Comme en France, où la société Pasqal vient de réaliser une levée de fonds record, le quantique connaît une actualité intense au Canada, avec en point d’orgue la publication mi-janvier de la stratégie nationale du gouvernement fédéral. Cette dernière présente les objectifs et les priorités des autorités dans un secteur qui connaît un développement rapide depuis plusieurs années, bien qu’il demeure fragmenté entre plusieurs écosystèmes régionaux. Cette stratégie vient surtout souligner l’ambition du gouvernement fédéral de faire du Canada un leader du secteur, après en avoir été l’un des pionniers, et ouvre des opportunités de coopération à la fois institutionnelle et d’affaires pour la France.

 

Un secteur ,reconnu  au niveau mondial, quoique toujours très fragmenté

Cette nouvelle stratégie s’inscrit dans la continuité de politiques publiques qui, depuis plus de 10 ans, ont facilité l’émergence d’un écosystème quantique canadien prometteur. De 2009 à 2020, le gouvernement du Canada a déjà investi plus de 1 Md CAD (685 M€) dans la recherche et la science quantiques, principalement par l’entremise de programmes d’organismes subventionnaires, comme les programmes » Alliance » du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et le Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada. Une étude de 2020 commandée par le Conseil national de recherches Canada (CNRC) indiquait que, d’ici 2045, le secteur quantique du Canada représenterait, si l’on inclut toutes les retombées économiques, une industrie de 139 Md CAD employant plus de 200 000 personnes.

Le Canada abrite ainsi déjà certaines des universités et entreprises les plus avancées au monde dans le secteur. Parmi elles, la société D-Wave (Colombie-Britannique) fait figure de précurseur puisque la société a introduit le premier ordinateur fondé sur la technologie quantique dès 2011. Toujours en Colombie-Britannique, 1Qbit a été reconnue en 2015 comme la première entreprise de logiciels dédiée à la production d’applications commerciales pour les ordinateurs quantiques. Enfin, Xanadu (Ontario) a lancé en 2018 « Pennylane », la première bibliothèque de logiciels de source ouverte pour l'informatique quantique et la conception d'applications. Cette société a réussi l’exploit de lever, dans un contexte financier incertain, 100 M USD en novembre 2022, après avoir levé le même montant un an auparavant, portant sa valeur à 1 Md USD et lui conférant ainsi le statut de licorne. Xanadu a notamment pour projet de construire le premier ordinateur quantique au monde insensible aux défaillances et basé sur la photonique– un projet estimé à 180 M CAD, pour lequel le gouvernement fédéral vient d’annoncer un soutien financier à hauteur de 40 M CAD.

Cet environnement canadien est toutefois fragmenté en plusieurs écosystèmes relativement indépendants les uns des autres. Les quelques 150 acteurs spécialisés dans le secteur quantique répertoriés au Canada par le Directoire Canadien du Quantique (voir Annexe 1) sont répartis très majoritairement au sein de quatre provinces :

  1. L’Ontario, à travers son axe Ottawa-Toronto-Waterloo, représente près de la moitié des acteurs canadiens (69) et se distingue par la présence de nombreuses entreprises (45), y compris internationales ; la principale fédération nationale des entreprises du secteur, Quantum Industry Canada, a ainsi signé un partenariat en janvier 2022 avec le gouvernement provincial pour accélérer le développement, la commercialisation et l’utilisation du quantique en Ontario (voir Annexe 2)
  2. Le Québec, avec son axe Montréal-Bromont-Sherbrooke, suit avec 42 acteurs ; le gouvernement provincial a annoncé, en février 2022, la création d’une « zone d’innovation » dédié au quantique à Sherbrooke avec un budget de 435 M CAD (300 M€), dont un tiers provenant du budget provincial, pour soutenir 13 projets majeurs (voir Annexe 3).
  3. La Colombie-Britannique, principalement à Vancouver, fait office de berceau du quantique au Canada grâce à D-Wave et 1Qbit et jouit toujours d’une belle réputation, notamment au niveau universitaire (University of British Columbia), en accueillant une quinzaine d’acteurs ;
  4. L’Alberta, à la fois à Calgary et Edmonton, apparaît comme une zone plus récente, avec toutefois un fort potentiel au regard des investissements consentis par le gouvernement provincial afin de diversifier son économie tournée vers les hydrocarbures ; on y dénombre une quinzaine d’acteurs.

 

Une stratégie qui couvre l’intégralité de la chaîne de valeur

Dans ce contexte déjà porteur, la stratégie quantique nationale a été présentée à la mi-janvier. Celle-ci a fait l’objet de près de deux ans de préparation puisqu’elle avait été annoncée dans le cadre du Budget présenté en avril 2021, avec une enveloppe de 360 M CAD (250 M€) dédiée à son lancement et à sa mise en œuvre sur une période de 7 ans.

Cette stratégie ambitionne de faire du Canada l’un des leaders mondiaux dans le développement de matériel et de logiciel d’informatique quantique. Outre cet objectif stratégique, le document identifie deux autres objectifs : i) assurer la protection de la vie privée et la cybersécurité, notamment à travers la création d’un réseau de communication quantique national sécurisé, et ii) permettre à l’administration et aux industries clés du pays d’adopter ces nouvelles technologies. La stratégie identifie également trois briques technologiques comme principaux axes de développement : informatique quantique, communications quantiques, détection quantique. La stratégie prévoit enfin la création d’un conseil consultatif constitué d’experts qui conseillera le gouvernement sur sa mise en œuvre, d’un groupe de travail propre à chaque objectif et d’un comité interministériel pour coordonner les efforts des différents ministères et organismes fédéraux.

La stratégie vise également à structurer l’écosystème en coordonnant la collaboration entre le milieu universitaire, l’industrie, les organismes à but non lucratif et le gouvernement autour d’une chaîne de valeur intégrée.  La stratégie repose ainsi sur trois piliers interdépendants : i) recherche : soutenir la recherche fondamentale et appliquée afin de développer de nouvelles solutions, via trois nouveaux volets de subvention du CRSNG, visant respectivement au renforcement des capacités de recherche, au développement des collaborations de recherches pour répondre aux besoins du gouvernement et de l’industrie et aux coopérations à l’international (132,5 M CAD / 90 M€) ; ii) talent : former, attirer et retenir les talents nécessaires au développement du secteur à travers des programmes dédiés au quantique au sein des organismes MITACS et CNRSNG  (45 M CAD / 30 M€) ; iii) commercialisation : transformer la recherche en produits et services commerciaux en finançant le développement d’entreprises par le biais d’outils comme le Programme d’Aide à la Recherche Industrielle, le fonds stratégique d’innovation ou les « supergrappes » d’innovation  (169 M CAD / 115 M€).

 

Des opportunités de coopération bilatérale pour les instituts de recherche et les entreprises

La stratégie indique que le gouvernement fédéral cherchera à renforcer les collaborations avec les provinces canadiennes, mais aussi au niveau international. Le gouvernement fédéral estime qu’une coopération internationale permettra des avancées plus rapides que dans une situation de concurrence entre pays, notamment du point de vue de l’attraction des talents. La stratégie mentionne ainsi des exemples de partenariats dans le domaine entre le CRSNG et le Royaume-Uni, les Etats-Unis et la Commission Européenne dans le cadre du programme Horizon Europe.

Plusieurs initiatives ont été lancées récemment ou le seront prochainement pour renforcer la coopération entre la France et le Canada dans le domaine du quantique. Côté recherche, le CNRS a officiellement lancé au 1er janvier 2023 un réseau international de recherche rassemblant 8 universités canadiennes et 8 universités françaises afin de consolider les échanges existants entre celles-ci. Côté entreprises, Bpifrance accompagnera en mai 2023 une délégation d’entreprises au Québec suite à l’accord signé avec l’université de Sherbrooke en avril 2022. Business France organisera également une délégation d’entreprises françaises au Canada dans le cadre d’un évènement « Quantum Days ».

Certaines de ces sociétés suivront peut-être les pas de la startup français Pasqal, installée au Canada depuis l’été 2022. La société a établi une filiale à Sherbrooke, sa première en dehors d’Europe, qui aura un rôle de siège pour l’ensemble de l’Amérique du Nord, avec également l’ambition d’y établir un centre de production. La société y a trouvé écosystème favorable au quantique, avec des partenaires de qualité, malgré le retard pris par les acteurs industriels dans l’application des solutions quantiques. Suite à son implantation, la société a signé un partenariat en novembre avec EDF, Exaion (filiale d’EDF également implantée au Québec) et la Zone d’Innovation Quantique de Sherbrooke pour créer le premier centre d'excellence d'algorithmes ouverts, le QuaTERA (Quantum Technologies Energy Result Accelerator), en vue de développer des solutions pour l'industrie de l'énergie en utilisant les capacités combinées du calcul haute performance et de l'informatique quantique.