Après un rebond spectaculaire de sa croissance en 2021 (+8,9%), induit par la reprise économique post-pandémie (-3,9% en 2020), Singapour enregistre en 2022 une performance plus modérée mais néanmoins solide, avec un PIB en hausse de 3,6% sur l’année, au-dessus des prévisions gouvernementales et des niveaux affichés avant la crise sanitaire. Cette baisse relève principalement d’un ralentissement de la croissance du secteur manufacturier (+2,5% contre +13,3% en 2021), en raison de la diminution de la demande mondiale, particulièrement en électronique. Le secteur des services affiche, lui aussi, une progression plus faible (+4,8% contre +7,6% en 2021). En dépit du contexte international qui s’est traduit par des pressions toujours élevées sur le coût de la vie, le resserrement de la politique monétaire et le ralentissement de la consommation intérieure, Singapour est parvenu à maintenir la dynamique de reprise. En 2023, les autorités anticipent une croissance plus limitée, comprise entre 0,5% et 2,5%, eu égard au déclin attendu de la croissance mondiale.

I. La croissance reste solide en 2022, en dépit de la dégradation de la conjoncture internationale…

Après un fort rebond du PIB de l’ordre de 8,9% enregistré en 2021, la reprise économique de Singapour s’est atténuée en 2022, se soldant par une progression du PIB de 3,6%, d’après les données révisées du ministère du Commerce et de l’Industrie (MTI) en février 2023. Si cette performance reste en deçà de la croissance moyenne d’environ 5% observée sur la décennie 2010-2019, elle excède néanmoins les niveaux atteints dans les deux années ayant précédé la crise sanitaire ainsi que les dernières prévisions officielles (3,5%), qui avaient été sensiblement abaissées compte tenu du contexte de ralentissement du commerce mondial et des effets du conflit russo-ukrainien (hausse des cours de l’énergie et des prix alimentaires). En rythme trimestriel, la croissance a connu un ralentissement plus marqué en fin d’année (+2,1% g.a. au T4 après +4,0% g.a. au T3) coïncidant avec la baisse de la demande extérieure et la fin de la politique zéro-covid en Chine.

La production de biens (25,4% du PIB en 2022, en valeur nominale) a progressé à un rythme plus modéré qu’en 2021 (+2,5% contre +13,3%), reflétant la baisse de la demande extérieure due au ralentissement de l'économie mondiale. L’activité a été freinée par une contraction de 2,6% en glissement annuel au 4ème trimestre dans le secteur manufacturier – principalement dans les secteurs de l'électronique, de la chimie et du biomédical, résultant en une performance moyenne de +2,5% sur l’année, alors que le secteur de la construction a continué à se redresser (+6,7% en 2022). L’indice PMI de S&P a par ailleurs chuté pour Singapour sous le seuil de 50,0 en décembre (49,1), témoignant d’un recul de l’activité dans l’industrie. Du côté des services, la croissance de la production (71,3% du PIB en 2022) a également ralenti : +4,8% après +7,6% en 2021. Grâce à la réouverture des frontières et l’assouplissement des conditions d’entrée, l’afflux de voyageurs (6,3 millions d’arrivées enregistrées en 2022) a contribué à relancer le secteur des services, bien que ce chiffre ne représente qu’un peu plus du tiers des arrivées pré-Covid (19,1 millions). Les autorités prévoient 12 à 14 millions d’arrivées en 2023.

Après avoir affiché la reprise la plus forte de la région en 2021, la croissance s’établit à un niveau inférieur à celle de l’ASEAN, estimée à +5,3% (calcul SER, d’après les chiffres du FMI). Cela s’explique par le décalage dans la sortie de la crise sanitaire avec le reste de la région, Singapour ayant retiré plus tôt que ses voisins certaines de ses mesures sanitaires, du fait de sa couverture vaccinale déjà élevée (plus de 80% dès l’été 2021). La spécialisation de son industrie sur des secteurs à forte valeur ajoutée – chimie/pharmacie et semi-conducteurs -a continué d’être un moteur de croissance 2022.

II. … et d’une inflation au plus haut niveau depuis la crise financière de 2008

Restée maîtrisée en 2021 à (+2,3% en g.a), l’inflation en 2022 s’est envolée à +6,1%1 du fait de la hausse des prix des matières premières induite par la guerre russo-ukrainienne, atteignant ainsi son plus haut niveau depuis 2008. L’inflation sous-jacente – excluant l’évolution des frais de logement et de transport routier privé – est estimée à 4,1% en moyenne sur l’année 2022. Outre l’effet de base, la pénurie de l’offre de travail dans certains secteurs, une pression croissante à la hausse des salaires, les tensions sur les prix immobiliers et les effets de la crise sanitaire sur le secteur des transports ont exercé de fortes pressions inflationnistes, qui ont poussé l’Autorité Monétaire de Singapour (MAS) à procéder à un resserrement progressif de sa politique monétaire à partir d’octobre 2021. Cela a contribué à préserver une relative stabilité du dollar singapourien par rapport au dollar US, ce qui a limité considérablement l’inflation importée par rapport à d’autres pays de la région. Après un 5ème resserrement en octobre 2022, la banque centrale s’attend désormais à une inflation globale comprise entre 5,5 et 6,5% en 2023 (entre 3,5 et 4,5% pour l’indice sous-jacent), effet de la hausse de la TVA compris (taux augmenté de 7% à 8% depuis le 1er janvier 2023), avant une éventuelle atténuation au 2ème semestre.

Les prix des biens immobiliers à Singapour ont considérablement augmenté depuis le début de la crise sanitaire. Selon l’agence gouvernementale en charge de l’urbanisme (Urban Redevelopment Authority), les prix des logements privés, tous segments confondus, ont progressé de 8,4% sur l’ensemble de l’année, contre +10,6% en 2021, ce qui a conduit à une hausse générale des loyers (renforcée par des transferts massifs depuis Hong Kong et la Chine), de près de 50% selon l’indice de l’agence immobilière SRX depuis avril 2020. Cette situation s’explique notamment par le ralentissement des chantiers, l’accès à la main d’œuvre étrangère étant rendu difficile par les mesures strictes aux frontières, ainsi que l’accroissement de la demande intérieure de logements, alimentée par l’essor du télétravail depuis le début de la pandémie.

III. L’équilibre budgétaire repose en grande partie sur les revenus issus du placement des réserves

En 2022, les autorités ont renforcé les dépenses publiques à 102,4 Mds USD, en hausse de 4,1% par rapport à l’exercice de 2021, d’après les estimations du MTI. En l’espèce, le gouvernement a décidé en novembre de porter à 5,8 Mds USD l’enveloppe d’1 Md USD de l’« Assurance Package » dédiée au soutien des ménages les plus modestes. Le gouvernement cherche ainsi à compenser, en sus des effets de l’inflation, la perte de pouvoir d’achat induite par la hausse de la TVA (la GST), prévue en deux fois : d’abord de 7% à 8% cette année, puis en janvier 2024 de 8% à 9%.

Malgré la hausse des dépenses publiques, l’année fiscale 2022 devrait marquer un quasi-retour à la normale, avec un retour à l’excédent budgétaire, que le FMI estime à 1,4% cette année et 2,0% en 2023 (après -0,2% en 2021 et -6,9% en 2020). Afin d’équilibrer le budget, l’État recourt habituellement aux « Net Investment Return Contributions » (NIRC) provenant des revenus des réserves gérées par Temasek, GIC et la MAS (pour 21,6 Mds SGD en 2022, soit 3,3% du PIB). Bien qu’élevée, la dette publique brute (~185% du PIB au T3 2022) de Singapour n’est pas considérée comme un facteur de risque du fait de sa nature purement « domestique » ainsi que du montant nettement supérieur des actifs détenus par l’État : réserves de change et actifs des fonds souverains totaliseraient plus de 1 000 Mds USD.  

IV. Un marché de l’emploi tendu, avec un nombre record de postes vacants

La baisse du taux de chômage (2,1% en 2022, après 2,7% l’année précédente, soit un niveau proche d’avant crise), révèle un déséquilibre entre l’offre et la demande de travail. Le durcissement de la politique migratoire entraîne des difficultés de recrutement dans certains secteurs, en particulier dans la construction, l’industrie et l’informatique. En septembre, le ministère du Travail estimait à 110 500 le nombre d’emplois non pourvus (en hausse après un montant record de 98 700 postes enregistrés en 2021), soit un ratio de 2,2 emplois vacants par demandeur d’emploi. À terme, la situation apparaît d’autant plus préoccupante que la croissance démographique a atteint un plus bas historique sur la dernière décennie (+1,1%) et que le vieillissement de la population tend à s’accélérer (+9% de plus de 65 ans sur les 10 dernières années) tandis que le recours à la main d’œuvre étrangère est encadré de manière de plus en plus stricte.

V. Le ralentissement de la croissance devrait être davantage marqué en 2023

Face au risque de récession mondiale, les autorités singapouriennes se montrent très prudentes sur les perspectives 2023, avec une croissance du PIB attendue entre 0,5 et 2,5%, en phase avec les prévisions du FMI de 1,5% (dernière révision de janvier) et de la Banque mondiale (1,0%). Selon les économistes de la banque Nomura, la croissance en 2023 dépasserait à peine plus de la moitié de la fourchette annoncée par les autorités, à +1,4%. Les économistes interrogés par la MAS dans son enquête trimestrielle de décembre tablent sur +1,8%, anticipant un déclin de la croissance mondiale qui devrait affecter particulièrement l’économie fortement exposée de Singapour, position partagée par le secteur privé français (CA-CIB, la Coface…). La Banque asiatique de développement se montrait plus optimiste en décembre, avec une prévision de +2,3%.


1 Selon les chiffres de février du MTI et de la MAS

Annexes

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