Publications des Services économiques

Zoom de la semaine : Situation économique et financière de la Moldavie

Appartenant à la tranche inférieure des pays à revenu intermédiaire (PIB par habitant de 5199 USD en 2021 selon la Banque mondiale), la Moldavie est l’un des pays les plus pauvres d’Europe. Elle fait face à des défis très importants en matière d’environnement des affaires, de productivité et de démographie. En 2020, la profonde récession a interrompu une phase de stabilité macroéconomique. En 2021, l’activité économique a vivement repris, au-delà même des prévisions des IFI. Les enjeux de moyen-long terme se cristallisent autour du chantier des réformes de structure, qui est au cœur du programme négocié entre les autorités moldaves et le FMI. Les autorités moldaves doivent aujourd’hui trouver le bon équilibre entre les réformes structurelles et la nécessaire atténuation de l’impact immédiat du conflit entre la Russie et l’Ukraine.    

1/ Une reprise économique interrompue après le 24 février

En 2020, la Moldavie a subi un recul de son activité de 8,3%, sous l’effet conjugué de la crise du Covid 19 et d’une chute de la production agricole. L’année 2021 a été marquée par une reprise très solide de 13,9% en glissement annuel (g.a.). Cette croissance, qui a largement dépassé les estimations du FMI (7,5%) et de la Banque mondiale (6,8%), a été soutenue par de très bonnes récoltes, une hausse de la consommation, avec une augmentation des ventes de détail de 12% en g.a. et une production industrielle dynamique (+12,1% en g.a). La progression de l’investissement en capital fixe a été plus modérée à +4,8% en g.a.

Les prévisions d’activité des institutions financières internationales (IFI) étaient également très positives pour 2022 : le FMI et la Banque mondiale anticipaient respectivement une croissance de 5,2% et de 3,9% avant le 24 février. Après cette date, le FMI a abaissé sa prévision d’abord à 0,3%, puis à 0% et la Banque mondiale d’abord à -0,4%, puis à -0,7%. Selon les premières estimations des autorités moldaves, le PIB a stagné au 1er semestre 2022 en g.a. La production industrielle et les ventes de détail ont respectivement diminué de 1,4% et 0,1% sur les 7 premiers mois de l’année en g.a.

L’économie moldave est d’ores et déjà très affectée par le conflit entre la Russie et l’Ukraine. Les risques qui pesaient sur la reprise économique avant la crise géopolitique (prix du gaz, inflation) apparaissent renforcés, et se doublent de contraintes nouvelles.

2/ Une multiplication des risques conjoncturels en 2022

Les évolutions du prix du gaz constituent l’un des risques majeurs pour l’économie moldave. Le pays dépend largement des livraisons de gaz russe et faisait déjà face à une instabilité des prix depuis la signature d’un nouveau contrat avec Gazprom en octobre 2021. Le prix du gaz a atteint presque 1883 USD/ 1000 m3 en septembre 2022 contre 1459 USD le mois précédent. En octobre 2022, le prix devrait diminuer à 1031 USD (en novembre 2021, après la conclusion d’un nouveau contrat avec Gazprom, le prix du gaz s’élevait à 450 USD). Les autorités ont augmenté les tarifs payés par les consommateurs pour préserver la santé financière de l’entreprise nationale Moldovagaz, tout en mettant en place un mécanisme de subvention aux ménages pour limiter l’impact social de la hausse des prix. 

Un autre risque concerne l’inflation, qui est en hausse depuis fin 2021. L’inflation annuelle s’est établie à 34% en septembre 2022, après 34,3% en août. En janvier 2022, l’inflation s’élevait à 16,6% en g.a. pour une cible de la Banque centrale fixée à 5% (+/-1,5 point). La poussée inflationniste résulte essentiellement de la hausse des prix alimentaires et énergétiques mondiaux, tandis que les pressions liées à la demande intérieure ont diminué. Depuis début 2022, le resserrement de la politique monétaire s’est accéléré : le taux directeur a été augmenté 6 fois, soit 1500 points de base en cumul (de 6,5% à 21,5%), après une hausse de 385 pdb en 2021.

La devise moldave, le leu, est restée quasiment stable en 2021, se dépréciant de 2% en g.a. en moyenne par rapport au dollar américain. Depuis le début 2022, la dépréciation s’accélère, notamment après le 24 février. En octobre, le leu s’affiche en baisse de 7,6% par rapport au janvier 2022. La Banque nationale est intervenue pour limiter la volatilité du change, ce qui l’a conduite à consommer plus 10% de ses réserves entre le 24 février et fin avril. Leur niveau reste cependant convenable à 4,2 Md USD, en hausse de 6,7% en g.a., et représente 5,6 mois d’importations fin septembre 2022. Elles diminueront en 2022 selon le FMI, qui estime qu’elles seront utilisées pour combler le besoin de financement externe chiffré à 1,2 Md USD.

Un troisième risque est lié à l’afflux important des réfugiés ukrainiens sur le territoire moldave. Entre fin février et fin août, environ 550 000 réfugiés ont franchi la frontière moldave, dont près de 100 000 sont restés en Moldavie, ce qui est considérable pour une population estimée à 2,6 M d’habitants. La Moldavie est le pays affichant le plus fort ratio de réfugiés par habitant en Europe, ce qui pourrait affecter la stabilité socio-économique du pays, ainsi que la mise en œuvre des réformes du gouvernement. Les dépenses destinées à l’accueil des réfugiés sont estimées par le FMI à 0,4% du PIB.

Les transferts de fonds des migrants moldaves résidant à l’étranger constituent une ressource importante pour l’économie locale (environ 12% du PIB en 2021). En août 2022, les transferts de fonds aux particuliers en provenance de l’étranger ont atteint 160,9 M USD, soit une hausse de 27,4% en g.a. En janvier-août 2022, ils ont augmenté de 6,4% en g.a. Ceux en provenance de Russie ont atteint 287,7 M USD en 2021, ce qui représente 18% de tous les transferts vers la Moldavie ou 2% du PIB. D’une part, la récession économique en Russie et les contrôles des capitaux mis en place par le gouvernement russe pourraient diminuer les transferts des fonds ; d’autre part, la forte appréciation du rouble russe par rapport au dollar américain pourrait augmenter la valeur nominale des transferts depuis la Russie.

Le risque épidémiologique lié à la pandémie de Covid-19, qui a longtemps constitué un risque important pour l’économie moldave, apparaît désormais secondaire. La Moldavie a levé quasiment toutes les restrictions épidémiologiques malgré la résurgence épisodique du virus.

3/ Des fragilités structurelles qui freinent le développement économique

L’économie de la Moldavie est fortement vulnérable au plan externe. Elle affiche ainsi un important déficit commercial structurel, atteignant 29% du PIB en 2021 (soit 4 Md USD) contre 26% en 2020, et une hausse de 36,7% en g.a. Le déficit du compte courant a ainsi augmenté l’année dernière à 11,6% du PIB, après 6,7% en 2020. Au 1er semestre 2022, le déficit courant s’est élevé à 982 M USD (environ 14,2% du PIB), contre un déficit de 846 M USD au 1er semestre 2021.

En 2021, les exportations de biens ont augmenté de 27,5% en g.a. à 3,1 Md USD (22,7% du PIB), tandis que les importations ont augmenté de 32,5% en g.a. à 7,2 Md USD (52,7% du PIB). Les exportations de la Moldavie vers la Russie et l’Ukraine représentent 12% de ses exportations totales, soit 2,7% du PIB, tandis que les importations depuis ces pays atteignent 24%, soit 13% du PIB. Au 1er semestre 2022, le déficit commercial était en hausse de 6,3% en g.a. malgré la hausse des exportations de 72% en g.a. Les importations étaient en hausse de 33,1% en g.a.

Le montant des investissements directs étrangers (en flux) rapporté au PIB a atteint seulement 1,8% en 2021. Les besoins de financement extérieur sont, sur le moyen terme, majoritairement comblés par de la dette externe, qui atteignait 72,7% du PIB fin 2021. Fin juin 2022, la dette extérieure de la Moldavie a atteint environ 62,9% du PIB.

La Moldavie a comme atout un niveau d’endettement public relativement contenu. La dette publique, qui atteignait 32,5% du PIB en 2021, se situe actuellement à un niveau raisonnable, à environ 30,5% du PIB prévisionnel fin août 2022, et son niveau de risque est jugé modéré par le FMI. Il prévoit néanmoins une hausse de cette dette à 36% en 2022 et à 38,3% en 2023.  Le déficit budgétaire consolidé en 2021 a diminué à environ 2,6% du PIB prévisionnel, contre 5,3% en 2020, mais devrait fortement augmenter à 6,2% du PIB en 2022 selon le FMI.

4/ Un soutien financier des IFI renforcé dans la situation actuelle

En octobre 2021, le FMI et les autorités moldaves ont trouvé un accord technique (staff-level agreement) portant sur un montant d’environ 558 M USD sur 40 mois. Validé en décembre dernier, cet accord vise à soutenir les réformes de gouvernance et la reprise économique. Les conditionnalités du programme sont axées sur les réformes de gouvernance, avec notamment une priorité mise sur la lutte contre la corruption et le renforcement de l’état de droit, principaux thèmes de campagne électorale de la présidente Sandu. Elles visent également à améliorer la gestion des entreprises publiques et du budget (en améliorant l’efficacité de la collecte fiscale et de la dépense publique). Dans le contexte actuel, la Moldavie a obtenu une révision du programme de 261 M USD. Elle est destinée à aider la Moldavie à faire face à l'impact de la crise en Ukraine et à la hausse des prix internationaux de l'énergie et des denrées alimentaires.

La Banque Mondiale est également active en Moldavie, avec un portefeuille d'investissements s’établissant actuellement à 638 M USD répartis sur 12 projets actifs.

En janvier 2022, l’UE a proposé une nouvelle assistance macro-financière (AMF) de 150 M EUR qui s’ajoute au Plan de redressement économique de la Moldavie annoncé par la Commission européenne en juin 2021 (jusqu’à 600 M EUR au cours des 3 prochaines années). Dans le cadre du programme « L’Europe dans le monde », environ 260 M EUR devraient être alloués à la Moldavie en 2021-2024. Depuis 2014 l’UE a alloué à la Moldavie un total de 700 M EUR sous forme d’aides et de prêts.