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Zoom sur la situation économique et financière du Kazakhstan

Le Kazakhstan, première économie de la zone Asie centrale (PIB nominal de 197,1 Md USD et PIB par habitant de 10 306 USD en 2021 selon le FMI) affiche un bilan macroéconomique contrasté en 2022. Après une forte reprise en 2021, la croissance de l’économie kazakhstanaise a ralenti du fait d’une série de chocs internes et externes (révolte de janvier, hausse des prix, perturbation des chaînes d’approvisionnement consécutives à l’invasion de l’Ukraine par la Russie). L’impact de ces aléas a néanmoins été atténué par l’envolée des prix du pétrole, qui a permis le financement de mesures de soutien à l’économie et une amélioration des comptes publics et externes grâce au surplus de recettes d’exportation. Les perspectives de croissance, marquées par une incertitude élevée, sont tributaires de plusieurs éléments, dont la maîtrise de l’inflation, qui enregistre une très forte hausse depuis le début de l’année malgré le resserrement de la politique monétaire ; la réduction de la dépendance commerciale à la Russie, qui demeure significative en dépit de la stagnation des échanges bilatéraux ; le redémarrage de l’industrie pétrolière, pénalisée par une série d’incidents en 2022 ; à plus long terme, la diversification de l’économie, qui repose encore largement sur les revenus tirés des exportations d’hydrocarbures. 

1. Les effets du ralentissement de la croissance ont été modérés par l’excédent de revenus pétroliers

A. La croissance a marqué le pas en 2022, conséquence des difficultés du secteur extractif.

La croissance aurait ralenti à 3,1% en 2022[1], contre 4,1% l’année précédente. Inférieure à la moyenne annuelle observée entre 2010 et 2021 (3,8%), l’augmentation du PIB réel apparaît faible compte tenu de l’envolée du cours du pétrole, dont les variations étaient fortement corrélées à celle de l’activité au cours des dix dernières années[2] (voir graphique 1). La désynchronisation de ces variables en 2022 témoigne des difficultés rencontrées par l’économie kazakhstanaise, et notamment le secteur extractif : sa contribution à la croissance sur les 9 premiers mois de l’année (+3% en g.a.) a été quasi-nulle, contrairement à celle du commerce (contribution de 0,6 p.p.), de l’industrie manufacturière (0,6 p.p.) et des services (0,5 p.p.) (voir graphique 2). Sur l’ensemble de l’année 2022, la production industrielle a augmenté de 1,4% en g.a., dont une baisse de 1% pour l’industrie extractive[3] et une hausse de 3,4% pour l’industrie manufacturière. Elle était en baisse de 2,8% en décembre en g.a. (-1,8% pour le secteur extractif et -4,9% pour l’industrie manufacturière). L’activité a été plus soutenue dans les autres secteurs d’activité, notamment la construction (+9,4% en g.a.), l’agriculture (+8,5% en janvier-novembre) et le commerce (+5% en 2022). Du point de vue de la demande, l’investissement en capital fixe a progressé de 7,9% en 2022, soit plus que l’année précédente (+3,5% en g.a. en 2021), mais la demande des ménages a faiblement progressé, avec une hausse des ventes de détail de 2,1% en g.a. (cf point 2.A.).

 

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Dans l’hypothèse d’une normalisation de la situation de l’industrie extractive[4], la croissance accélérerait à +4,7% en 2023 selon le FMI. La Banque nationale du Kazakhstan a, pour sa part, revu à la baisse sa prévision de croissance à 3-4% en 2023[5] (contre 4-5% précédemment) sur la base d’un rétablissement de la production de pétrole plus lent que prévu.

       B. Le surplus de revenus pétroliers a permis un rééquilibrage des comptes publics et externes et le financement de mesures de soutien à l’économie.

Le compte courant devrait ressortir en excédent en 2022 pour la première fois depuis huit ans. L’excédent courant atteindrait 3,1% du PIB selon le FMI, et 2,9% selon la Banque centrale, contre un déficit de 4% en 2021. Cette évolution est principalement imputable à la hausse des exportations de pétrole brut en valeur, qui, selon le FMI, augmenteraient de 56,6% en g.a. à 48,7 Md USD, permettant de dégager un excédent commercial (hors services) de 40,5 Md USD (+41,1%). Sur les 11 premiers mois de l’année, les exportations totales ont augmenté de 42,4% en g.a. à 77,6 Md USD, tandis que les importations ont progressé plus lentement à 44,6 Md USD (+20,1%). L’excédent commercial est en partie contrebalancé par une hausse des sorties nettes de revenus, qui devrait s’établir à 31,2 Md USD en 2022 (+25,6% en g.a.) (voir graphique 3). Ces dernières reflètent essentiellement la hausse des bénéfices des investisseurs étrangers présents dans le secteur extractif, qui se traduit en comptabilité nationale par une sortie de capitaux. En 2023, le compte courant devrait se maintenir en excédent à 2,2% du PIB selon le FMI (1,8 à 3,3% selon la Banque nationale du Kazakhstan).

Le déficit public a été considérablement réduit en 2022 et devrait s’établir à -0,5% du PIB[6] selon le FMI, contre -5% en 2021. La croissance rapide des recettes publiques (+59,5% en g.a., 22 897 Md KZT, 22,1% du PIB[7]) a été soutenue par les revenus pétroliers, qui ont plus que doublé en valeur et se seraient établis à 9111 Md KZT, soit 8,8% du PIB (contre 5,3% en 2021). Leur part dans les recettes budgétaires totales aurait ainsi augmenté de 31,2% en 2021 à 39,8% en 2022. Les autres recettes fiscales ont augmenté plus modérément à +40,9% en g.a. Cet afflux de recettes a notamment permis le financement d’une augmentation de la dépense publique de 2,5 points de PIB inscrite dans le budget révisé en cours d’année. Au total, elle atteindrait 22 852 Md KZT (22,1% du PIB), en hausse de 26,2% en g.a (voir graphique 4).  En 2023, la hausse des dépenses budgétaires devrait être plus contenue dans le cadre de la nouvelle règle budgétaire[8], tandis que la part des recettes non pétrolières devrait augmenter grâce à l’amélioration de la collecte fiscale, et en raison de l’impact, sur les revenus pétroliers, de la stabilisation attendue des prix de l’énergie.

Le Kazakhstan conserve par ailleurs d’importantes coussins macroéconomiques, dont des réserves de change estimées à 35,1 Md USD en décembre 2022 (+2% depuis le début de l’année), soit environ 7,6 mois d’importations, et un Fonds souverain approvisionné à hauteur de 55,7 Md USD (+0,7%). Ces réserves sont supérieures au montant de la dette publique, faible à 24,6% du PIB fin septembre 2022 (environ 53 Md USD). La dette externe totale du pays est cependant élevée à 160,9 Md USD, soit 71,7% du PIB prévisionnel en 2022. 

 

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2. La trajectoire de croissance à court et moyen terme est affectée d’une forte incertitude

A. Le niveau élevé de l’inflation renforce les risques socio-économiques

Le Kazakhstan affiche le taux annuel d’inflation le plus élevé de l’Union économique eurasiatique[9]. Il s’est établi à 20,3% en décembre 2022, contre 8,5% au début de l’année. S’agissant de l’offre, l’inflation est soutenue par plusieurs facteurs extérieurs, dont la hausse des prix alimentaires mondiaux, la dépréciation du tenge par rapport au dollar (-7,4% en g.a. en 2022 en moyenne) et surtout au rouble russe (-13,7%) conduisant à un renchérissement des importations depuis la Russie, qui s’ajoute aux coûts supplémentaires associés à la perturbation des circuits logistiques par la guerre en Ukraine. Le cercle inflationniste a également été entretenu par le dynamisme des salaires réels au 1er semestre[10] (+12,7% en g.a. au 1er trimestre, +8,9% au 2e trimestre) et la croissance rapide du crédit (+24,5% en g.a. en novembre). Du côté de la demande, l’afflux de citoyens russes à la suite de l’annonce de la mobilisation partielle a provoqué une hausse du coût du logement. Les anticipations d’inflation à 12 mois des ménages se maintiennent à un niveau très élevé (24% en décembre 2022) (voir graphique 5).

Les mesures adoptées par les autorités n’ont pas permis pour le moment de stabiliser l’inflation. La Banque nationale du Kazakhstan a relevé son taux directeur à 6 reprises en 2022 pour un total de 700 points de base à 16,75% et a procédé à des ventes de devises sur le marché des changes[11] pour limiter la volatilité du taux de change. Les dépôts en monnaie nationale ont bénéficié de subventions afin de prévenir le risque de dollarisation de l’économie[12]. Des mesures administratives ont également été mises en œuvre, en particulier des restrictions temporaires sur l’exportation d’or, de devises[13] et d’un certain nombre de produits de base (blé, sucre, carburant, etc.), ainsi que le gel du prix du carburant et un moratoire sur la hausse des tarifs de l’énergie. Ces mesures sont jugées inappropriées par le FMI du fait de leurs conséquences potentielles sur la production, du risque de rétorsion de la part des économies partenaires et de leur pérennisation. Pour l’heure, l’inflation n’a pas enregistré d’inflexion notable et devrait poursuivre son augmentation au 1er trimestre 2023 avant de commencer à décroître pour atteindre 11-13% d’ici la fin de l’année 2023. Le retour à la cible (4-6%) ne se ferait pas avant 2025.

L’inflation pèse sur les revenus réels de la population et son niveau d’endettement. La croissance des revenus réels a ralenti de 7% au 1er trimestre à 3,5% en janvier-septembre 2022 en g.a. Au 3e trimestre 2022, les revenus réels étaient inférieurs de 3,2% à leur niveau du 1er trimestre, et de 6,5% à leur niveau de la fin de l’année 2021. Dans ce contexte d’érosion des revenus des ménages, la consommation s’est maintenue grâce à un recours accru au crédit, avec un portefeuille de prêts aux ménages en hausse mensuelle moyenne de 39,8% en g.a. sur la période janvier-novembre 2022 (+34,7% en novembre), dont une hausse moyenne de 47% pour les crédits hypothécaires, et de 32,7% pour les crédits à la consommation. Cette situation ne menace pas pour l’heure la stabilité du secteur bancaire (voir 2.B.), mais a entraîné une hausse du nombre de ménages en situation de détresse financière : selon le FMI, environ 1,5 million d’emprunteurs, soit environ 8% de la population kazakhstanaise, possèdent des crédits à la consommation ayant expiré depuis 90 jours ou plus.

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B. La vulnérabilité à l’égard de la Russie demeure un facteur d’imprévisibilité

Le modèle de croissance actuel se caractérise par une double dépendance sectorielle – aux hydrocarbures – et géographique – à la Russie, principal fournisseur de biens et point de passage clé pour les exportations d’hydrocarbures. La dépendance à l’égard de la Russie n’a pas significativement diminué en 2022 et se manifeste essentiellement via le canal du commerce extérieur. Sur les 9 premiers mois de l’année 2022, les importations en valeur depuis la Russie vers le Kazakhstan ont été stables (+0,8% en g.a.) et la Russie est restée le principal fournisseur du Kazakhstan à hauteur de 36% de ses importations totales, contre 42% sur la même période de 2021. La baisse de la part de la Russie est avant tout liée aux biens non alimentaires : les importations de biens d’investissements ont diminué de 14% en g.a. (17,6% du total, -3 p.p. en g.a.), baisse qui n’est que partiellement compensée par d’autres fournisseurs[14]. La substitution est plus significative pour les importations de biens intermédiaires, qui ont augmenté de 4% depuis la Russie (46,8% du total, -7,4 p.p. en g.a.), et de 40% depuis le reste du monde. La part de la Russie dans les importations de biens de consommation non alimentaires a enregistré la plus forte baisse à 22,9% (-8,2 p.p.), tandis que celle des biens alimentaires a légèrement décliné, mais reste élevée à 48,2% du total (- 2,5 p.p.). Au total, selon le FMI, la récession russe prévue en 2023 pourrait contribuer à une baisse de la croissance kazakhstanaise de 0,8 point de PIB.

Le départ des banques russes a accru la concentration du système bancaire et le poids de l’État dans celui-ci. Deux des trois filiales de banques russes actives au Kazakhstan ont été rachetées par des acteurs locaux, dont Sberbank par le holding d’État Bayterek[15]. Les banques détenues directement par l’État représentent désormais 11,5% des actifs du secteur bancaire, contre 6,7% en 2021. La concentration du secteur bancaire a augmenté du fait de ces évolutions[16] ce qui, selon le FMI, pourrait conduire à une baisse de la concurrence sur le marché bancaire. Le secteur a du reste bien résisté à l’impact des sanctions internationales contre la Russie : les actifs totaux ont poursuivi leur progression à +17,2% en g.a. à 43 057 Md KZT (41,9% du PIB) au 1er décembre 2022, tandis que les bénéfices nets ont augmenté de 12,1% en g.a. à 1302 Md KZT. Les indicateurs de stabilité financière se maintiennent également à des niveaux satisfaisants, avec un taux de crédits non performants à plus de 90 jours s’établissant à 3,6% début décembre 2022 (-0,3 p.p. en g.a.) et un respect des critères prudentiels par l’intégralité des banques, exception faite de Bereke Bank (anciennement Sberbank).


[1] Estimation préliminaire du ministère du Développement économique.

[2] Ce résultat s’avère toutefois meilleur que les prévisions du FMI (+2,7%), signe d’une certaine résilience de l’économie dans un contexte défavorable.

[3] L’extraction de pétrole brut a reculé de 1,9% en g.a. en 2022. L’année a été émaillée d’incidents ayant affecté plusieurs sites d’extraction majeurs (Kashagan, Tengiz) en plus des travaux prévus sur le site de Karachaganak. L’oléoduc acheminant le pétrole de la Caspienne jusqu’au port russe de Novorossiysk a subi plusieurs interruptions d’activité.

[4] Normalisation de la production pétrolière au 4ème trimestre 2022 et reprise d’activité avant la fin 2023 du champ pétrolifère de Tengiz à l’issue des travaux d’extension de ce dernier.

[5] Prévision de 3,8% dans le dernier sondage macroéconomique de la Banque nationale du Kazakhstan.

[6] Les données préliminaires du ministère des Finances kazakhstanais font ressortir un déficit plus significatif à 2,1% du PIB.

[7] Prévisions du FMI pour 2022.

[8] Selon cette règle, la hausse des dépenses publiques ne peut dépasser la somme de la croissance moyenne du PIB sur les 10 dernières années et de la cible moyenne d’inflation de la banque centrale (5%).

[9] A titre de comparaison, elle s’élevait à 8,3% en Arménie, 11,9% en Russie et 14,7% au Kirghizstan en décembre.

[10] Le taux de chômage est par ailleurs faible et stable à 4,9% au 3ème trimestre.

[11] 1,4 Md USD de ventes nettes entre janvier et mai 2022, dont 990,5 Md USD en mars. La banque centrale n’était pas intervenue sur le marché des changes en 2021.

[12] Les dépôts des ménages ont chuté de 7,6% entre février et mai, mais se sont rétablis par la suite. Ils atteignaient 15 672 Md KZT au 1er novembre, en hausse de 21,9% en g.a. (+24% pour les dépôts en monnaie nationale, +18,1% pour les dépôts en devises).

[13] Dont l’obligation pour les entreprises d’État de revendre une partie de leurs recettes d’exportations en devises et la limitation à 10 000 USD et 100 g d’or des exportations physiques de devises.

[14] Par exemple, les importations de machines et équipements depuis la Russie ont baissé de 9%, et n’ont augmenté que de 1% depuis les autres pays.

[15] Outre Sberbank, anciennement deuxième banque du secteur par les actifs, Bayterek détient la banque Otbasy, quatrième banque du pays en 2022. Eco Center Bank, filiale d’Alfa-Bank (2,4% des actifs du secteur bancaire) a été rachetée par la banque privée Tsentr Kredit, tandis que la filiale de VTB au Kazakhstan poursuit ses activités.

[16] 73% des actifs concentrés dans les six premières banques (contre 70% fin 2021) et 52% dans les trois premières (contre 51% fin 2021).