Les solutions d’énergies renouvelables hors-réseau en AEOI : une nécessité sociale, économique et climatique, porteuse d’opportunités

Afin d’améliorer l’accès à l’électricité l’Agence Internationale de l’Energie estime que les solutions d’énergies renouvelables décentralisées – mini-réseaux, solutions autonomes résidentielles ou commerciales - constituent des moyens privilégiés d’augmentation des taux d’électrification en zones rurales et isolées. Malgré la présence d’un grand nombre d’acteurs concurrents actifs dans ces secteurs -  encore largement financés par les bailleurs - les entreprises françaises sont déjà implantées et reconnues dans la région.

 

L’accès à l’électricité pour tous constitue un enjeu socio-économique majeur en AEOI

Les taux d’accès à l’électricité, bien qu’en augmentation constante ces dernières années, sont très inégaux dans la région. Si certains pays sont relativement proches d’atteindre l’accès universel (Kenya 75,0 % ; Rwanda, 75,3 %), des efforts très importants restent à poursuivre pour d’autres (Tanzanie, 39,9% ; Ouganda, 42,1% ; Madagascar, 33,7%), tandis que le Burundi se démarque par un taux d’accès particulièrement faible (11,7%). Améliorer l’accès à l’électricité, à un prix abordable, notamment en zone rurale, pour les 95 millions de personnes qui n’en disposent pas en Afrique de l’Est (51,7 % de la population totale) et les 18,3 millions de malgaches, est un enjeu de développement social et économique majeur alors que la croissance démographique reste forte (2,9 % an par en Tanzanie, 3,3 % en Ouganda).

Développer l’accès à l’électricité constitue également une opportunité de renforcer la production d’énergie renouvelable dans le mix énergétique. Si certains pays bénéficient d’un mix électrique sur le réseau national quasi intégralement renouvelable (Ethiopie : 98 % ; Kenya : 90 % ; Ouganda : 87 %), d’autres restent essentiellement dépendants des centrales thermiques au gaz ou au fioul (Tanzanie : 66 % ; Rwanda : 66 % ; Madagascar : 51%)[1]. En outre, de nombreuses zones rurales dépendent aujourd’hui de générateurs diesel qui alimentent des mini-réseaux. Les ménages ont également toujours recours massivement au bois, charbon (sourcés de façon largement insoutenable, cause majeure de déforestation) ou pétrole lampant/kérosène pour l’éclairage ou la cuisson, notamment en zone rurale. La part de la population utilisant principalement des moyens de cuisson propres s’élève à seulement 19,5 % au Kenya (4,7 % en zone rurale) ; 4,5 % en Tanzanie (1,0 %) ; et 2,4 % au Rwanda (0,3 %)[2].

Les solutions hors-réseau, qui incluent les mini-réseaux ou les solutions solaires autonomes (kits, lampes solaires) constituent des alternatives d’électrification moins onéreuses à l’extension du réseau électrique national (qui requiert des investissements importants) et plus adaptées aux zones rurales ou isolées. Il s’agit également d’un secteur créateur d’emplois. Au Kenya, les solutions d’énergies renouvelables décentralisées auraient permis de créer 10 000 emplois formels directs (et 15 000 emplois informels) et selon les projections, le secteur pourrait employer jusqu’à 17 000 personnes dans le secteur formel et 30 000 dans l’informel à horizon 2023[3]. L’essentiel des équipements reste néanmoins importé, en majorité de Chine, et l’augmentation du contenu local des produits fournis (notamment pour les phases d’assemblage, réutilisation, etc) reste un objectif des autorités locales mais également un levier possible de réductions des coûts pour les entreprises. Au-delà du seul accès à l’électricité, le développement des usages productifs ou l’accès aux services essentiels rendus possibles par les solutions d’énergies renouvelables (désalinisation, traitement de l’eau, irrigation, éclairage public et privé, cuisson propre, moyens de communication, traitement et conservation des récoltes, …) constitue un vecteur de développement économique et social pour les populations avec des conséquences positives en termes de santé publique, d’éducation, d’inclusion économique et financière, de sécurité alimentaire ou d’égalité femmes-hommes.

 

… qui constitue une priorité d’action et d’investissement pour les gouvernements et les bailleurs

Les gouvernements de l’AEOI ont érigé en priorité l’atteinte de l’électrification universelle à court ou moyen-terme. Le Kenya avait pour objectif l’atteinte de cet objectif en 2022 selon le plan d’action de la Stratégie Nationale d’Electrification de 2018, objectif non atteint avec un chiffre proche de 75% en réalité aujourd’hui. Le Rwanda s’est fixé l’année 2024 pour permettre un accès à 100 % des ménages (70 % via le réseau national, 30 % en solutions hors-réseau), tandis que la Tanzanie et l’Ouganda visent l’horizon 2030. Tous ces objectifs sont ambitieux au regard de la réalité des progrès récents.

Selon l’Africa Energy Outlook publié en juin 2022 par l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), l’atteinte de l’objectif de développement durable n°7 en Afrique, nécessiterait des investissements de 25 Mds USD par an, soit l’équivalent de 1 % des investissements mondiaux annuels dans le secteur de l’énergie ou d’un terminal GNL. Cela permettrait à 90 millions de personnes supplémentaires par an de gagner accès à l’électricité, et à 130 millions d’utiliser des moyens de cuisson propre[4]. S’il est estimé que 42 % obtiendront l’accès via des extensions et prolongements du réseau national, les mini-réseaux (31 %) et les solutions autonomes (27 %) constituent les solutions privilégiées d’augmentation des taux d’électrification en zones rurales et isolées, soutenus par la diminution massive du coût des modules photovoltaïques qui a été divisé par 10 entre 2010 et 2020[5], malgré un rebond constaté en 2021 en lien avec les tensions sur les chaines logistiques et l’augmenation du prix des matières premières (+50 %)[6].

Des freins existent toutefois au déploiement de ces solutions. Les mini-réseaux, bien que nécessitant des investissements moins importants que les extensions de réseau, ont généralement besoin d’être subventionnés pour garantir l’accès à des tarifs d’électricité abordables pour les populations. Si les lampes et kits solaires constituent a priori des solutions abordables, elles restent relativement difficiles d’accès pour les ménages les plus modestes, tandis que la faible durabilité de ces solutions, et l’absence de services de maintenance pérennes et abordables, conduisent dans certains cas à l’arrêt précoce de leur utilisation par les ménages. Sur le plan de la taxation, bien que des efforts aient été déployés au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) pour tenter d’harmonier la taxation des produits solaires, les mises en œuvre nationales continuent dans certains cas à diverger, et à augmenter le coût d’importation, répercuté sur le prix de vente final. L’inexistence de cadre règlementaire clair et adapté est également un obstacle au déploiement des solutions hors-réseau. Le Kenya, via son autorité de régulation de l’énergie, mène actuellement une réforme du cadre règlementaire encadrant le déploiement des mini-réseaux (harmonisation des exigences pour l’approbation des projets, détermination des tarifs, processus d’octroi des licences). S’agissant de la gestion des déchets électroniques ou le recyclage des panneaux solaires ou lampes solaires après utilisation, aucun pays de la région ne dispose de loi ou de règlementation spécifique.

L’électrification rurale dépend encore essentiellement du soutien des bailleurs bilatéraux et multilatéraux, via des subventions ou des prêts. A l’instar de l’Agence Française de Développement (AFD), qui au Kenya notamment, est engagée sur deux projets avec l’entreprise publique en charge de la distribution et commercialisation KPLC (Kenya Power Lighting Company) : i) le retrofitting de 23 mini-réseaux diesel dans le Nord du Kenya (prêt de 33 MEUR) ; et ii) le Green mini grid facility, destiné à fournir des subventions et assistance technique au secteur privé pour le développement de mini-réseaux, pour lequel l’AFD est le partenaire financier et de mise en œuvre (subvention déléguée de l’UE de 13,3 MEUR). De nombreux fonds et facilités de financement, en soutien au secteur privé notamment, existent pour promouvoir le déploiement de mini-réseaux ou solutions décentralisées, à l’instar du Fonds pour l’énergie durable en Afrique (SEFA), ElectriFI (UE), NEoT Offgrid Africa (Meridiam, EDF) ou Spark+ Africa Fund.

 

Le secteur privé français est particulièrement investi dans ce secteur, via des prises de participation et le déploiement de solutions autonomes et d’infrastructures

Le marché des solutions décentralisées d’énergie renouvelable est caractérisé par un nombre d’acteurs relativement important et, sur l’ensemble des segments précédemment cités, une expertise française est d’ores et déjà présente dans la région. On peut toutefois noter que la grande majorité des équipements (notamment les kits solaires, panneaux solaires et batteries) sont fabriqués en Asie, y compris ceux fournis par des entreprises françaises. Les intégrateurs chinois (Huawei par exemple) sont également des concurrents sérieux. Les installations de mini-grids de plus grande puissance présentent habituellement un contenu français ou européen plus important, que ce soit sur les équipements électriques (inverseurs, turbines hydro si possibilité de génération mini-hydro) ou les logiciels d’optimisation de la gestion d’énergie.

Les majors françaises Engie et EDF ont accéléré ces dernières années leurs investissements dans le secteur de l’accès à énergie, via des rachats ou prises de participation dans des sociétés locales. EDF est présente au Kenya, dans la filière des pompes d’irrigation solaires grâce à son entrée au capital de Sunculture en 2018. En 2021, EDF a annoncé avoir acquis une participation de 50 % dans Econet Energy Kenya, une filiale désormais nommée DPA et 23 % de Bboxx Kenya, renforçant la position du groupe sur le secteur de l’accès à l’énergie et le déploiement de solutions solaires hors-réseau. Engie a quant à elle fait l’acquisition de Fenix International, puis en 2019 de l’entreprise de systèmes solaires domestiques Mobisol active au Kenya et est maintenant présente dans la région comme Engie Energy Access. Avec TotalEnergies, elles sont engagées sur le déploiement de solutions solaires hors-réseau pour le secteur résidentiel sur l’ensemble de la région Afrique de l’Est : solar-home system (SHS) - des kits solaires installés sur les toits des habitations, fonctionnant via le système de PayGo - des lampes solaires, etc. Sur le segment commercial et industriel, CMR Group a récemment installé 1 MWc d’énergie solaire pour un groupe hôtelier à Zanzibar. La présence et pénétration des entreprises diffère d’un pays à l’autre, selon les implantations historiques et l’intensité concurrentielle.

Des consultants français comme Tractebel (groupe Engie) ou des EPC comme Sagemcom sont également présents sur les segments des mini-grids ou de la solarisation des tours de télécommunications. Sagemcom exploite par exemple 16 % de la production hors-réseau à Madagascar. Des fabricants français peuvent également être fournisseurs de composants d’installations décentralisées comme Schneider Electric (inverseurs, panneaux électriques, ou solutions solaires conteneurisées), HPP hydro (turbines pour mini-hydro), CAPSIM (design de mini-grids) ou Elum Energy et Reuniwattt (logiciels d’optimisation énergétique).



[1] Banque Mondiale, 2020

[2] WHO, 2020.

[3] PowerForAll, 2019. Powering Jobs Census 2019: The energy access workforce.

[4] Hypothèses du Sustainable Africa Scenario de l’Africa Energy Outlook, 2022.

[5] Agence Internationale de l’Energie, 2020.

[6] Rystad Energy research and analysis, 2022.