phase initiale de croissance (43%), une part non négligeable étant en phase d’expansion (17%) tandis que 10% sont en phase de rachat par une grande entreprise ou une autre fintech. On compte néanmoins 5 fintechs canadiennes (Dapper Labs, Wealthsimple, Blockstream, Trulioo, Freshbooks) parmi les 18 licornes canadiennes alors que près de 60 rachats de fintechs canadiennes par une grande entreprise ou bien une autre fintech ont eu lieu sur les 3 premiers trimestres 2022 (Annexe I, Fig. 4 & Fig.5).


Le secteur est toutefois vulnérable au risque cyber et pâtit, comme les autres pans de la tech canadienne, de la concurrence américaine pour conserver ses talents

Le secteur, par sa relative jeunesse et la taille modeste des entreprises qui le composent, est particulièrement exposé aux cyberattaques. Alors que les banques traditionnelles mobilisent une part croissante de leurs ressources pour faire face au risque cyber, les fintechs canadiennes, du fait de leur profil, sont davantage en retard dans la prise en compte de ce risque et constitue de ce fait des cibles faciles ; par ailleurs, les fintechs d’open banking, de facilitation de moyens de paiement et de gestion de cryptoactifs, par la nature même de leurs activités, apparaissent comme les plus exposées : ce sont les deux conclusions soulignées par la 9ème édition du Fintech Forum Canada, qui s’est tenu à Montréal début novembre 2022. Mais les choses évoluent progressivement, à l’initiative notamment des banques traditionnelles. Comme le mentionnait un rapport de la Chambre des communes canadienne de 2018, les institutions financières investissent dès à présent dans des incubateurs en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique pour faciliter l’accès des fintechs aux réseaux de fonds de capital venture leur permettant de financer leur protection. Au Québec, Desjardins et la Banque Nationale du Canada ont co-fondé en 2018 CyberEco, une association d’aide au développement des fintechs canadiennes, avec pour objectif de monter en compétence dans le domaine de la cybersécurité.

Il pâtit également, comme les autres pans de la tech canadienne, de la « guerre des talents » avec leurs concurrents américains. Ainsi que le souligne le rapport 2022 du cabinet Accenture sur la base d’entretiens avec plusieurs dirigeants de fintechs canadiennes, les fintechs et autres entreprises de la tech américaines parviennent à attirer des talents canadiens en proposant des salaires, des bonus et des avantages en nature plus attractifs qu’au Canada. Le rapport 2022 de CBRE Research « Tech Talent » a par exemple montré que, en 2022, les hubs américains offraient des rémunérations aux ingénieurs entre un tiers et près du double de celles des entreprises canadiennes. Les récentes vagues de licenciement dans la tech américaine pourraient toutefois nuancer ce constat et rendre le marché canadien de nouveau attractif.

 

Le cadre réglementaire fragmenté continue par ailleurs de brider le potentiel du secteur

La diversité des règles applicables selon les champs d’activité et les provinces alourdit les coûts de mise en conformité réglementaire des fintechs, pénalisant leur potentiel d’innovation. La nature multidisciplinaire des fintechs (moyens de paiement, open banking, cryptoactifs, etc.) complique la détermination des règles applicables et des institutions compétentes. Au fédéral, selon que ces fintechs stockent des données personnelles, sont des intermédiaires de transaction ou détiennent des fonds pour le compte de leurs clients, elles suivront les lois fédérales sur la lutte contre le blanchiment d’argent, celles de la protection des données ou les règles de Paiement Canada, l’entité fédérale responsable des systèmes d’échange, de compensation et de règlement financier. Au niveau provincial, il leur faudra par ailleurs obtenir les licences et se conformer aux réglementations sur les valeurs mobilières, telles que définies par les autorités des marchés financiers provinciales.

Les divergences réglementaires entre province limitent l’intégration pancanadienne du marché. Depuis juillet 2022, l’Alberta est devenue la première province du Canada à expérimenter un « bac à sable » réglementaire, qui englobe l’ensemble des secteurs de la fintech. La Loi 13 exempte ainsi les fintechs reconnues « innovantes » de certaines provisions provinciales relatives à la protection du consommateur, au crédit ou encore à la protection des données personnelles. De telles dispositions n’existent toutefois pas dans les autres provinces si bien que, si les fintechs albertaines souhaitent se développer à l’extérieur de la province, elles devront se conformer aux dispositions des autres provinces pour obtenir les licences provinciales nécessaires à leurs activités ; des démarches longues et coûteuses. Ces divergences réglementaires vont parfois jusqu’à l’opposition pure et simple, alors que les provinces sont censées harmoniser leurs pratiques au sein des Autorités canadiennes en valeurs mobilières, ce qui nuit à la lisibilité d’ensemble : ainsi, par exemple, l’Ontario interdit de détenir un compte sur les plateformes d’échange de cryptomonnaie Binance, Polinex et KuCoin alors que les autres provinces du pays l’autorisent.

Le niveau fédéral tarde à conclure les consultations sur l’open banking et les moyens de paiement numériques. Il n’existe actuellement pas de cadre légal harmonisé pour l’open banking au Canada, bien que des banques échangent des données financières avec des fintechs canadiennes. Depuis 2018, afin de renforcer la concurrence dans le secteur bancaire, le gouvernement fédéral a cherché à progresser en la matière : la loi fédérale C-74 de 2018 a ainsi éliminé les barrières réglementaires qui retardaient les transferts de données financières entre banques et tiers ; un comité fédéral sur l’open banking, créé la même année par le ministère des Finances, a recommandé en 2021 au gouvernement d’autoriser l’open banking, ce qui s’est traduit par le lancement de consultations, dont les conclusions ne sont toutefois toujours pas connues. Les fintechs de moyens de paiement numériques restent également dans l’attente d’une clarification réglementaire : le gouvernement a annoncé en novembre 2022 des consultations sur les moyens de paiement numériques pour renforcer la sécurité et la résilience du système financier canadien, mais aucun projet de loi n’est pour le moment à l’ordre du jour. Dans le même temps, la proposition de loi sur « l’encouragement et la croissance du secteur des cryptoactifs », portée par le Parti Conservateur et qui est devenue une pierre d’achoppement partisane entre le gouvernement libéral et l’opposition, a été rejetée à la Chambre des communes le 23 novembre 2022 par les voix du Parti Libéral, du Nouveau Parti démocratique et du Bloc Québécois.