Alors que, depuis début 2022, le dollar canadien avait comparativement mieux résisté que les autres devises internationales au renforcement du dollar américain, le huard connaît depuis l’été d’importantes fluctuations, tant à l’égard du dollar américain que par rapport à la plupart des autres grandes devises mondiales (annexe I). Ces variations n’étant qu’imparfaitement expliquées par les déterminants habituels, la présente note propose quelques éléments d’analyse.

1/ Une devise traditionnellement dépendante des cours mondiaux de matières premières et de la relation commerciale avec le voisin américain

Le dollar canadien (CAD) est traditionnellement corrélé aux fluctuations sur le marché du West Texas IntermediateL’exploitation des ressources naturelles ne représente que près de 10 % de l'économie canadienne mais compte pour 40 % des exportations du pays. Les données Bloomberg montrent ainsi traditionnellement une étroite corrélation de la performance du CAD face au dollar américain (USD) en fonction du prix du brut sur le West Texas Intermediate – WTI- (Annexe II) ; une corrélation qui s’avère toutefois moins immédiate depuis quelques mois.

La parité entre le dollar canadien et les autres devises dépend également classiquement de l’importance des flux commerciaux, même si là également la période récente montre des évolutions atypiques. Très ouvert sur les échanges commerciaux, le Canada dégage traditionnellement un excèdent commercial avec les Etats-Unis, qui représentent environ 75% de ses exportations et 50% de ses importations, et un déficit avec les autres pays. La parité CAD - $ est ainsi très dépendante de la situation économique aux Etats-Unis, le CAD s’appréciant classiquement en période de croissance et refluant en cas de ralentissement. Là aussi toutefois, l’évolution de la parité entre ces deux monnaies n’a pas strictement suivi cette trame depuis le début de l’année, le taux de change restant globalement stable jusqu’à l’été malgré la contraction du PIB américain aux 1er et 2ème trimestre 2022.

 

2/ Une première partie d’année 2022 marquée par un fort arrimage au dollar américain, synonyme d’appréciation à l’égard de la plupart des autres devises

La relative stabilité de la parité USD/CAD jusqu’à l’été s’expliquerait en partie par le rôle de « valeur refuge » de l’USD, qui aurait contrebalancé le traditionnel impact appréciatif de la hausse du prix du pétrole brut. Alors que le prix du brut sur le WTI était élevé en première partie d’année et que le CAD s’est apprécié par rapport aux devises européennes (cf infra), le taux de change CAD - $ est resté globalement stable jusqu’à l’été. Selon nos échanges avec Scotiabank, cette décorrélation pourrait s’expliquer d’une part par la volonté affichée du Canada de décarboner son secteur énergétique, ce qui aurait découragé les activités plus spéculatives des cambistes, et, d’autre part, par la « valeur refuge » de l’USD, qui, dans un contexte de forte instabilité sur le marché des changes illustrée notamment par l’augmentation de +50% de l’indice d’incertitude VIX par rapport à son niveau prépandémique (Annexe III), s’est traduite par la forte appréciation du dollar américain par rapport aux autres devises. Ces deux phénomènes conjugués ont conduit à une meilleure résilience du CAD face à l’USD alors que ce dernier se renforçait par rapport à la plupart des devises, le dollar canadien affichant le plus faible recul par rapport à l'USD sur l’année en cours (-7% contre -15,4% pour la paire EUR/USD, -20,4% pour le GBP/USD et le JPY/USD).

A l’inverse, dans sa parité avec les autres devises mondiales, le CAD a bénéficié de plusieurs facteurs d’appréciation : le CAD affiche ainsi sur l’année en cours la deuxième meilleure performance du G10 derrière l’USD : +16% face au JPY, +15% face au GBP et +9% face à l’EUR (Annexe IV).

Premièrement, la réaction monétaire de la Banque du Canada, plus rapide et plus vigoureuse que celle des banques centrales (hors Fed) du Groupe des 10[1], a augmenté l’écart obligataire entre le Canada et le reste du monde. Le différentiel de taux d’intérêt des banques centrales canadienne (3,25% en septembre 2022 après un relèvement des taux débuté dès mars), européenne (0,75%), anglaise (2,25%) et japonaise (-0,1%) a favorisé la devise canadienne, qui a bénéficié de l’écart obligataire (spread) entre le Canada et les autres pays. L’écart obligataire entre le Canada et la zone euro (passé de -175 à -300 points entre mars et juillet) est ainsi étroitement corrélé à la dépréciation de 10% de la paire EUR/CAD au 2ème trimestre. Ce constat se vérifie également pour les parités JPN/CAD (-14% sur le JPN/CAD après triplement de l’écart obligataire entre le Japon et le Canada) et GBP/CAD (-9% sur le GBP/CAD après passage du différentiel de taux de -25 à -125 entre le taux à 2 ans britannique et canadien) (Annexe V). Les investisseurs ont profité de ces écarts pour réaliser des opérations de portage, empruntant à un taux faible dans les autres devises pour financer l’achat de CAD et ainsi réaliser un profit sur la différence de taux entre les devises.

Deuxièmement, la hausse du prix des matières premières induite par le rebond postpandémique a détérioré les termes de l’échange pour les pays importateurs de matières premières, favorisant le dollar canadien. Selon la Banque du Canada, l’indice du prix des produits de base - qui recoupe 26 matières premières produites au Canada - a augmenté de 66% en glissement annuel en septembre 2022, détériorant les termes relatifs de l’échange pour la zone euro, importatrice de ces produits. En outre, entre le S1 2021 et le S1 2022, les exportations de produits énergétiques vers les 6 principaux partenaires européens du Canada (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, France, Italie, Espagne) ont augmenté de 58%. La combinaison de cette détérioration des termes de l’échange et de l’augmentation des exportations canadiennes énergétiques vers l’Union a contribué à la dépréciation de l’EUR sur la période (Annexe V).

Enfin, troisièmement, le CAD aurait bénéficié par extension du statut de valeur refuge de l’USD, le Canada apparaissant davantage immunisé contre les incertitudes économiques nées du conflit russo-ukrainien. Selon les économistes sollicités par le SER, le dollar canadien, comme devise nord-américaine éloignée des zones de tensions géopolitiques, aurait bénéficié indirectement du statut de valeur refuge de l’USD par rapport aux autres devises, notamment européennes (EUR, GBP, SEK et NOR), plus exposées aux conséquences économiques du conflit.

 

3/ Un affaiblissement marqué depuis la fin de l’été, à mesure que les perspectives macroéconomiques s’assombrissent

Depuis l’été, le dollar canadien s’est affaibli de manière très substantielle, perdant par exemple 3% par rapport à l’euro et 1% par rapport au dollar américain sur les quinze premiers jours d’octobre. Deux phénomènes seraient à l’œuvre.

Premièrement, une réduction du différentiel de taux à mesure que les banques centrales à travers le monde augmentent à leur tour leurs taux. Après avoir fortement augmenté son taux directeur entre mars et septembre, le Canada fait désormais face à un risque accru de récession, qui pourrait conduire la Banque du Canada à interrompre le resserrement en cours d’ici la fin de l’année, au moment même où la BCE durcit sa politique. Ce décalage dans le temps entre les politiques monétaires canadienne et européenne a entraîné la réduction du spread entre la zone euro et le Canada, désormais revenu à un niveau proche de janvier 2022 (-220 points). Ainsi, les opérations de portage qui tiraient à la baisse l’euro face au dollar canadien ont perdu de leur intérêt (Annexe V).

Deuxièmement, l’incertitude sur l’économie canadienne et le recul du prix des matières premières. La chute du prix des matières premières observée depuis le début du T3 2022 (-20% entre juin et septembre – Annexe VI), sur fond de ralentissement économique mondial, et les préoccupations croissantes sur l’économie canadienne désavantageraient le huard. Le recul des exportations depuis juillet, attribuable à la baisse du prix des produits énergétiques (-7% sur les deux derniers mois, à 65 Md CAD/48 Md € - Annexe VII), l’érosion du marché immobilier canadien (-32% du nombre de transactions en septembre 2022 en glissement annuel ; -14% sur le prix moyen sur les 6 derniers mois) et le risque croissant de récession au premier semestre 2023  tirent à la baisse le CAD face aux devises du G10 depuis près d’un mois. Ainsi, les prévisionnistes s’attendent à une stabilisation d’ici la fin de l’année de la parité EUR/CAD entre 1,32 et 1,37, à une parité USD/CAD entre 1,38 et 1,40 et à une parité GBP/CAD autour de 1,47.



[1] Les devises du « Groupe des 10 », groupement informel de dix pays, sont l’USD, l’EUR, le CAD, le yen japonais (JPY), le franc suisse (CHF), la livre britannique (GBP), le dollar australien (AUD), le dollar néozélandais (NZD), la couronne suédoise (SEK) et la couronne norvégienne (NOR).