En 2022, les économies de l’ASEAN, 5ème bloc économique mondial, ont poursuivi leur rétablissement post-pandémie, comme en témoignent les performances historiques enregistrées par la majorité d’entre elles. Le PIB régional a progressé d’environ 5,3% par rapport à 2021, un rythme supérieur à celui des économies avancées (+2,7%) ainsi, pour la première fois depuis 30 ans, qu’à celui de la Chine (+3,0%). Les impacts économiques de la guerre en Ukraine sur les pays de la région ont été contrastés, suivant leur exposition aux variations des cours de l’énergie et des produits alimentaires. La croissance resterait bien orientée en 2023, mais fléchirait légèrement, du fait de risques, tant sur le plan interne (i.e. resserrement monétaire, politique) qu’externe (i.e. baisse de la demande dans les pays avancés, prix de l’énergie). Dans un contexte de fléchissement de la conjoncture en Europe et aux Etats-Unis, la réouverture de la Chine, premier partenaire commercial et principal moteur du tourisme dans la zone, constitue une aubaine, dont les premiers effets ne sont toutefois pas attendus avant la seconde moitié de l’année.

 

1.    En 2022, la croissance de l’ASEAN atteindrait 5,3% selon le FMI (+3,1% en 2021, calcul SER), une performance proche de la moyenne d’avant crise et supérieure à la croissance mondiale (+3,4%) – cf. Annexe 1. Toutes les économies de la région ont désormais retrouvé leur niveau de PIB pré-Covid en 2022 - la Thaïlande y serait parvenue en fin d’année grâce à la reprise du tourisme -, à l’exception de la Birmanie, en crise depuis le coup d’État de février 2021. Selon le FMI, les pays au taux de croissance supérieur ou égal à leur moyenne historique entre 2000 et 2019 (cf. Annexe 2) sont le Vietnam (+7,0%), les Philippines (+7,0%), la Malaisie (+6,7%), l’Indonésie (+5,3%) et Brunei (+1,2%). Les pays aux taux de croissance inférieur à leur tendance historique sont le Cambodge (+5,1%), Singapour (+3,0%), la Thaïlande (+3,2%), le Laos (+2,2%) et la Birmanie (+2,0%). La bonne performance économique de la région en 2022 s’explique essentiellement par la sortie de la pandémie et la réouverture des frontières. Le relâchement des contraintes sanitaires, permettant la reprise des activités de services, a résulté en une forte croissance de la consommation ainsi que des investissements dans la plupart des pays. À moyen-terme, le FMI prévoit une trajectoire en V de la croissance de l’ASEAN (+5,3% en 2022, +4,5% en 2023 suivi de +5,0% en 2024), suivant peu ou prou celle de la croissance globale (+3,4% en 2022, +2,9% en 2023 suivi de +3,1% en 2024).

 

2.   La réouverture de la Chine devrait avoir des effets positifs sur l’économie régionale. Le 7 décembre 2022, la Chine a assoupli nombre de ses mesures sanitaires, et depuis le 8 janvier, retiré l’obligation de quarantaine et de traçage pour tous les voyageurs. La réouverture de la Chine pourrait contribuer à la croissance dans la région à travers l’accélération du tourisme et le relâchement de certaines tensions pesant encore sur les chaînes d’approvisionnement régionales et mondiales, bien que la nouvelle vague de Covid-19 à laquelle le pays fait face assombrisse ces perspectives (cf. Annexe 3). Selon Natixis, les bénéfices tirés de la réouverture de la Chine pour le reste du monde seraient à modérer dans un premier temps. Après trois ans de restrictions, la banque française s’attend à ce que la confiance des consommateurs chinois prenne un certain temps à se rétablir, d’autant plus dans le contexte de tensions persistantes sur le marché de l’immobilier. Par ailleurs, l’érosion des marges budgétaire et monétaire, leviers fortement sollicités durant la pandémie, serait un facteur limitant pour la croissance de l’économie chinoise en 2023 (+5,2% anticipé par le FMI en 2023, en rebond par rapport à 2022 - cf. Annexe 4). Pour rappel, la Chine est le premier partenaire commercial de l’ASEAN (près d’un cinquième du commerce de biens en 2021, cf. Annexe 26).

 

3.   L’envolée des cours des matières premières depuis l’invasion russe en Ukraine a principalement bénéficié aux pays dotés de ressources naturelles. Selon la Banque mondiale, les cours du charbon (indice australien), du gaz naturel (indice américain) et du pétrole (Brent) ont en effet augmenté respectivement de 150%, 65% et 42% en 2022. Pour la région, l’impact direct du conflit entre la Russie et l’Ukraine s’est limité à quelques lignes de produits à l’import (engrais, dont la Russie est le 3ème fournisseur de la région, et céréales ukrainiennes) comme à l’export, bien que les industries électroniques et textiles du sud-est asiatique ont récemment commencé à pâtir de la baisse de la demande en provenance d’Europe et des Etats-Unis. L’impact indirect de la guerre a, lui, été beaucoup plus important, via le canal des cours des hydrocarbures et des produits alimentaires (alimentation humaine et animale) (voir note SER : « Impact du conflit entre la Russie et l’Ukraine sur les économies de l’ASEAN », février 2022). Les pays les plus résilients de la région ont ainsi été les pays exportateurs nets de pétrole ou de gaz naturel (Malaisie, Brunei), de charbon (Indonésie), ainsi que les pays exportateurs nets de produits alimentaires (huile de palme en Indonésie et Malaisie, café et riz (principalement) au Vietnam, Laos et Timor-Oriental). Les pays les plus dépendants de leurs imports (i.e. Thaïlande, Philippines, cf. Annexe 5) ont, à l’inverse, accusé des déficits commerciaux importants. Enfin, de façon notable, la faible croissance de la Chine en 2022 (+3,0%) a eu des effets inégaux sur ses partenaires commerciaux (cf. Annexe 6) : les exportations de l'Asie du Nord vers la Chine ont faibli tandis que celles du Sud-Est asiatique ont mieux résisté. Cela tient à la différence de nature des biens exportés entre les régions : les exportations du Sud-Est sont dominées par les biens essentiels et les produits de base, tandis que celles des pays du Nord sont portées par l’électronique et les semiconducteurs, secteurs en baisse de cycle depuis 2021.

 

4.   La reprise graduelle du tourisme a contribué à alimenter la reprise dans les économies reposant sur de secteur. Suivant la politique de réouverture de Singapour entamée fin 2021, les pays de la zone ont opéré un changement progressif de stratégie face à l’affaissement du nombre de cas de Covid-19, permettant une progression du nombre d’arrivées en 2022 dans la région, particulièrement forte en Thaïlande et en Malaisie (cf. Annexes 7 et 8). L’absence de touristes chinois (près d’un quart des touristes dans l’ASEAN en 2019) limite néanmoins la reprise complète du secteur, difficulté à laquelle s’ajoutent le manque de capacités de certaines compagnies aériennes et le renchérissement des coûts du transport. En Thaïlande, où le tourisme représente 20% du PIB, on dénombrait en 2022 11,5 millions de Chinois sur les 39 millions de touristes recensés en 2019, soit 29% du total. Malgré leur absence, l’institut de recherche AMRO estime que le tourisme régional serait revenu à près de la moitié de son niveau d’avant crise en septembre 2022. Selon une étude de février de Natixis, un retour du tourisme chinois aux niveaux d’avant crise à moyen ou long terme serait particulièrement positif pour le Cambodge (3,9 points de PIB supplémentaires), la Thaïlande (3 pts) et le Laos (1 pt), faisant écho aux estimations pour le Vietnam de la société d’investissement VinaCapital publiées en décembre (2 pts).

 

5.  Les pressions inflationnistes se sont intensifiées dans l’ASEAN, mais les grandes économies de la région se sont, dans l’ensemble, montrées relativement résilientes (cf. Annexes 9 et 10). Selon le FMI, l’inflation dans l’ASEAN a été plus de deux fois supérieure en 2022 à son niveau de 2021 (+5,1% vs +2,0%) ainsi qu’à Singapour (+5,5% vs +2,3%) - mais inférieure à l’inflation européenne (+9,2%) et américaine (+8,1%). En 2023, l’inflation déclinerait (+4,5% dans l’ASEAN) du fait du ralentissement de l’activité dans les pays avancés et de l’atténuation de l’effet de base. L’énergie et l’alimentaire ont été les deux principaux contributeurs de la hausse des prix dans la région. Les pays les plus dépendants sur le plan énergétique tels que Singapour (dépendante à 99% de ses imports), les Philippines et la Thaïlande ont été les plus exposés aux pressions inflationnistes. Avec l’énergie, l’alimentaire est la composante ayant le plus contribué à la hausse des prix, notamment dans l’archipel philippin du fait de sa vulnérabilité sur le plan alimentaire. En Birmanie et au Laos, les pressions inflationnistes extérieures s’ajoutent à l’effondrement de la monnaie locale due à la forte instabilité macroéconomique ou politique.

 

6.   Malgré la fragilisation des économies suite à la pandémie, la plupart des banques centrales ont décidé de resserrer leur politique monétaire dès le 2ème trimestre dans le sillage de la Fed,afin de limiter le choc d’inflation importée (cf. Annexe 11). Singapour, ayant resserré sa politique à cinq reprises entre fin 2021 et fin 2022, se démarque par son avance dans le cycle monétaire. Sa politique se distingue dans la mesure où l’ouverture commerciale de l’économie (plus de trois fois le PIB) confère au taux de change le rôle de principal instrument de la politique monétaire. La banque centrale des Philippines a été de loin la plus réactive en raison du risque d’inflation importée dans l’archipel : la monnaie locale y a dévissé davantage que dans les autres pays de la région, alors même qu’elle est l’une des économies les plus exposées à la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation (Annexe 15). Le taux directeur y a été relevé de 350 points de base entre mai et décembre, contre 75 à 200 pdb dans le reste de la région (Annexe 12). A l’inverse, la banque centrale de Thaïlande, en sus d’avoir réagi parmi les dernières de la région, est l’institution qui a le moins relevé ses taux. Cela s’explique par sa position décalée par rapport aux autres économies de la zone dans le cycle de reprise économique, du fait de sa dépendance très forte au tourisme : après avoir enregistré en 2021 la croissance la plus faible de la région (hors Birmanie), les autorités ont cherché en priorité à ne pas fragiliser la reprise par une remontée des taux trop rapide. Les effets de la hausse des taux pourraient continuer de se faire ressentir en 2023, freinant la croissance de la consommation de pays tels que la Thaïlande et la Malaisie où la dette des ménages est très élevée (près de 90% du PIB).  

 

7.   Après deux années de dépenses exceptionnelles pour la plupart des pays de la région, l’année 2022 marquerait le retour à une certaine discipline budgétaire, bien que leurs dettes publiques se soient sensiblement dégradées pendant la crise sanitaire. Selon le FMI, la plupart des pays de l’ASEAN parviendraient en effet à réduire leur déficit public en 2022 par rapport à 2021 mais celui-ci resterait supérieur à la moyenne d’avant crise. Selon l’institution internationale, la Birmanie (-5,4% du PIB), la Thaïlande (-4,4%), le Cambodge (-4,3%), et les Philippines (-3,4%) afficheraient les déficits budgétaires les plus importants en 2022, tandis que la Malaisie (-2,7%), le Laos (-2,1%) et l’Indonésie (-1,7%) resteraient sous la barre des 3% du PIB (cf. Annexes 13 et 14). Ces derniers ont en effet bénéficié de la bonne collecte des taxes sur les ventes de produits de base. Seuls Brunei (+1,7%), le Vietnam (si l’on tient compte de certaines recettes exceptionnelles, sachant que le FMI considère, lui, que le déficit budgétaire atteindrait 3,6% du PIB…) et Singapour (+1,4%) termineraient l’année sur un excédent budgétaire. Le retour à la discipline budgétaire est toutefois retardé par la mise en place de politiques de soutien face aux effets de l’inflation, alors que la plupart des pays en finissaient à peine avec les paquets budgétaires liés à la crise sanitaire, qui ont conduit à une forte hausse des niveaux de dette publique dans la zone (+22,3 et +20,4 points de PIB en Philippines et en Thaïlande entre 2019 et 2022). Les niveaux de dette restent relativement limités (moins de 60% du PIB en moyenne dans l’ASEAN-5[1] en 2022), mais dans un contexte marqué par la faiblesse structurelle des recettes fiscales rapportées au PIB (ASEAN-8 : 15,0%[2] en 2020), très inférieures à la moyenne de l’OCDE (33,5%, voir note SER : « Enjeux liés à l’accroissement des recettes fiscales dans l’ASEAN » octobre 2022). En 2023, le maintien de pressions inflationnistes pourrait inciter les gouvernements à soutenir les populations en votant des mesures de soutien, ce qui ralentirait encore la trajectoire de consolidation.

 

8.   Les devises régionales se sont dépréciées face au dollar en 2022, mais dans une ampleur moindre par rapport au yen (-18,4%), au yuan (-9,5%) ou à l’euro (-9,5%) – cf. Annexe 15. Le dollar singapourien est la seule devise s’étant appréciée (+0,9%) grâce à l’action de la banque centrale qui a calqué ses interventions sur celles de la Fed. Dans le reste de région, les devises s’étant le plus érodées sont le peso philippin (-9,6%), la rupiah indonésienne (-9,0%), le ringgit malaisien (-4,7%), le baht thaïlandais (-3,6%), et le dong vietnamien (-2,0%). Certaines devises ont connu des épisodes de forte volatilité, à l’instar du ringgit, dont l’évolution a été marquée en octobre et novembre par l’incertitude entourant l’élection du nouveau Premier ministre. De même, le baht, initialement boudé par les investisseurs, s’est apprécié face au dollar à partir de la mi-octobre, grâce à un afflux de touristes étrangers plus important qu’anticipé (10,8 millions de touristes en 2022 vs 430 000 en 2021). Les réserves de change ont été la première ligne de défense des banques centrales de la région face à la dépréciation des devises. Selon la base de données économiques CEIC, les réserves de l’ASEAN-5 (ID, MY, PH, TH, SG) ont décliné de 966 Mds USD en décembre 2021 (équivalent de 8,2 mois d’importations) à 787 Mds USD en décembre 2022 (~7,3 mois d’importations) – cf. Annexe 16.

 

9.   En dépit des risques conjoncturels, les sorties de capitaux sont restées limitées jusqu’à la fin 2022 – cf. Annexe 17. Cela est dû à la perception d’une région plus résiliente que lors des crises passées (crise de 1997, taper tantrum de 2013) grâce à, entre autres, i) l’accumulation de réserves de change au-delà des seuils recommandés par le FMI, ii) des niveaux d’endettement public en devises et vis-à-vis des étrangers plus faibles, iii) l’amélioration des équilibres externes, notamment les comptes courants (i.e. Indonésie, cf. Annexe 18), mais également à iv) la hausse des taux d’intérêts qui a permis de limiter l’écart croissant avec les taux de la Fed. À ces facteurs s’ajoute l’existence d’un swap multilatéral (Chiang Mai Initiative) agissant comme filet de sécurité supplémentaire en cas de pénurie de liquidités dans la région. Les sorties de capitaux se sont surtout matérialisées en fin d’année. D’après les données de la balance des paiements, l’Indonésie a subi des sorties nettes de capitaux de 6,1 Mds au 3ème trimestre, pour le 4ème trimestre consécutif – bien qu’un relâchement des pressions ait été constaté au T4 -, tandis que la Malaisie et la Thaïlande ont enregistré des sorties nettes de capitaux pour la 1ère fois depuis le 2ème trimestre 2021 (respectivement -3,3 et -3,6 Mds USD). La volatilité des investissements de portefeuille est parfois compensée par la résilience des IDE, bénéficiant du contexte de réorganisation des chaînes de valeur régionales et mondiales post-Covid.

 

10.   Par rapport au reste du monde, les principales bourses sud-est asiatiques sont restées solides, bien que les conditions de financement se soient détériorées sur les marchés obligataires. La résilience des marchés actions s’illustre par l’évolution de l’indice de référence MSCI AC ASEAN (cf. Annexe 19) qui comprend les grandes et moyennes capitalisations des cinq places financières de la zone (Singapour, Indonésie, Malaisie, Philippines et Thaïlande). Sur l’année 2022, l’indice MSCI AC ASEAN a en effet reculé de seulement 4,1%, à comparer au recul de l’indice mondial MSCI World (-17,7%) ou de l’ensemble des pays émergents (MSCI Emerging Markets : -20,1%). Sur le marché obligataire, les conditions financières se sont en revanche détériorées (cf. Annexe 20 pour le cas des taux longs indonésiens), notamment en milieu d’année, en écho au resserrement monétaire aux États-Unis et reflétant l’écart de taux entre économies émergentes et économies développées. Selon la BAsD, la hausse des taux a été particulièrement significative au Vietnam (+168 pdb entre le 31 août et le 4 novembre 2022).

 

[1] Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande, Vietnam.

[2] Cambodge, Singapour, Thaïlande, Laos, Indonésie, Malaisie, Vietnam, Philippines. Source : OECD Revenue Statistics in Asia and the Pacific 2022.


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