Canada : le resserrement monétaire touche à sa fin
La Banque du Canada a annoncé le 26 octobre une hausse de 50 points de base de ses taux directeurs, la 6ème depuis mars. Inférieure à ce qui était anticipé par les prévisionnistes, cette hausse laisse entrevoir la fin prochaine du cycle inédit de resserrement monétaire engagé depuis près de neuf mois.
1/ La banque du Canada a annoncé une nouvelle hausse de ses taux directeurs, soulignant notamment la permanence des tensions inflationnistes internes
Le Gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a annoncé ce 26 octobre 2022 le relèvement du taux directeur de référence de 50 points de base, le portant ainsi à 3,75%, ainsi que la poursuite du resserrement quantitatif. Il s’agit de la 6ème hausse d’affilée alors que le taux était encore à 0,25% en début d’année. Ce cycle constitue d’ailleurs, historiquement, la plus forte hausse jamais impulsée par la Banque dans ce laps de temps. De même, la Banque du Canada a annoncé poursuivre sa politique de resserrement quantitatif initié en avril 2022. Cette politique de resserrement quantitatif consiste à laisser les avoirs en obligation possédées par la Banque arriver à échéance, tout en cessant de réinvestir sur les marchés le produit des remboursements.
Dans les justifications avancées, le Gouverneur a surtout insisté sur les pressions inflationnistes internes, qui ont pris le relais des pressions externes. La Banque du Canada estime que les forces externes ayant initialement provoqué l’inflation se dissipent mais que des pressions internes ont pris le relais : les goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement, la hausse du coût de l’énergie post-pandémie et les incertitudes géopolitiques liées notamment au conflit en Ukraine commenceraient selon la Banque à s’estomper, avec le recul des prix des matières premières et le recul des coûts de transports (-56% pour le fret maritime de la Chine à l’Amérique du Nord entre avril et juillet 2022), mais de nouvelles pressions internes sont apparues. La Banque du Canada souligne notamment les tensions sur le marché du travail, marqué par une forte pénurie de main-d’œuvre et une boucle prix-salaire plus affirmée. La Banque observe également la diffusion de l’inflation à des produits moins sensibles aux marchés mondiaux comme les produits alimentaires (+0,1% en septembre en glissement mensuel), qui continuent de progresser alors que l’inflation agrégée est en recul depuis 2 mois consécutif, et une hausse des attentes d’inflation des consommateurs et des entreprises (anticipation d’inflation à 2 ans à 5% pour les ménages et entreprises). Autant d’éléments qui expliquent que l’inflation sous-jacente tarde à se résorber, s’établissant toujours à plus de 5% en septembre.
2/ Cette hausse, moindre qu’anticipée, semble annoncer la fin prochaine du cycle de resserrement
Moindre qu’initialement anticipée par les marchés, cette annonce les a agréablement surpris. Alors que les prévisionnistes pariaient majoritairement pour une augmentation de 75 points de base, après les deux dernières hausses de juillet (+100 points de base) et de septembre (+75 points de base), la décision de la Banque du Canada a agréablement surpris les investisseurs. La bourse de Toronto a ainsi accueilli avec enthousiasme cette nouvelle, lue comme le début du relâchement dans le resserrement monétaire, en s’appréciant de 1% dans les minutes qui ont suivi l’annonce. Côté marché des changes, l’euro s’est également apprécié face au dollar canadien de 0,8% dans les secondes qui ont suivi l’annonce, se stabilisant à 1,37, mais reste très volatile (voir note SER : « Le dollar canadien pris dans les turbulences actuelles du marché des changes »).
Le choix d’un demi-point traduit le sentiment, confirmé par le Gouverneur dans ses propos liminaires, que les décisions précédentes commencent à porter leur fruit. Selon la Banque du Canada, les effets « apparents » des cinq précédentes hausses de taux sur l’économie réelle justifient cette hausse de 50 points de base. Tiff Macklem a notamment rappelé que l’inflation recule (passée de 8,1% en juin à 6,9% en septembre après 2 mois de recul consécutif), le marché du logement s’essouffle (le prix moyen sur le marché du logement canadien a chuté en septembre de 6,6% en glissement annuel, avec un volume de ventes inférieur à 12% à la moyenne pré-pandémie) et les dépenses des ménages et des entreprises devraient atteindre un plateau à mesure que les conditions d’emprunt se resserrent (taux effectif pour les emprunts des ménages à 4,75% en juillet 2022, 4,5% pour les entreprises). De même, le Gouverneur a estimé que le ralentissement économique mondial commençait à peser sur l’économie canadienne, la Banque craignant désormais – tout en l’assumant- une « stagnation de la croissance » jusqu’à la fin de la première moitié de 2023. Selon le rapport sur la politique monétaire de la Banque du Canada, publié dans la foulée de sa décision de politique monétaire, la croissance prévue au 4ème trimestre 2022 est estimé à 0,5% en glissement trimestriel, contre 1,5% au 3ème trimestre. Les prévisions de croissance annuelle ont aussi été revues à la baisse à 2,1% pour 2022, contre 2,6% dans le précèdent rapport de juillet. Enfin, la Banque anticipe désormais une inflation autour de 7% d’ici la fin de l’année qui devrait descendre à 3% d’ici fin 2023 pour finalement revenir à la cible de 2% fin 2024.
La décision de la Banque du Canada accrédite l’idée de la fin prochaine du resserrement. Alors qu’elle avait été l’une des premières banques centrales à enclencher la hausse des taux, la Banque du Canada semble également précurseuse dans son intention de mettre un terme prochain à ce cycle. Si le Gouverneur a indiqué qu’une nouvelle hausse était à attendre lors de la prochaine réunion du Conseil de la Banque, en décembre, il a également laissé entendre que ce cycle de hausse pourrait prochainement prendre fin : « La phase actuelle de resserrement arrivera à fin. Bientôt, mais pas tout de suite ».
3/ Une décision qui s’inscrit dans un contexte de remise en cause de plus en plus marquée de la politique monétaire suivie
La décision de la Banque s’inscrit dans un contexte de remise en cause de son action. Alors que la Banque nationale fait traditionnellement partie des institutions les plus respectées du pays et que son action s’inscrit dans le cadre d’un mandat quinquennal fixé par le gouvernement (le dernier date de décembre 2021), elle a vu dernièrement les critiques se multiplier. Celles-ci ont commencé à droite de l’échiquier politique, le nouveau leader des conservateurs Pierre Poilièvre estimant que la politique monétaire mise en oeuvre, notamment à travers les leviers non conventionnels, avait pu avoir un impact positif sur l'inflation. Ces critiques se sont dernièrement poursuivies à gauche de la scène politique, au sein des Nouveaux démocrates. Son leader, Jagmeet Singh, a ainsi envoyé une lettre à Justin Trudeau le 21 octobre critiquant une possible nouvelle hausse de taux et affirmant que le resserrement monétaire portait atteintes aux Canadiens les plus fragiles.
Des critiques qui ont poussé la ministre des Finances à défendre l’indépendance de la Banque. En réponse aux critiques formulées par Jagmeet Singh, la Ministre des Finances, Chrystia Freeland, a rappelé l’importance de l’indépendance de la Banque du Canada. M. Freeland a ainsi déclaré la veille de la décision de la Banque du Canada que la stabilité institutionnelle était importante en période d’incertitudes économiques et que l'indépendance de la Banque du Canada jouait à cet égard un rôle déterminant.