Après une année 2021 très morose, marquée par la canicule qui s’est abattue sur les provinces productrices des Prairies, les perspectives de récolte 2022 sont excellentes, toutes cultures confondues. L’augmentation du coût des intrants, en particulier l’énergie et les engrais, ainsi que les difficultés persistantes pour acheminer les productions devraient toutefois continuer à tirer les prix canadiens vers le haut.

1/ Après une année 2021 très morose, les perspectives de récolte 2022 sont excellentes, toutes cultures confondues

En 2021, les récoltes avaient été frappées de plein fouet par le « dôme de chaleur » dans les Prairies, anéantissant près de 40 % de la production de céréales de l'Ouest canadien. La production de blé avait ainsi chuté de 38,5 % par rapport à 2020. La Saskatchewan avait connu les plus fortes baisses, avec une chute de 50%. Elle était suivie par l'Alberta, avec une baisse de production de 42,9 %, et du Manitoba, à près de 30%. Ces moindres productions avaient concerné toutes les cultures, y compris l'orge et l'avoine, qui avait respectivement chuté de 35,3 % et de 43 %. Et bien sûr les graines de moutarde, en baisse de près de 50% par rapport à la moyenne des années précédentes, ce qui a contribué à la pénurie de moutarde observée en France à l’été 2022 (cf. note du SER « Le grain (de moutarde) qui a grippé le marché »). 

Malgré quelques pluies ayant retardé les semis, notamment au Manitoba, la récolte de 2022 a bénéficié de conditions très favorables. Bénéficiant d’une bonne hydrométrie puis d’une chaleur raisonnable, les cultures céréalières ont eu des conditions de croissance très favorables. Celles-ci ont amplifié les bonnes prédispositions des agriculteurs qui, en réaction à la hausse des cours de céréales observée post-COVID, ont davantage planté ces cultures au détriment des légumineuses notamment[1]. Les dernières mise-à-jour (septembre 2022) des perspectives de récolte du Ministère canadien de l’agriculture (AAC) prévoient ainsi une production de blé dur qui atteindrait 6,12 Mt, soit plus du double des volumes de l’année dernière, grâce à une augmentation des superficies ensemencées et à une reprise des rendements d’ores et déjà palpable. L’offre totale devrait atteindre 6,71 Mt, soit 74 % de plus qu’en 2021-2022 et 4 % de plus que la moyenne quinquennale de 6,44 Mt. Les exportations devraient quant à elles augmenter, afin notamment de répondre à la demande en Europe et en Afrique du Nord (où le mauvais temps a entraîné de maigres récoltes) ; elles devraient atteindre 5 Mt, soit une hausse de 84 % par rapport à 2021-2022.

Sur la base de l'imagerie satellitaire et des données climatiques, l’ensemble des cultures devraient connaître un meilleur rendement lors de la campagne actuelle de récolte. La production de blé (hors blé dur) est estimée par Statistique Canada à 28,59 Mt, en hausse de 48 % sur un an et de 12 % par rapport à la moyenne quinquennale, grâce à une augmentation de 11 % des superficies ensemencées et à un retour à des rendements tendanciels. Celle du maïs devrait atteindre près de 15 Mt, un niveau record, supérieur de 6 % à l’année dernière et 8 % à la moyenne quinquennale. L’offre devrait s’élever à 19,56 Mt, ce qui serait la deuxième plus importante jamais enregistrée. Quant à la production de colza, celle-ci devrait atteindre le 8ème niveau le plus élevé jamais enregistré, soit une production totale de près de 18 Mt. Une production principalement destinée aux exportations, en réponse à la situation en Ukraine ainsi qu’à l’intérêt croissant pour le biodiesel. Enfin, la production de moutarde est estimée à 177 Kt, ce qui est nettement supérieur à l’année dernière, en raison d’une augmentation importante de la superficie et des rendements ; l’offre globale devrait augmenter de 46 %, de même que les exportations qui devraient atteindre 115 Kt (cf annexe 1).

 

2/ Ces bonnes nouvelles sur le front des volumes pourraient ne se refléter qu’imparfaitement sur les prix, le coût des intrants et les goulots d’étranglement sur l’acheminement continuant d’exercer une pression à la hausse 

Le renchérissement du coût de l’énergie ainsi que celui des engrais ont considérablement augmenté les charges de production des exploitations. Avant même la crise en Ukraine, les tensions observées sur le marché de l’énergie, ainsi que l’augmentation du coût des engrais (le prix de la tonne ayant doublé), ont accru les charges d’exploitation des producteurs. L’indice du prix des intrants dans l’agriculture est ainsi passé de 124,6 au T1 2021 à 146,3 au T2 2022, soit une augmentation de 17% en un peu plus d’un an (cf annexe 2). Ces augmentations de coût n’ont été que partiellement compensées par des mesures gouvernementales : le gouvernement fédéral a annoncé son intention d’augmenter les avances dont bénéficient les agriculteurs au titre du programme de paiements anticipés (les producteurs ont ainsi pu recevoir dès l’été la totalité de leur avance de préproduction pour 2022, plutôt que de la recevoir en versements avant et après l’ensemencement), ainsi que d’affranchir de taux d’intérêt une part plus importante de ces dernières (de 100 000 CAD à 250 000 CAD pour les années 2022 et 2023 du programme). 

Les enjeux logistiques, notamment en lien avec le transport ferroviaire, continuent par ailleurs d’entraver l’acheminement des productions. Malgré l’intérêt que pourrait représenter le blé canadien en réponse à l’enjeu de sécurité alimentaire mondiale[2], les productions du pays, très largement concentrées dans les Prairies, restent en partie entravées par les difficultés d’acheminement. Selon les représentants de la Western Grain Elevator Association, les entreprises de chemins de fer canadiennes n'ont pas été en mesure de fournir une capacité suffisante pour les récoltes de 2021, bien que celles-ci étaient au-deçà des perspectives de récolte actuelles (75 Mt en 2022 et 49 Mt en 2021), ce qui laisse augurer de difficultés encore plus substantielles pour les récoltes de cette année. De même, les capacités des élévateurs terminaux (silos à grains des grands ports) apparaissent limitées ; c’est notamment ce qui a justifié l’annonce par le Ministre des transports canadien au début du mois d’un investissement de 8 M CAD dans de nouveaux équipements pour le terminal céréalier du port de Montréal, afin d'améliorer la qualité du service de nettoyage des grains, d'optimiser la circulation dans la cour et d'augmenter la capacité de chargement et de manutention des conteneurs.

Ces deux éléments conjugués expliquent que l’indice des prix des produits agricoles soient en très forte hausse en 2022 : fin juin 2022, dernières données connues à date, l'Indice des prix des produits agricoles (IPPA) avait augmenté de 28,7 % par rapport au même mois en 2021. Il s'agit de la 24ème augmentation mensuelle consécutive d'une année à l'autre (cf annexe 3).


 



[1] Les surfaces ensemencées auraient même pu être supérieures si certains agriculteurs n’avaient pas verrouillé leurs plans de récolte avant le déclenchement du conflit ukrainien. Certains producteurs se sont également simplement tenus au système de rotation régulière des cultures afin de réduire la propagation des maladies, qui surviennent lorsque deux cultures similaires se suivent. Ceci a notamment joué sur la superficie globale d’ensemencement de blé (hausse de 11 % de la surface ensemencée).

[2] En effet, le blé roux de printemps de l'Ouest canadien, le type de blé le plus couramment cultivé dans l'Ouest canadien, contient une teneur en protéines plus élevée que les autres variétés produites à l’échelle mondiale, et de nombreux pays (Afrique du Nord/Moyen-Orient) mélangent le blé canadien au blé qu'ils achètent ailleurs notamment d’Ukraine.