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Zoom de la semaine : Projet de budget de la Russie pour 2023

Dans la lignée des années précédentes, le projet de loi de finances 2023-2025 (PLF 2023) déposé le 28 septembre à la Douma d’État est conservateur. Fondé sur le postulat optimiste d’une reprise progressive de l’activité économique à partir du 2ème semestre 2023, il consacre des déficits publics modérés sur l’ensemble de la période prévisionnelle, dont le financement devrait être assuré en partie grâce au fonds souverain, préservant ainsi le faible niveau d’endettement public. Ces déficits reflètent la transformation des équilibres budgétaires depuis le 24 février, caractérisée par une forte hausse des dépenses, notamment militaires, partiellement compensée par l’excédent de recettes liées aux hydrocarbures engrangé au 2ème trimestre. Dès 2023, le ralentissement des dépenses publiques doit contrebalancer le déclin attendu des recettes pétrolières et gazières et, partant, permettre de ramener progressivement le déficit à un niveau contenu à l’horizon 2025. Les arbitrages budgétaires réalisés dans le cadre du PLF 2023 entérinent la prééminence accordée aux secteurs de la sécurité et de la défense qui, à niveau de dépenses constant, s’affirment au détriment des autres postes budgétaires, et, plus généralement, de l’investissement nécessaire dans une économie dont le potentiel de croissance ne cesse de s’affaisser. En particulier, les projets nationaux annoncés en 2018, dont l’ambition et les moyens avaient déjà été revus à la baisse pendant la pandémie, voient de nouveau leur enveloppe diminuer et leur relégation au second plan se confirmer. Conçu avant la mobilisation partielle, ce PLF fera très certainement l’objet de révisions ultérieures pour refléter la dégradation accélérée de l’activité observée depuis[1]

1/ Le projet de loi de finances 2023-2025 repose sur des hypothèses relativement optimistes.

Le projet de budget se fonde sur des hypothèses macroéconomiques plus favorables (figure 1) que celles retenues dans les dernières prévisions des institutions financières internationales. En outre, lesdites hypothèses sont antérieures à l’annonce de la mobilisation partielle[2], dont les effets négatifs sur l’activité apparaissent d’ores et déjà dans les données du mois de septembre :

Activité : le PLF 2023 anticipe une croissance de l’activité mondiale de 3,2% en 2022 et de 2,9% en 2023, et est pratiquement aligné sur les dernières prévisions du FMI en ce sens (3,2% en 2022, 2,7% en 2023). Concernant l’activité russe, une récession de 2,9% est attendue en 2022, qui se poursuivrait de manière plus modérée en 2023 à -0,8%. L’économie russe retrouverait ensuite le chemin de la croissance à +2,6% en 2024 et 2025 respectivement. Ces prévisions dépassent celles du FMI, qui prévoit une baisse du PIB de respectivement 3,4% en 2022 et 2,3% en 2023 puis une reprise plus modérée de la croissance à 1,5%/1% en 2024/2025. Elles se situent également légèrement en-deçà de la tranche haute des dernières prévisions de la Banque de Russie pour 2022 (-3/-3,5%)[3].

Inflation : Les prévisions d’inflation mondiale du PLF s’élèvent à 8,3% en 2022 et 5,7% en 2022, soit moins que celles du FMI (8,8% en 2022, 6,5% en 2023). S’agissant de la Russie, les prévisions d’inflation du projet de loi budgétaire sont proches de celles du consensus des économistes et de la Banque centrale, avec une inflation attendue à 12,4% en 2022 et à 5,5% en 2023[4],

Pétrole : le prix du pétrole de qualité Oural s’établirait à 80 USD/b d’ici la fin de l’année 2022[5]. Dans un contexte de recul de la demande mondiale, il connaîtrait une décrue progressive à 70,1 USD/b en 2023, puis 67,5 USD/b en 2024 et 65 USD/b en 2025. Cette pente descendante est plus douce, singulièrement à partir de 2024, que celle suggérée dans le dernier rapport de politique monétaire de la Banque de Russie (78 USD/b en 2022, 70 USD/b en 2023, 60 USD/b en 2024 et 55 USD/b en 2025). Parallèlement, la production de pétrole russe diminuerait de 515 M de tonnes en 2022 à 490 M de tonnes en 2023 avant de se stabiliser à environ 500 M de tonnes en 2024/2025. Le budget prévoit une légère augmentation des exportations de pétrole en volume sur la période, à 250 M de tonnes en 2023, contre 243,1 M de tonnes estimées en 2022, puis une augmentation de 5 M de tonnes en glissement annuel en 2024 et en 2025 (260 M de tonnes). Ces volumes d’exportation seraient respectivement inférieurs de 9,2% et 5,2% en 2023 et 2024 aux prévisions budgétaires de l’année passée.

Taux de change : une dépréciation modérée et progressive du rouble par rapport au dollar est anticipée sur l’ensemble de la période prévisionnelle. En cotation à l’incertain, il atteindrait 68,1 en 2022, 68,3 en 2023 et 70,9 en moyenne en 2024. Cette prévision est moins conservatrice que celle du consensus des économistes sondés par la Banque de Russie à 68,4 en 2022, 71,4 en 2023 et 74,7 en 2024. Depuis le début de l’année, le taux de change USD/RUB a été en moyenne de 69,2. Le rouble s’est maintenu à un niveau élevé ces derniers mois, dépassant de 25,3% en octobre en moyenne son niveau de janvier, mais s’est déprécié par rapport au point culminant atteint en juin (-6,4%).

 Figure 1. Hypothèses macroéconomiques

Tableau

 

2/ Le budget se caractérise par une volonté de maîtrise de la dépense publique malgré un solde déficitaire.

Le solde public de la Russie devrait de nouveau être déficitaire en 2022. En 2021, l’ampleur de la reprise consécutive à la pandémie avait permis un surplus de recettes budgétaires se traduisant par un léger excédent budgétaire (0,4% du PIB) qui, selon le PLF de l’an dernier, aurait dû augmenter à 1% du PIB en 2022. Néanmoins, l’évolution radicale des conditions macroéconomiques après le 24 février a entraîné un gonflement significatif tant des recettes que des dépenses budgétaires. Les recettes fiscales sont désormais attendues à 27 693 Md RUB au terme de l’exercice budgétaire, soit une hausse nominale de 9,5% par rapport à 2021, tandis que les dépenses nominales augmenteraient de 17,1% à 29 006 Md RUB[6]. Au total, le solde public fédéral ressortirait en déficit à hauteur de 1313 Md RUB, soit 0,9% du PIB (figure 2)[7].

Le budget fédéral russe resterait en territoire négatif au moins jusqu’en 2025. L’augmentation du déficit à 2% du PIB en 2023 résulterait davantage de la contraction attendue des recettes fiscales[8], qui passeraient de 19% à 17,4% du PIB (baisse de 5,7% en g.a. en valeur nominale), que de la variation des dépenses, stables en valeur nominale[9] et en légère diminution en valeur relative à 19,4% du PIB, contre 19,9% en 2022. La réduction ultérieure du déficit public, à 1,4% en 2024 et 0,7% en 2025, serait permise par un reflux plus rapide de la part des dépenses (18,4% du PIB en 2024, 17,1% en 2025) que de celle des recettes (17,1% du PIB en 2024, 16,4% en 2025). En valeur nominale, les dépenses augmenteraient modestement en 2024 à +1,3% en g.a., et reculeraient de 0,6% en 2025[10], tandis que les recettes augmenteraient de 4,4% en 2024, puis diminuerait de 2,6% en 2025.

Figure 2. Exécution budgétaire prévisionnelle (Md RUB)

Graphique

Contrairement aux périodes de crise précédentes, le financement des déficits serait assuré en mobilisant le fonds souverain en complément de l’endettement sur le marché interne. Le Fonds national de bien-être (FBEN) serait ainsi sollicité à hauteur de 3196 Md RUB en 2022, 2902 Md RUB en 2023 et 1303 Md RUB en 2024, tandis que le déficit de 2025 serait intégralement financé par la levée de dette interne. Le montant total du FBEN diminuerait dès lors de 10,4% du PIB début 2022 à 6,2% à la fin de l’année et atteindrait son plus bas niveau à 3,7% du PIB en 2024 (figure 3). En 2022, la diminution du FBEN résulterait essentiellement d’effets de change et de dévalorisation des actifs[11]. Le Fonds ne serait pas provisionné avant 2024, la révision de la règle budgétaire – suspendue depuis le début du conflit – devant intervenir au cours de l’année 2023. Les émissions de dette nécessaires à la couverture du déficit sont évaluées à 3260 Md RUB en 2022, 2512 Md RUB en 2023 et 3389 Md RUB en 2024[12].

Figure 3. Évolution prévisionnelle du FBEN (Md RUB)

Graphique

 

Ce mode de financement devrait permettre de contenir l’augmentation de la dette publique. Fin 2022, elle demeurerait stable à 16% du PIB, soit 23 407 Md RUB[13] et une hausse de 11,9% en g.a. en valeur. Le poids de la dette publique augmenterait progressivement, tout en restant très contenu à 17,5% du PIB en 2025 (29 940 Md RUB), principalement via sa composante interne (24 994 Md RUB, +32,3% par rapport à 2022). La hausse de la dette externe serait modérée à 4946 Md RUB (moins de 3% du PIB), soit une hausse de 9,5% par rapport à 2022. En dépit de la dégradation de l’environnement macroéconomique, le maintien d’un faible niveau d’endettement public reste ainsi érigé en priorité absolue de la politique budgétaire russe

3/ La priorité accordée aux dépenses de sécurité et de défense pénalise un investissement public déjà faible dans les autres domaines.  

La ventilation des dépenses fait ressortir une captation toujours plus importante des ressources budgétaires par les « structures de force » (figure 4). La part du budget consacrée à la défense nationale en 2022 est ainsi passée de 2,6% du PIB dans le PLF 2022 à 3,2% dans l’exécution budgétaire estimée pour l’année. Les dépenses de défense nationale en 2022 ont augmenté de plus de 33% par rapport aux projections initiales, à 4 678,7 Md RUB, et devraient augmenter de 6,5% supplémentaires en g.a. en 2023 à 4981,7 Md RUB (contre une prévision de 3472,8 Md RUB dans le PLF précédent). Cette tendance est également manifeste s’agissant des activités de sécurité nationale et de maintien de l’ordre : si l’exécution des dépenses budgétaires afférentes à ce poste en 2022 a été légèrement inférieure aux prévisions du PLF de l’an dernier (2788,4 Md RUB, -0,4%), elles devraient augmenter de 58,4% en g.a. en 2023 à 4417,1 Md RUB, et leur part dans le PIB de 1,9% à 2,9%. Au total, la sécurité et la défense auront représenté 27% des dépenses budgétaires et 5,1% du PIB en 2022, et atteindraient plus de 32% des dépenses et 6,2% du PIB en 2023.

Les dépenses dites « secrètes », cest-à-dire comptabilisées dans le budget général mais dont les finalités ne sont pas précisées[14], seraient en outre en forte augmentation en 2023. Elles atteindraient 6583 Md RUB, soit 23% des dépenses totales, contre 3741 Md RUB en 2022 (16% des dépenses totales). L’augmentation de la part des dépenses secrètes est largement imputable à la sécurité et la défense : la part des dépenses secrètes pour la défense nationale a augmenté de 65% en 2022 à 73% en 2023 (3626 Md RUB), et de 42% à 52% (2606 Md RUB) pour la sécurité nationale et les forces de l’ordre. Au total, près de deux tiers des dépenses de sécurité et de défense prévues en 2023 sont couverts par le secret.

Les fonds budgétaires affectés aux autres postes de l’économie stagneront, voire diminueront en valeur nominale en 2023. Parmi les postes les plus importants, le budget attribué à l’économie (3% du PIB en 2022) stagnerait par rapport aux prévisions du PLF précédent (+0,6%), diminuerait de 18,6% en g.a. à 3514,1 Md RUB et se situerait même en-dessous de son niveau de 2021. Les dépenses de santé (1% du PIB) ont été revues à la hausse en 2023 par rapport aux prévisions du PLF 2022 (+17,1%), mais elles demeureraient inférieures de 4,2% à leur niveau de 2022 à 1469,4 Md RUB. Le budget de l’enseignement public (0,9% du PIB) augmenterait de 3,2% par rapport au PLF 2022, et de 3,3% en g.a. Les fonds affectés à la protection de l’environnement, déjà négligeables (0,2% du PIB), diminueraient de 3,6% en g.a. et ont été amputés de 24% par rapport à la programmation budgétaire précédente. Seule exception de taille, la politique sociale (4,4% du PIB) verrait son budget augmenter de 13,8% en g.a. en 2023 et atteindre 4,9% du PIB. L’essentiel de cette augmentation découlerait d’une hausse nominale de 12,4% en g.a. des dépenses liées aux retraites (51,6% des dépenses sociales totales) et de 26,9% pour les dépenses de soutien aux familles et à l’enfance (27,3% des dépenses totales). L’objectif d’atténuation des effets de la crise sur les revenus des ménages les plus fragiles apparaît ainsi sanctuarisé au milieu des coupes budgétaires.

Figure 4. Ventilation des dépenses budgétaires

Graphique

 

L’enveloppe destinée aux projets nationaux poursuit sa diminution. En 2022, elle avait atteint 3180 Md RUB, soit 2,2% du PIB. Sa part devrait décliner à 1,9% en 2023 (2869 Md RUB), soit moins que les 2,1% prévus dans le PLF 2022. Sur les 14 projets nationaux figurant dans le projet de loi, 9 verraient leur dotation diminuer par rapport à l’année passée, dont les projets consacrés à la santé, l’urbanisme, l’écologie, la numérisation de l’économie, la productivité et l’emploi, l’entreprenariat et le tourisme. Seul le projet national « démographie » voit son enveloppe augmenter significativement en termes nominaux par rapport à 2022. Ces évolutions semblent confirmer la mise en retrait graduelle des projets nationaux, déjà marginalisés par la pandémie de Covid.

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[1] Le ministre des Finances A. Silouanov évoquait déjà en septembre le fort niveau d’incertitude pesant sur les prévisions budgétaires.

[2] Il en va du reste de même pour les dernières prévisions des IFIs, qui semblent dès lors soumises à un aléa baissier important.

[3] Le PIB russe a baissé de 2% en g.a. sur les 9 premiers mois de l’année, et les indicateurs avancés d’activité et de confiance des agents économiques en octobre laissent présager une dégradation de l’activité plus rapide au moins au début du 4ème trimestre.

[4] 12,5% et 6% respectivement dans le dernier sondage macroéconomique de la Banque de Russie.

[5] Sur les huit premiers mois de l’année, il s’est établi à 84,1 USD/b en moyenne.

[6] Par rapport aux prévisions du PLF de l’an dernier pour 2022, les recettes augmenteraient de 10,7% et les dépenses de 21%.

[7] Certains analystes généralement crédibles anticipent au demeurant d’ores et déjà un résultat plus favorable, autour de -0,5%, du fait d’un dividende exceptionnel versé par Gazprom.

[8] Liée principalement à l’évolution des revenus liés aux hydrocarbures, qui passeraient de 8 à 6% du PIB, soit une baisse de plus de 1500 Md RUB. La part des revenus pétrogaziers dans les recettes budgétaires totales devrait diminuer de 42,1% en 2022 à 30,3% en 2025.

[9] Baisse de 5,1% en valeur réelle en g.a.

[10] Diminutions respectives de 2,6% et 4,5% en valeur réelle par rapport à 2022.

[11] Diminution totale de 4039 Md RUB au titre de ces effets. Le provisionnement du fonds à hauteur de 2658 Md RUB, lié aux recettes pétrogazières exceptionnelles du 2ème trimestre, permet de couvrir la quasi-intégralité de l’utilisation prévue du FBEN pour combler le déficit public en 2022.

[12] Sur ce point, la Chambre des comptes russe note un risque de non-réalisation des montants d’émissions prévus dans le projet en raison du contexte de sanctions.

[13] Dont 18 890 Md RUB de dette interne et 4517 Md RUB de dette externe.

[14] Ces dépenses sont estimées par comparaison de l’enveloppe budgétaire globale à son exécution détaillée.